Mercredi 6 septembre 2006.
CRA, ça vous dit quelque chose ? Probablement non. C’est le Centre de Rétention Administrative, de Geispolsheim, en l’occurrence, où on s’est rendu hier mardi matin.
La République Française y retient, en notre nom, plusieurs semaines, parfois, des hommes, des femmes (les enfants sont dirigés à Metz ou Paris avec leur parent) qui ne sont ni prévenus, ni condamnés, mais retenus en attendant d’être expulsés.
On savait où il se trouve, dans un petit bois, coincé entre l’A35 ( Vigie) et la route menant au Rond-Point de Geispolsheim. Le panneau récent "CRA" n’est visible que lorsqu’on se trouve à l’entrée du chemin de terre qui y mène, un peu avant le panneau Geispolsheim.
On s’y est rendus, à deux, pour rendre visite (10h à 11h30 ; 14h-17h30) à un Camerounais retenu là depuis le 17 août, qu’on ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, mais dont le cas nous avait été signalé par un article des Dernières Nouvelles d’Alsace, puis confirmé par son avocat, Me Cheihk Dabo.
Tout citoyen peut s’y rendre. Il suffit de respecter les horaires et d’être muni d’une pièce d’identité, retenue à l’arrivée, et rendue à la sortie.
Vous vous garez sur un parking ombragé près des grilles du « camp », rectifions, du centre de rétention. Vous donnez le nom de celui, celle, que vous visitez. Les gendarmes, en tenue noire, vous ouvrent après avoir saisi vos papiers à travers la grille.
Contrairement à certains CRA à Paris ou Marseille, dans un état si déplorable que des plaintes pour traitements contraires aux droits humains ont été déposées, le centre de Geispolsheim paraît clean. Grillages double ou triple, baraques genre modules de chantier, cour de promenade, téléphone à disposition des retenus, commodités (qu’on n’a pas vues, cantine,etc).
Les gendarmes sont affables, genre cool. Dans un bureau d’accueil vous êtes invité à passer dans une petite pièce attenante où on vous vous demande de vider vos poches puis votre sac (moins vous avez de babioles plus vite c’est fait) enfin vous passez à la fouille-palpation, tourné contre le mur et les mains au mur...Si vous êtes une femme, et qu’il n’y a pas de gendarmette, vous êtes en droit de refuser.
Puis on vous accompagne dans un autre bâtiment, après tour et détours à travers des portes fermées à clé. Le bâtiment possède une double grille avec une coursive entre. Vous êtes au milieu d’un bois. respirez, les gaz des bagnoles doivent être filtrés par la forêt...
Vous entrez dans un bureau, une table, trois fauteuils, confortables.. Le gendarme ouvre une fenêtre. Pas tant pour évacuer la légère odeur de renfermé que pour veiller au grain. Il cherche le retenu qui s’assied avec vous. Le gendarme sort et on ne le voit pas mais on suppose qu’il est dans la coursive, pas loin. Entend-il ou pas la conversation ? Vous pouvez toujours parler bas...Il est interdit d’apporter de la nourriture ou de la boisson. Il y a des distributeurs. Laissez des euros...et des cigarettes pour les fumeurs.
M. Ouafo, puisqu’il s’agit de lui, défendu par Me Dabo, après avoir donné de ses nouvelles, vous raconte son histoire. Notez que vous avez droit à 30 minutes, qui passent vite.
Il est retenu depuis le 17 août suite à un contrôle de CRS à Schiltigheim. Ces derniers prétendent qu’il n’avait pas bouclé sa ceinture dans le véhicule dont il était passager arrière. (Bouclez votre ceiture, ne voyagez pas sans ticket CTS ou SNCF, etc). Il affirme que c’est faux.
Le véhicule a été contrôlé sans qu’il y ait eu apparemment d’infraction. Habituellement, seul le conducteur est contrôlé : carte grise, permis, assurance. Mais là les CRS ont contrôlé tout le monde. Trois Noirs dans la nuit de Schiltigheim, c’est louche, n’est ce pas...
Et c’est alors que les ennuis de M. Ouafo ont commencé. Emmené à l’Hotel de Police, à la PAF au Pont de Kehl. Un avocat de permanence intervient. Bref.
M. Ouafo est en France depuis 1999, sauf erreur. Il a étudié, les maths puis passé un BTS auquel il manque peu d’éléments. Il a travaillé. Il est le père d’un enfant de 25 mois. Et vivait avec sa concubine. Celle ci travaillant, lui, s’occupait de l’enfant quand il était sans travail . Intégré, quoique sans papiers réguliers comme des dizaines de milliers d’étrangers en France. Juste bons à faire le boulot que les Français "2 souches", comme dit le borgne-tortionnaire, refusent. Et expulsable à tout moment sur un contrôle policier hasardeux.
Le plus incroyable dans ce qu’il nous a raconté c’est la remarque d’un juge à Colmar. La mère était venue avec l’enfant. Celui ci dormait Puis il s’est réveillé et le père est allé vers lui. L’enfant à ce moment a tourné la tête. Et le juge y a trouvé la "preuve" qu’il n’était pas le père de l’enfant !
Pourquoi ne pas faire un test ADN, pour une fois qu’il servirait à quelque chose d’utile ? Au Tribunal Administratif, il semble aussi y avoir quelques problèmes. On y expédie parfois une vie entière en quelques instants. Et à la différence des anciens, les jeunes juges semblent tétanisés par leur plan de carrière, l’ombre du "Sinistre de l’Intérieur" planant en ces lieux. Et l’indépendance de la justice,bordel !
On vous préviendra quand M. Ouafo sera dirigé vers un aéroport. En Alsace et à Roissy.
Jean-Claude Meyer
http://schlomoh.blog.lemonde.fr