La politique d’« irakisation » de la guerre (voir l’entretien avec Dahr Jamail du 1er décembre 2007) ne donne pas les résultats escomptés par Bush et le général David Petraeus. Ce n’est pas demain que les troupes américaines - malgré les déclarations de certains candidats démocrates - vont quitter l’Irak. Le vote bipartisan - dans un Congrès à majorité démocrate - d’une rallonge budgétaire à hauteur de 70 milliards de dollars pour l’armée d’occupation est une confirmation de ce qui ne relève pas de la prédiction. Le coût officiel de la guerre en Irak, depuis 2003, s’élève à 670 milliards de dollars. De la sorte sont aussi financés des « progrès » technologiques qui doivent permettre de préparer d’autres occupations et « lutte contre le terrorisme ». C’est ce qu’analyse l’article ci-dessous (réd.)
Consortium News, 13 décembre 2007.
Les forces états-uniennes en Irak seront bientôt équipées d’un outillage high-tech qui leur permettra de traiter les données biométriques en quelques minutes et - d’après l’inventrice de ces appareils - aidera des soldats américains à décider s’ils doivent ou non exécuter un suspect.
« Dans une guerre, les combattants ont besoin de savoir comment se déterminer face à trois alternatives. Est-ce que je le relâche ? Est-ce que je le mets en détention ? Est-ce que je le tue sur le champ ? » C’est qu’a expliqué Anh Duong, concepteure d’armes du Pentagon au quotidien Washington Post qui l’interviewait pour un article sur comment cette ancienne réfugiée vietnamienne de 47 ans, mère de quatre enfants, est devenue une des premières conceptrices de bombes aux Etats-Unis.
Duong est connue principalement pour la conception de bombes sophistiquées utilisés pour percer et détruire des cibles blindées. Mais elle a également supervisé le Joint Expeditionary Forensics Facilities Project connu sous le nom « lab in a box » ou laboratoire de poche, destiné à analyser des données biométriques telles que des empreintes digitales et de l’iris recueillies sur plus d’un million d’Irakiens.
Ces laboratoires - des unités escamotables d’environ 6 mètres sur 6 muni d’un générateur et relié par satellite à une base de données biométriques en Virginie Occidentale - permettront aux forces états-uniennes de confirmer les données déjà stockées afin d’identifier des insurgés. Il est prévu de déployer ses laboratoires en Irak début 2008.
Duong a annoncé que la prochaine étape consisterait à miniaturiser ce modèle de laboratoire à la taille d’un sac à dos, pour que des soldats rencontrant un suspect « puissent savoir en quelques minutes » s’il figure sur une liste de surveillance de terroristes et doit donc être tué.
Duong a justifié ce programme de données biométriques comme étant un moyen humanitaire pour distinguer les « bad guys » (les méchants) en vue de leur élimination tout en épargnant des civils innocents : « Je ne veux pas de My Lai [ [1] en Irak. La plus grande difficulté dans la guerre globale contre le terrorisme est - tout comme au Vietnam - de savoir qui sont les méchants. Comment nous assurer que nous ne tuons pas des innocents ».
En Irak et en Afghanistan, les unités militaires états-uniennes opèrent déjà selon des règles de combat très lâches qui leur permettent de tuer toute personne identifiée comme étant suspectée de terrorisme ou donnant le moindre indice d’être un insurgé. Les forces américaines ont également rassemblé et mis en détention des dizaines de milliers de MAM (military-age males - hommes ayant l’âge d’être un militaire) irakiens.
Au cours d’un voyage en Irak en été 2007, Anthony Cordesman, un analyste militaire au Center for Strategic and International Studies (Centre d’études stratégiques et internationales), a reçu des renseignements sur les projets états-uniens d’augmenter le nombre d’Irakiens détenus par les Américains pour la fin 2008. Dans son rapport de voyage, il écrit : « Le nombre de détenus a dépassé les 18’000, et (les autorités militaires états-uniennes) prévoient qu’il atteindra 30’000 à la fin de cette année, et 50’000 d’ici à la fin 2008. »
Les rafles ont permis aux militaires états-uniens de recueillir des données biométriques pour une utilisation future si et quand les Irakiens sont relâchés pour rejoindre la population générale.
