L’Institut national de recherche sur la défense RAND est un think tank américain financé par des fonds fédéraux et parrainé par le bureau du secrétaire à la Défense (OSD), l’État-major interarmées, le Commandement Interarmées de Combat, le Département de la Marine, le Corps des Marines, les Agences de défense et la Communauté du renseignement militaire.
En 2008, soit environ trois ans avant le fallacieux « printemps » arabe, le RAND a publié une importante et exhaustive étude[i] sur le mouvement Kifaya (« C’est assez ! », en arabe), un groupe d’opposition égyptien créé en 2004 par des intellectuels de différentes sensibilités. Parmi les recommandations de l’imposant document, on peut lire : « les États-Unis devraient aider les réformateurs à obtenir et à utiliser la technologie de l’information, peut-être en offrant des incitations pour les entreprises américaines à investir dans l’infrastructure de communication et de la technologie de l’information de la région. Les compagnies américaines œuvrant dans les technologies de l’information pourraient également faire en sorte que les sites Web des réformateurs restent opérationnels et pourraient aussi investir dans des technologies telles que les proxys anonymiseurs qui peuvent offrir un abri contre la surveillance du gouvernement. Cela pourrait également être réalisé en utilisant des moyens technologiques pour prévenir les régimes de saboter les sites Web des réformateurs. »
Cette étude réalisée par le RAND a servi de fondement pour une politique américaine d’« exportation » de la démocratie vers les pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA — Middle East and North Africa) basée sur la formation, le soutien et le réseautage de cyberactivistes provenant de ces pays.
En effet, des programmes de contournement de la censure étatique, tels que TOR[ii] ou Commotion[iii] ont été mis au point pour aider les cyberactivistes à faire leur « révolution » tout en naviguant anonymement sur la toile.
Durant l’été 2009, lors des émeutes qui ont secoué la rue iranienne, le logiciel TOR a été mis à la disposition des cyberdissidents iraniens[iv]. De plus, Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine de l’époque, jugea que « Twitter était important pour la liberté d’expression iranienne »[v]. Cela fut suivi par une intervention du département d’État auprès de la direction de Twitter afin de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication[vi].
Distribué gratuitement, TOR reçoit des fonds fédéraux américains, en plus d’être financé par de nombreux et prestigieux commanditaires comme Google, Human Rights Watch (HRW) ainsi que le laboratoire de recherche de la marine des États-Unis (NRL — United States Naval Research Laboratory).
Pendant le « printemps » arabe, TOR a également été utilisé par les cyberactivistes tunisiens et égyptiens[vii]. Ce qui fit dire à Madame Clinton « qu’Internet est devenu l’espace public du XXIe siècle » et que « les manifestations en Égypte et en Iran, alimentées par Facebook, Twitter et YouTube, reflétaient la puissance des technologies de connexion en tant qu’accélérateurs du changement politique, social et économique » [viii].
La formation des cyberactivistes de la zone MENA a été financée par les organismes américains d’« exportation » de la démocratie, tels que la United States Agency for International Development (USAID), la National Endowment for Democracy (NED), l’International Republican Institute (IRI), le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), la Freedom House (FH) et l’Open Society Institute (OSI) du milliardaire américain George Soros, illustre spéculateur financier[ix].
Pour les cyberactivistes arabes, cette formation a été organisée ponctuellement dans certaines villes arabes comme Le Caire ou Beyrouth. Pour les évènements de plus grande envergure, la tâche a été assurée par un organisme créé spécialement à cet effet : l’Alliance de Mouvements de Jeunesse (AYM — Alliance of Youth Movements).
La mission de l’AYM est clairement annoncée sur son site : i) identifier des cyberactivistes dans des régions d’intérêt ; ii) les mettre en contact entre eux, avec des experts et des membres de la société civile ; et iii) les soutenir en les formant, en les conseillant et en leur procurant une plateforme pour initier les contacts et les développer dans le temps.
L’AYM est dirigée par des personnes ayant œuvré au Département d’État, dans les entreprises impliquées dans les nouvelles technologies ou avec les organismes d’« exportation » de la démocratie. Trois sommets de l’AYM ont été organisés : à New York en 2008, à Mexico en 2009 et à Londres en 2010.
La liste des commanditaires de ces événements est très éloquente. On y trouve, entre autres, Twitter, Google, YouTube, Facebook et le Département d’Etat.
Déjà, en 1999, Carl Gershman, président de la NED, avait déclaré que « la promotion de la démocratie est devenue un champ établi de l’activité internationale et un pilier de la politique étrangère américaine » [x]. En 2010, Hillary Clinton y ajouta la dimension relative au cyberespace en déclarant qu’Internet était « un outil essentiel pour faire progresser la démocratie »[xi].
Avec le développement fulgurant des nouvelles technologies, l’amélioration constante des proxys anonymiseurs et l’hégémonie américaine dans le domaine des nouvelles technologies, il va sans dire que le cyberactivisme a de beaux jours devant lui, spécialement comme vecteur d’« exportation » de la démocratie américaine. Un moyen « élégant » pour la déstabilisation - voire la destruction - de pays figurant sur la liste noire de l’Oncle Sam.
Le sanglant « printemps » arabe est là pour nous le confirmer.
Ahmed Bensaada