Le célèbre « Discours du Caire », prononcé le 4 juin 2009, augurait d’une nouvelle ère dans les rapports entre les États-Unis et, non seulement, les gouvernements arabes mais, aussi, les peuples de ces pays, souvent en désaccord avec leurs dirigeants, lesquels se montrent favorables aux intérêts états-uniens et passifs à l’égard de l’État d’Israël et de la question palestinienne.
Dès son entrée à la Maison blanche, le président Obama repositionnait ainsi les Etats-Unis sur la scène proche et moyen-orientale, en prononçant au Caire ce discours, qui a renversé dans cette région du monde l’image désastreuse que la politique de son prédécesseur, George W. Bush, avait forgé de l’Amérique.
Au Caire, Barak Obama a dénoncé ceux qui, dans les deux camps, ont opposé l’Occident et l’Islam. Il a regretté que de dangereux extrémistes, « une toute petite minorité », essaient d’instrumentaliser l’Islam, au risque de le faire passer pour « une religion hostile ». Quant à l’Occident, a-t-il reconnu, il a laissé aux Arabes le mauvais souvenir « du colonialisme, qui a privé de nombreux musulmans de leurs droits et de leurs chances, et de la guerre froide, durant laquelle des pays à majorité musulmane ont été trop souvent considérés comme des sous-traitants, sans égard pour leurs propres aspirations ». Dès lors la défiance entre les Arabes et les Etats-Unis doit cesser : « je suis venu chercher un nouveau commencement entre les Etats-Unis et les musulmans du monde entier ».
Accueilli avec ferveur par les peuples arabes, ce discours a fait mouche : « je suis chrétien, mais mon père venait d’une famille kenyane qui comprend plusieurs générations de musulmans. (…) Je connais la dette de la civilisation envers l’islam. (…) L’islam a fait la preuve que la tolérance religieuse et l’égalité raciale étaient possibles. (…) Le Coran enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière, et que quiconque sauve une vie sauve toute l’humanité. (…) L’Islam a un rôle important à jouer dans la promotion de la paix ».
Il a empli d’espoir les populations arabes, désormais convaincues que, avec Barak Obama à la tête de la première puissance mondiale, les rapports de force ont changé, entre l’Occident et l’Orient, entre Israël et les nations arabes : « pendant plus de 60 ans, le peuple palestinien a enduré les douleurs du déracinement. Beaucoup attendent, dans des camps de réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et aux alentours, une vie de paix et de sécurité. Ils subissent les humiliations quotidiennes qui accompagnent l’occupation. Alors, qu’il n’y ait aucun doute : la situation du peuple palestinien est intolérable. L’Amérique ne tournera pas le dos aux aspirations légitimes des Palestiniens à la dignité et à un État qui leur appartienne. (…) Les Etats-Unis n’acceptent pas la colonisation. Ces constructions violent les accords précédents et sapent les efforts consentis pour parvenir à la paix. Il est temps que ces colonies cessent ».
Depuis lors, Barak Obama ne s’est pas éloigné de cette ligne politique, notamment lorsqu’a émergé le « Printemps arabe » : dès les débuts de la révolte en Tunisie, il a appelé le président Ben Ali à abandonner le pouvoir (et d’aucuns estiment que la Maison blanche ne fut pas étrangère au processus qui a amené le dictateur tunisien à quitter le pays).
De même, en Égypte, Barak Obama a eu des mots très durs à l’égard d’Hosni Moubarak et lui a retiré son soutien dès que les révoltés de la place Tahrir commencèrent à exiger son départ.
Idem en Syrie, à l’encontre de Bashir al-Assad. Pourtant, depuis peu, Damas était rentrée en grâce : maniant la carotte et le bâton, Washington avait, d’une part, intensifié les pressions, à la suite de l’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri, dont la Syrie fut immédiatement accusée ; d’autre part, l’Arabie Saoudite, alliée des Etats-Unis et poussée par ceux-ci, avait offert une porte de sortie à la Syrie en lui proposant la création d’un nouvel axe économique, diplomatique et militaire, main tendue que le président syrien Bashir al-Assad avait saisie sans perdre de temps.
à présent, tout juste deux ans après le « Discours du Caire », Barak Obama semble passer à l’action dans la question palestinienne et oser la confrontation avec le grand allié israélien : alors même que le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, se rendait en visite à Washington, le président états-unien a déclaré que « les frontières d’Israël et de la Palestine devraient être fondées sur les lignes de 1967 » (c’est-à -dire celles d’avant l’annexion, par Israël, du Golan Syrien, de la bande de Gaza et de toute la Cisjordanie), y compris Jérusalem-est, qui deviendrait alors la capitale d’un État palestinien souverain. En cela, Barak Obama revient sans ménagement sur la déclaration de George W. Bush qui, en 2004, avait assuré le premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, qu’une telle option était totalement exclue.
Barak Obama aurait-il donc réellement l’intention de tenir les promesses faites au Caire et de renverser du tout au tout la politique étrangère des États-Unis à l’égard du monde arabo-musulman ?
