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Du français (V)

Montaigne écrit ses Essais en français, par feinte modestie. Il écrit pour ses contemporains, tels qu’ils sont. Pour la postérité, il eût choisi le latin, un « langage plus ferme » : « Qui peut espérer que [la forme présente du français] soit en usage d’icy à cinquante ans ? » A l’époque, les grands auteurs latins sont systématiquement traduits en français. En 1549, Joachim Du Bellay avait publié sa Deffence et Illustration de la Langue Francoyse, dix ans après l’ordonnance de Villers-Cotterêts imposant l’usage exclusif du français dans l’administration. Pour Du Bellay, le français est aussi « digne » que le latin et le grec. Mais il ne préconise pas la traduction, source, pour lui, d’appauvrissement. Dès lors, de nombreux grands auteurs issus de l’aire occitane, vont publier en français. Outre Montaigne, Pierre de Bourdeille (Brantôme) et le poète gascon Pierre du Bartas.

La grammaire de la langue française évolue, en particulier au niveau de la subordination et de ses conjonctions : on emploie de plus en plus « alors que », « afin que ». A l’écrit naturellement, dans un pays qui compte au moins 90% d’illettrés. Un peu par snobisme, il est fait appel à une graphie inspirée du latin : on écrit doigt à cause de digitus (alors que le mot s’écrivait doi au XIIIe siècle), doubter à cause de dubitare (alors que le mot s’écrivait doter au XIe siècle, faict à cause de factum. Les grammairiens commencent à édicter des règles de prononciation. On doit dire « de l’eau » et non « de l’iau ». Il faut faire la différence entre vain et vin, pain et pin (on ne l’entend guère plus aujourd’hui). On ne doit pas dire un’onte, un’arpe. Les Allemands, dont le pays n’est pas du tout une nation, sont beaucoup moins normatifs. Mais en 1521 et 1534, Luther traduit en allemand le Nouveau Testament, puis l’Ancien Testament, ce qui contribue à implanter l’allemand standard dans les écoles. Cela dit, jusqu’au XIXe siècle, de nombreux Allemands apprendront le Hochdeutsch comme une langue étrangère. Les premières règles grammaticales et orthographiques n’apparaîtront qu’en 1880 dans le dictionnaire Duden.

En France, pendant la Renaissance, nous sommes en pleine distinction bourdieusienne : ceux qui appartiennent au haut du panier se distinguent, par la langue, du reste de la population. Ceux qui souhaitent les rejoindre doivent avoir une connaissance parfaite des règles du « bon français ». Malherbe et, plus encore, Vaugelas, vont cadrer le français écrit, mais aussi oral. Ce dernier sera l’auteur en 1647 de Remarques sur la langue française, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, où il s’inspire de la langue parlée à la cour du roi. L’Académie française, fondée en 1634, a pour fonction principale (statut XXIV) de « travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » Belle et pure, telle doit être la langue. Une langue pour des hommes et des femmes qui ne travaillent pas de leurs mains. Une langue souvent déconnectée du réel du peuple, que Molière parodiera jusqu’à l’excès. Une langue qui compensera son manque de précision technique par des trouvailles alambiquées, « précieuses et ridicules », quand les fauteuils sont les « les commodités de la conversation » et quand les dents sont « l’ameublement de la bouche ». Ces précieux « savent tout sans avoir jamais rien appris ». Un peu comme aujourd’hui, (« hyper méga top, stratosphérique »), on abuse de la boursouflure : dans Les Précieuses ridicules, des gants sentent « terriblement » bon. Dans Les Femmes savantes, Philaminte aime « superbement et magnifiquement ».

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