L’appauvrissement par le FMI, les ajustements structurels et par... le Franc CFA !
A l’heure où, s’ajoutant à la Malaria, au Sida, à la rougeole... se développe en Afrique une énième épidémie de la fièvre Ebola ; à l’heure où des chefs d’Etat incompétents et désarmés, visiblement pris de panique, imaginent confiner toute leur population, trois jours durant ; à l’heure où, les puissances occidentales, inquiètes pour leurs intérêts à terme, décident d’envoyer...des militaires ! (1) A l’heure enfin où, les décès succèdent aux décès, d’aucuns seraient en effet, en droit de se demander : "pourquoi venir parler ici du Franc CFA, du FMI et de la Banque Mondiale" ?
Il se trouve pourtant que, près avoir longuement tergiversé sur les causes et les responsabilités de la situation actuelle ; après avoir honteusement tenté de faire porter la responsabilité de l’épidémie sur les africains eux-mêmes, incultes, incapables de comprendre les consignes de sécurité, enfermés dans des comportements culturels attardés....Après avoir porté les accusations les plus graves sur les services sanitaires locaux, incompétents, corrompus, absents, s’enfuyant des leurs lieux de travail...les "observateurs" sont bien obligés, désormais, de souligner l’état déplorable dans lequel se trouvent, au plan de leurs infrastructures, les pays les plus touchés par cette nouvelle attaque d’Ebola.
Dans un article précédent ("Ebola, Sida, Malaria, Choléra...héritage des plans d’ajustement structurels ") (2) , nous signalions déjà, chiffres à l’appui, la totale impuissance à laquelle sont condamnés les pays contaminés : structures sanitaires disparues ou inexistantes, personnels insuffisants, impayés, non protégés (3), mal formés et mal informés, l’accès impossible aux médicaments, l’incapacité d’isolement des malades, l’inexistence de moyen d’information des populations.... et nous montrions ainsi que oui, bien sûr, il y a un lien direct entre misère-pauvreté d’une part, et développement des maladies et épidémies d’autre part. Nous montrions également le lien entre la pauvreté, les maladies et la destruction des services publics imposée par le FMI et la Banque Mondiale depuis des décennies.
Pauvreté, guerres, épidémies...venues du ciel ?
S’agissant de cette nouvelle attaque d’Ebola, que n’entend-t-on, à longueur d’antenne et dans la presse comme commentaires convenus et, pourrait-on dire, " tristement classiques".
Pour les plus empathiques, les "africanophiles", on ne pourrait que se désoler pour ce malheureux continent où se concentrent toutes les calamités du monde : les guerres meurtrières, les guerres civiles, les génocides, les catastrophes aériennes, maritimes et fluviales, le Sida, la rougeole, la Malaria...et maintenant Ebola. Ceux-là concluent souvent leurs énumérations par de lourds "mais que faire..?" à la fois désarmés et désarmant.
Pour d’autres, considérant qu’il n’y a pas de fumée sans feu, ce ne serait pas "que par hasard" si l’Afrique, concentrant la misère du monde, subissait en permanence ces chocs de toute nature. Il y aurait, selon eux, beaucoup à voir avec la "nature même" des africains, une tradition qu’ils auraient identifiée comme ancestrale et inhérente, continentale, une sorte de corruption traditionnelle, quasi génétique, en tout cas historique, qui courrait du haut en bas des échelles sociales. "Héritage" qu’on retrouverait aujourd’hui dans le "chacun pour soi" des chefs et des nantis et le désintérêt des élites pour la vie des déshérités...
Pour d’autres enfin, comme l’avait, clairement indiqué Jean Marie Le Pen, président du Front National, dès le début de l’épidémie, Ebola, comme les autres maladies de masse, les guerres et les famines... pourrait être appréciée comme une variable d’ajustement démographique qui, sur un continent en incapacité patente de nourrir tous ses enfants, aurait toute son utilité. (4)
On le voit, tous plus éculés et méprisants les uns que les autres, peu de clichés manquent à la panoplie médiatique
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Bien évidemment, à de rares exceptions près, très peu de médias, pourtant parfaitement informés par les ONG sur place (5),évoquent les véritables causes de la progression fulgurante de l’épidémie que sont la misère économique, la pauvreté, la dévastation des services publics pour cause d’ajustements structurels et, pour quatorze pays d’Afrique, par le maintien du Franc CFA, la privation de leur indépendance monétaire.
Une arnaque qui vient de loin
Au sortir de la seconde guerre mondiale, après avoir, la plupart du temps par la force, enrôlé et fait tuer par milliers, les habitants de ses colonies sur les champs de bataille européens, la France se devait de garder son influence impériale, notamment en Afrique. Elle en fera, jusqu’après les indépendances, jusqu’à aujourd’hui, son pré carré permanent. Et , en effet, une fois formellement proclamées les indépendances, le Franc CFA, avec la "francophonie", sera un outil, particulièrement efficace, du maintien d’un carcan colonial sur les pays visés.
Alors cette "monnaie", comment ça marche ? Sachons d’abord que, dès sa naissance, il prospèrera dans les pays de la zone d’influence française, délimitée par une langue commune, celle du colonisateur, le français. Ce sont donc les régions francophones d’Afrique qui, pour l’essentiel, feront les frais de l’opération. D’où l’intérêt permanent porté par la France, tant culturel qu’économique, à la "francophonie"...
Est-il utile de rappeler, par ailleurs, qu’en économie de marché, celui qui détient le pouvoir sur la monnaie, détient le pouvoir tout court ? De la même manière, un pays qui ne maîtrise pas son indépendance monétaire, n’est pas, par voie de conséquence, un pays indépendant. Or, avec le "montage" du Franc CFA, ce sont quatorze pays d’Afrique qui sont ainsi, encore aujourd’hui, privés de leur souveraineté monétaire. (6)
Ce Franc CFA voit le jour, dans les pays colonisés d’Afrique sub-saharienne et du Nord, dès l’année 1945, sous la présidence provisoire de Charles De Gaulle. Ainsi, ce 25 décembre, jour de promulgation du décret, restera pour les pays visés un bien triste jour de Noël ! L’acronyme signifiait alors : Franc des Colonies Françaises d’Afrique. Après de multiples changements de contenu, l’acronyme d’aujourd’hui signifie :"communauté française d’Afrique". Pourtant, une communauté française ne devrait-elle pas être composée de français ? Bref...
Une spoliation toujours active
Notre objet, ne sera pas de développer ici un cours magistral mais, relatant simplement les tenants et les aboutissants du "montage", de montrer le caractère inique de ce système et les conséquences inadmissibles qui en découlent sachant, qu’au fond, le fonctionnement est très simple.
Tout d’abord, chaque pays africain, participant du système doit obligatoirement ouvrir un "compte d’opérations", c’est à dire un compte bancaire, auprès de ...la Banque de France ! Le prétexte de base du montage réside dans une soit disant garantie par la France d’une parité fixe entre le Franc, aujourd’hui l’Euro, et le Franc CFA. Nous y reviendrons.
Quand la France achète des produits à sa zone CFA, il lui suffit d’imprimer des billets de banque FCFA qui lui suffiront pour payer les pays vendeurs. Autrement dit, un deal de vraies marchandises contre du...papier. Par ailleurs, en sus de ce marché de dupes évident, la France inscrit au fameux "compte d’opérations" des pays ainsi spoliés, un crédit correspondant au montant de la transaction.
Sachant que la monnaie papier, reconnue uniquement par la Banque de France, on mesure la hauteur de l’arnaque : Du papier pour payer, imprimé au fur et à mesure, une écriture comptable pour une ligne de crédit, une monnaie seulement utilisable auprès de la Banque de France et le tour est joué.
A l’inverse, quand les pays africains souhaitent se procurer des biens en France, ils doivent passer à la Banque de France qui, sur leur "ligne de crédit", le compte d’opérations, leur donnera des Euros pour acheter...français. Pire, lorsque ces mêmes pays souhaitent commercer avec des pays hors France, c’est encore cette dernière qui leur donnera, par le même mécanisme, les devises nécessaires à leurs opérations.
Papa surveille, intervient dans les choix et surtout... garde la tirelire !