Probablement la réponse dépend-t-elle d’une autre question : à qui, en définitive, s’adressent réellement ces discours, ces messages, cette communication d’une habileté magistrale, dont Barak Obama a su jouer en virtuose depuis le début de son mandat (et pas seulement à propos du Moyen-Orient) ?
En effet, une analyse plus fine, au-delà des apparences, laisse peu de doute sur cette politique de mots et de gesticulation…
Les discours de Barak Obama ne s’adressent pas aux dirigeants des pays arabes, qui, pour la plupart, servent la politique des États-Unis, qui les soutiennent en retour, à commencer par les monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, mais aussi Koweït, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis, et la Jordanie... Le silence d’Obama sur les événements du Bahreïn n’est-il pas remarquable, alors que le pays abrite la Cinquième flotte de la marine de guerre états-unienne, soit un peu plus de trois mille soldats ? Silence également, lorsque les troupes saoudiennes ont prêté main-forte à l’armée bahreïnie dans la répression des manifestations, en mars 2011.
Et ils ne s’adressent pas spécialement non plus aux leaders de l’opposition. Ces derniers sont bien au fait des réalités de la politique extérieure des États-Unis, mais ils ont peu d’écoute parmi le peuple (mis à part les Frères musulmans, en Égypte, qui ont une certaine influence, mais semblent de toute façon s’accommoder d’une alliance avec l’ancien establishment moubarakiste, dans le respect des traités passés avec les États-Unis et Israël). La plupart d’entre eux était d’ailleurs en exil ou en prison jusqu’il y a peu. Le peuple les connaît donc assez mal et il est dès lors difficile pour eux de se faire entendre. Ils ne comptent pas.
C’est ainsi aux masses, peu instruites, que s’adresse Obama ; à ces masses dont il a su gagner la confiance. Il séduit par son art de la communication, à laquelle a largement contribué le prix Nobel de la paix qui lui a été attribué.
Obama restaure une image positive et le « softpower » des États-Unis. Il a su inverser le ressentiment anti-américain qui gonflait dans le chef des populations arabes.
Dans cette perspective, il devait se montrer en opposition avec Israël sur la question palestinienne, des plus sensibles et symboliques dans le monde arabe, et dénoncer la colonisation et l’expansion israélienne en Palestine.
Par cette politique, Obama a su apaiser les contestations qui enflaient à l’encontre des gouvernements soutenus par Washington.
Le résultat est remarquable : les révoltes qui secouent les pays arabes ne se sont pas dirigées contre les États-Unis, mais contre la faim, la misère et la corruption ; il ne s’est agi que de questions internes et de coups de colères. Et, durant ces révoltes, on n’a pas brûlé de drapeau états-unien. La cible n’était pas du tout l’Amérique. Il en aurait probablement été tout autrement si la présidence avait encore été exercée par George W. Bush.
En outre, ces révoltes n’ont en rien déstabilisé la politique des États-Unis dans la région ; « révoltes », car il serait abusif de les qualifier de « révolutions » : faute d’une opposition organisée, préparée à remplacer les anciens dirigeants, elles n’ont pas pu aboutir et ont laissé en place tout l’ancien establishment (exception faite des seuls dictateurs, qui ont servi de fusible et d’exutoire à la colère populaire). Les vieux alliés des États-Unis restent donc aux commandes et garantissent, comme avant, le contrôle politique et économique sur ces pays. Ils sortent même renforcés de ces événements qui, du fait de leur « démocratisation », les ont rendus « légitimes ».
La politique états-unienne n’a donc pas changé, pas plus au Proche-Orient qu’en Afghanistan, en Irak (où, malgré les effets d’annonce sur le retrait des troupes, Washington maintient un contingent de cinquante mille hommes, une armée équivalente à celle actuellement déployée en Afghanistan) ou à l’égard de l’Iran (État non arabe mais qui, depuis le renoncement de l’Égypte à combattre Israël, est devenu le dernier bastion de la résistance, immense symbol pour les peuples arabo-musulmans).
Quant aux leaders israéliens, ils ne sont pas dupes. Ni non plus le puissant lobby juif, que les présidents états-uniens successifs ont toujours pris soin de ménager. La nouvelle politique de communication états-unienne ne peut d’ailleurs résulter que d’un accord commun, négocié par les deux alliés de toujours. Et Israël n’a aucune inquiétude à avoir.
Ainsi, tandis qu’il plaidait et menaçait en faveur du peuple palestinien devant les caméras de télévision et les parterres de journalistes, Barak Obama donnait l’ordre à son ambassadeur au Conseil de sécurité de l’ONU d’utiliser son veto et de repousser toute demande du gouvernement palestinien de proclamer l’État arabe de Palestine ; au même moment, le parlement israélien approuvait la construction de plus de mille cinq-cents nouveaux logements dans les colonies de Jérusalem-Est…
Entre promesses et illusions, Barak Obama navigue à vue au Moyen-Orient. Mais pourra-t-il tenir ce cap longtemps encore, en paroles et sans actes concrets ?
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques