« Ce qu’il faut c’est une révolution ! Avec tout le monde dans les rues ! Et cette révolution doit venir d’en bas. Tout ce qu’on a réussi à obtenir s’est fait comme ça, en faisant grève, en arrêtant tout”. (Paquita, travailleuse à Panrico)
Ces conversations avec les travailleuses de Panrico n’ont pas été les premières et ne seront sans doute pas les dernières. Pendant ces deux mois de grève nous avons partagé avec elles des expériences intenses dans les piquets de grève, dans les manifs, par la dureté de la répression, en discutant, en faisant les caisses de grève… Mais aussi, par la force des rencontres, des rapports humains qui se tissent dans la lutte. Nous avons parlé avec Paqui, Sole, Pilar, Isabel, Reme, Marisa et Gertru sur leur piquet de grève en face de l’usine, dans un cadre impeccable, et surtout, très accueillant : il est très difficile de quitter ces femmes capables de transmettre autant de force, de générosité et de courage.
Parlez-nous de vos vies à l’usine, de vos vies…
Paquita prend la parole : On a toutes commencé très jeunes parce qu’à l’époque on pouvait commencer à travailler à 14 ou 15 ans. À ce moment il y avait une usine à Barcelone qui n’était pas Panrico mais Donuts. On s’est donc connues tout petites.
Soledad, qui est toujours la première à vouloir parler, poursuit : À l’âge de 16 ans, le lendemain de mon anniversaire, j’ai commencé à travailler à l’usine. J’y ai passé toute ma vie – elle finit la phrase les yeux pleins de larmes.
Paqui se souvient du contexte politique dans lequel elles ont fait leur entrée dans le monde du travail : Il faut savoir que tous les changements, on les vivait depuis l’intérieur de l’usine. Il y avait beaucoup de mouvement et on était là à toutes les échéances.
Sole conclut : Pour nous c’était extraordinaire, on faisait nos premiers pas en politique.
Vous racontiez qu’à l’époque les femmes luttaient pour « à travail égal salaire égal ». Comment l’aviez-vous vécu ?
Les salaires en général étaient les mêmes pour tous, raconte Reme. Les tâches les plus dures étaient mieux payées, et elles étaient surtout faites par les hommes.
Il y a toujours eu des femmes qui faisaient ces tâches, ajoute Paqui. Mais on n’a pas été discriminées, ou en tout cas pas dans le secteur de la production, et c’est à force de lutter.
Les travailleuses évoquent souvent d’autres grèves que vous avez dirigées. Comment se sont-elles passées ? Comment les avez-vous vécues ?
Reme répond : Lorsque tu n’es qu’une gamine, travailler c’est comme un jeu, tu n’imagines pas que quelqu’un pourrait être en train de profiter de toi, du fait que tu sois petite… Avec le temps, on a appris que pour obtenir quelque chose il fallait faire grève. Ma première grève date de très longtemps, 30 ans déjà. On n’avait pas de comité, on a été dans la rue pendant très peu de jours, on a obtenu ce qu’on voulait et on a repris le travail… Avant la grève on travaillait du lundi au samedi et on travaillait plus longtemps chaque jour. Les 8 heures et les cinq jours par semaine on les a obtenus à travers la lutte.
Comment vous vous organisez pour cette grève qui dure depuis déjà deux mois ?
Chacune a une mission avec des horaires différents, répond Paqui. Marisa, une des responsables de la caisse de grève nous donne plus de détails : on fait un planning des zones où on compte y aller. Puis on se présente à l’usine ou à l’entreprise et on essaye de parler avec un membre du comité. On leur dit qui nous sommes, ce dont on a besoin… On a reçu du soutien des arrimeurs de Barcelone, des travailleurs de Métro, de Coca Cola, Seat entre autres.
La grève a des répercussions dans la vie de tous les jours des travailleuses de Panrico. Cette vie déjà très dure au sein de l’usine s’est vue bouleversée à cause de la grève : les tâches domestiques se retrouvent relayées en dernier rang. Et quelque chose de nouveau apparaît, quelque chose qui se voit difficilement sous l’exploitation à la chaîne : les travailleuses se découvrent, commencent à se connaître vraiment entre elles.