Les "compte d’opérations" doivent être alimentés. Ainsi va le deal. Sur chaque opération la Banque de France bloque, pour "alimenter" le compte d’opérations, des sommes faramineuses, 50% pour les pays d’Afrique de l’Ouest et jusqu’à 60% pour les pays d’Afrique Centrale ! Ce détournement de fonds est justifié, officiellement, pour garantir le taux de change fixe. Or, chacun comprend que les matières premières africaines, comme toutes les autres, valent en fonction de la fluctuation de l’offre et de la demande internationale et qu’à partir de là, quand un produit se déprécie sur le marché, la France débite immédiatement le "compte d’opérations" en proportion de la dépréciation !
Cette pseudo garantie de taux fixe n’est, en réalité, qu’un leurre. Qui a dit, en effet, qu’une telle garantie était nécessaire ? Quel économiste sérieux pour affirmer cela ? Où cela existe ailleurs que dans la zone "d’influence" française en Afrique ? Quel parité fixe pour les monnaies chinoises, européenne, japonaises, anglaises...? Le fait est que, au prix fort, la France fait payer aux africains une parité fixe qui est, au fond, totalement vaine et artificielle. Certains économistes, spécialistes du "système Franc CFA", estiment ainsi le montant de soldes créditeurs sur les tristement célèbres comptes d’opérations à plusieurs milliers de milliards. A titre d’exemple, pour la seule zone d’Afrique Centrale, le professeur Agbohou (6) estime le solde créditeur à plus de 4000 milliards de Francs CFA à l’année 2007."Bloqués" par la Banque de France !
Pendant ce temps, l’Afrique centrale, une des régions les plus pauvres du monde (!), continue d’emprunter pour survivre, creuse sa dette et, se livrant pieds et poings liés aux diktats du FMI, creuse sa tombe.
La France, de son côté, utilise pour son compte les fonds incommensurables ainsi accumulés, n’ayant besoin, pour "payer" que de réaliser une simple ligne d’écriture comptable sur un écran d’ordinateur au compte d’opérations des pays "créditeurs". Elle place ainsi ces sommes gigantesques, perçoit des intérêts indus qui lui serviront à "consentir" des prêts à ces "pauvres pays africains" qui ne s’en sortent pas.
Le pire étant que, aujourd’hui, la plupart des économistes s’accordent pour dire leur incapacité à calculer où en sont réellement, depuis toutes ces années de fonctionnement, les comptes entre la France et les pays africains de la zone F CFA ! Autrement dit, la hauteur des sommes "détenues", et depuis détournées, par la France au détriment des africains. Personne n’imagine, bien sûr, qu’elles puisent être, un jour, calculées et restituées. Profits et pertes au détriment de l’Afrique seule !
Pour l’indépendance, en finir au plus vite
Parce que le Franc CFA à parité fixe est "arrimé" à l’Euro et à ses fluctuations (Euro fort, Euro faible...) (7), le système plombe les économies des pays concernés. Parce qu’un pays qui ne détient pas le pouvoir sur sa monnaie n’est pas un pays souverain ; parce qu’un pays dont la monnaie est régie par un tiers n’est pas un pays indépendant, ni économiquement, ni politiquement, il revient, aux pays africains visés, d’envisager la sortie de ce système, non seulement hérité de la colonisation mais encore aujourd’hui 100% colonialiste.
Pour un "deal" censé aider les membres de la zone, les chiffres sont édifiants. En effet, selon un rapport du PNUD, publié en 2007, l’indice de développement humain (IDH) des pays concernés est le même, voire inférieur à celui des autres pays d’Afrique subsaharienne (0.468 pour la zone FCFA contre 0.468 pour les autres pays).
Il apparaît donc clairement que "l’aide" pour le développement, sous-entendue par la France pour imposer son système monétaire n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, opérationnelle. Que rien, donc, ne justifie la pérennisation de ce montage inique, issu de temps lointains et honnis.
Sortir d’un système monétaire qui, exactement comme le fait le système de la Dette (8), maintient les pays concernés dans un sous-développement de leurs infrastructures, de leurs capacités à manufacturer, à produire, à transformer les matières premières, leur impose une inexistence de secteurs industriels et ne leur apporte rien en qualité de vie pour les populations...relève désormais de la justice, de la survie et de la marche naturelle vers l’indépendance.
François Charles ( l’Autre Afrique Magazine et www.lautreafrique.info)