Tardieu JC,
je serais davantage intéressé de savoir comment vivent au quotidien les travailleurs chinois, s’ils ont accès au soin et à l’école gratuitement, que représentent sur leur budget mensuel l’ensemble des charges incompressibles (Loyer, électricité, eau, gaz, téléphone, Internet, deux-roues à moteur ou bagnole, assurance, impôts, frais scolaires, leur niveau d’endettement, etc.), et combien leur reste-t-il pour se nourrir, se vêtir, accessoirement se divertir ou économiser quelques sous...
D’abord, ce serait bien d’avoir un lien vers votre blog pour voir de quelle manière vous avez répondu à cette question « en quelques lignes ».
Qu’entendez-vous par « travailleurs » ? Votre remarque suivante, sur le fait que vous avez un passé d’ouvrier, laisse à penser que par « travailleur », vous sous-entendez « ouvrier » ? Si je pars du principe que c’est ça, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il sera quasiment impossible de répondre par le détail à cette question. Autant dire que vous demandez la lune, et je pense que vous le savez. C’est précisément pour cette raison que j’aimerais lire vos quelques lignes sur la question en Inde. C’est plusieurs livres qu’il faudrait pour y répondre car il y a tant de critères qui entrent en jeu, au premier chef les secteurs et les provinces concernées.
Même lorsqu’on vit en Chine, on vit généralement dans des microcosmes qui ne favorisent pas les contacts directs avec le monde ouvrier, et encore moins son intimité. On ne peut être qu’observateur extérieur et lointain de leur réalité. Georges Rodi confirmera ou infirmera ce que je dis s’il passe par là. Seule la sociologie chinoise peut répondre à cette vaste question, mais vous savez aussi bien que moi qu’elle ne sera validée en Occident que si elle fait un portrait qui correspond à l’image qu’on s’en fait et qui est affreuse. Sinon, elle sera taxée de connivence avec l’état ou de propagande. C’est un phénomène qu’on observe d’ailleurs un peu avec un certain cinéma chinois qui n’est soutenu que s’il est critique de la société chinoise. À l’inverse, je trouve personnellement dommageable que l’état chinois censure à l’excès le cinéma dit « réaliste », comme celui de Jia Zhangke, de Wang Bing ou de Huang Wenhai parce qu’il donne une vision négative de la Chine. La perfection est une lubie typiquement chinoise.
Il est parfaitement clair et avéré que ce sont les ouvriers chinois qui ont le plus contribué au développement de la Chine durant les trois dernières décennies et qui ont payé le plus cher tribut, notamment celui d’être resté malgré tout à la remorque de la société chinoise. Alors que des statues devraient être érigées partout en leur honneur. Particulièrement ceux qu’on nomme les ouvriers migrants, ces paysans, hommes et femmes, qui ont laissé derrière eux leur terre et leur famille pour aller travailler en ville sur les chantiers de construction et qui ont transformé le visage de la Chine. Du temps où je vivais en Chine, je les voyais de loin en loin, vivre dans leurs baraquements, j’étais parfois assis à côté d’eux dans les bouis-bouis où ils venaient manger ou dans le train, et au-delà de la barrière linguistique, il était évidemment impossible pour moi de comprendre leur quotidien, d’en avoir la moindre idée. Je savais juste que ce n’était pas rose.
Non, à part quelques touches en pointillés, on ne peut faire ce portrait-robot que vous attendez. Sauf faire le pari que l’éducation en Chine reproduit globalement les inégalités, que les ouvriers ne sont pas propriétaires, qu’ils n’ont pas de voiture et que les banques ne leur font pas de prêts. Cependant, la question n’est pas seulement de savoir où ils sont mais aussi d’où ils sont partis.
Ensuite, je ne vois pas en quoi socialisme et économie de marché sont incompatibles. Le monde change, et à part la mort, rien n’est gravé dans la pierre, quoiqu’en dise le marxisme. La Chine existe dans un monde régi par l’économie de marché, il est aussi parfaitement naturel qu’elle s’inscrive dans ce mode de fonctionnement pour survivre et se développer selon ses principes propres que parfaitement vaniteux et égoïste d’attendre d’elle et du peuple chinois qu’ils se restreignent sous le prétexte que c’est ce que notre époque d’incertitudes demande après que nous, Occidentaux, nous sommes gavés comme des cochons.
Il y a déjà une différence, de taille selon moi entre le système capitaliste occidental et le système « capitaliste » chinois et elle se résume ainsi : en Chine, les banques, centres névralgiques de toute économie, obéissent à l’état. En France, non seulement c’est l’état qui obéit aux banques, mais en plus ces banques ne sont même pas françaises. Pire, nous élisons un banquier pour diriger le pays.