En tant que femmes travailleuses, comment vivez-vous cette grève ?
On la vit bien, mieux que ce qu’on pensait. Par contre, à la maison, c’est comme si c’était la guerre – poursuit Paqui. Je leur dis : « Je pars, donc débrouillez vous »… Je suis en grève et la grève passe en premier. Il faut qu’on sorte de la maison, on y est restées déjà trop longtemps. Nous ne sommes plus dans la démarche typique des femmes qui se marient et restent chez elles. Maintenant la priorité c’est la grève.
Ma mère était l’esclave de son mari et de la maison – souligne Sole. Moi je ne veux pas être comme elle.
Racontez-nous, comment sont vos conditions de travail à l’usine ?
Avec le stress, on n’a pas de temps pour parler aux camarades, en dehors des toilettes ou de la pause déjeuner, qui ne dure que 9 minutes – répond Sole.
Moi, à force de faire des mouvements rapides pour prendre les donuts, j’ai dû me faire opérer des deux mains. Les problèmes de santé dans ce travail touchent très souvent les mains, raconte Isabel avec un sourire qui ne s’éteint pas. Puis elle poursuit : Il y a aussi beaucoup de cas de dépression, de stress. Les gens se font très souvent opérer aussi des jambes, pour des varices et on souffre aussi énormément du dos…
Réfléchir à cette grève c’est revivre énormément de souvenirs. Il y a des moments où deux mois de grève ressemblent à plusieurs années de lutte. Et ce grâce à la solidarité qui s’est crée, à la grève utilisée comme une arme, au rôle joué par les syndicats d’hier et d’aujourd’hui, à celui de la jeunesse qui les soutient, à la force de la répression…
Qu’avez vous appris au long de cette grève ?
Cette expérience qu’on est en train de découvrir avec vous, on l’ignorait complètement. Je suis en train d’en faire l’expérience et j’en reste hallucinée – répond Pili. Si les gens se solidarisent avec moi il faut que je fasse de même. C’est un exemple à suivre. Il y a beaucoup de gens qui, comme vous, nous aident, nous conseillent mais on est surtout en train d’apprendre énormément de vous, les jeunes.
En y réfléchissant – rajoute Sole – je me rends compte que contrairement à eux, on est désarmés, la seule arme qu’on a c’est celle de tous les travailleurs : la grève.
Quel message souhaiteriez-vous donner aux femmes travailleuses et à la jeunesse combative ?
Qu’il faut que les travailleurs soient unis. C’est la seule façon de tout faire tomber, à travers d’une révolution qui vienne d’en bas – répond Paqui avec assurance. Tout ce qu’on a obtenu dans la vie s’est fait à travers les grèves, en arrêtant tout.
Prenez les rues, c’est la seule chose qu’on peut faire, prenez les rues ! Faites-le pour vos droits, ceux des chômeurs, des retraités, des jeunes, tous ! Si nous sommes tous unis, on pourra les combattre – rajoute Marisa pleine de conviction.
Battez-vous, battez-vous, ou il n’y aura pas de futur pour vous. Nous, c’est notre présent qu’ils veulent nous arracher, mais pour vous c’est le futur. Si vous ne vous battez-pas, ça va très mal se passer ! – répond Reme.
Pili pleure et ses pleurs sont le mélange entre l’émotion qu’elle ressent de pouvoir parler de tout cela avec ses camarades et la rage qu’elle garde pour toutes les injustices subies.
Elle conclut :
Nous avons partagé plus de bons moments avec les gens que j’ai rencontré dans ces deux mois de grève, qu’en 38 ans au travail… Je les connais beaucoup maintenant, et ça, personne ne pourra me l’enlever, personne, même pas Fila.
Pareil pour moi – crie Isabel, et toutes les femmes crient et applaudissent avec la joie, la force et le courage qui les caractérise et qu’elles nous transmettent pour continuer à lutter à leurs côtés, aux côtés des ouvrières de Panrico.
Propos recueillis par Leire Izar Gorri, Cynthia Lub et Veronica Landa, mardi 10 décembre 2013.