L’éprouvette
En fait, l’administration Bush est en train de transformer l’Irak en une éprouvette pour mettre au point et tester des techniques modernes de répression parmi lesquelles on compte déjà l’utilisation de lunettes de surveillance nocturne sur des drones, l’imagerie à résonance thermique et une puissance de feu mortelle et précise.
Les nouvelles technologies représentent une modernisation de tactiques utilisées dans d’autres contre insurrections, comme au Vietnam dans les années 1960 et en Amérique Centrale dans les années 1980.
Au Vietnam, les forces états-uniennes ont planté des senseurs le long des « voies d’infiltration » pour diriger les bombardements contre les troupes nord-vietnamiennes. Au Guatemala, les forces de sécurité étaient équipées des premières versions d’ordinateurs portables qui servaient à identifier des gens suspectés de subversion, qui étaient alors traînés en dehors des bus et exécutés sommairement.
Maintenant, des technologies modernes sont en train de mettre à jour ces stratégies pour cette nouvelle version de la « guerre contre le terrorisme« du XXIe siècle.
La plupart des médias étatsuniens ont réagi à ces développements avec enthousiasme, comme le reportage du Post au sujet de Duong. L’article raconte allègrement la vie compliquée de cette dernière en tant que maman dévouée, que l’histoire personnelle en tant que réfugiée vietnamienne a conduit à développer des armes sophistiquées pour le gouvernement états-unien. Dans cet article l’on ne trouve aucune réaction d’alarme ni de critique concernant en particulier la remarque de Duong quand elle parle de tuer des suspects irakiens « sur le champ ». (Washington Post, 1 décembre 2007).
De même, des journaux étatsuniens ont publié des histoires au sujet des troupes américaines qui tuaient des suspects de manière extrajudiciaire dans les pages intérieures, quand ils ne présentaient pas simplement ces histoires de manière positive. Même si les gardes de sécurité de Blackwater (voir sur ce site l’article consacré à cette société en date du 27 août 2007) à la gâchette facile ont suscité quelques critiques sévères, les agissements des troupes états-uniennes n’ont pas soulevé de réaction.
Par exemple cet automne les militaires étatsuniens ont avalisé, de fait, les affirmations des membres des tireurs d’élite de l’armée disant avoir reçu le pouvoir discrétionnaire de tuer tout Irakien à la portée de leur fusil, sans que la presse ne réagisse.
Le 8 novembre 2007, un jury militaire à Camp Liberty en Irak a acquitté le responsable d’une équipe de tireurs , jugé pour avoir tué trois Irakiens au sud de Bagdad au début du « surge » (augmentation des forces d’intervention) cette année.
Le sergent-chef Michael Hensley a été déclaré non coupable de meurtre, même s’il a été condamné pour des délits de moindre importance : ceux d’avoir planté un fusil AK-47 sur l’un des cadavres et manqué de respect à un officier supérieur. Dans une interview par courrier électronique avec le New York Times (NYT), Hensley s’est plaint en disant qu’il n’aurait même pas dû se présenter devant la cour martiale, puisqu’il suivait les directives de deux officiers supérieurs qui voulaient que l’unité augmente le nombre de tués. « Tous ceux que nous avons tués étaient des terroristes confirmés. On nous félicitait lorsque les bad guys mouraient. Nous recevions des reproches lorsqu’ils ne mourraient pas » écrivait Hensley (NYT , 9.11.2007).
Guerre asymétrique
Les témoignages concernant le cas du tireur de l’armée Jorge G. Sandoval Jr., qui a servi sous Hensley, ont également révélé l’existence d’un programme confidentiel dans lequel le Asymmetric Warfare Group du Pentagon encourageait les tireurs en Irak à poser des « appâts » - tels que des fils électriques et des munitions - pour ensuite tirer sur les Irakiens qui ramassaient ces objets, (Washington Post, 24.9.2007).
Comme Hensley, Sandoval a été acquitté de l’inculpation de meurtre, mais a été inculpé pour avoir posé un fil de cuivre sur l’un des Irakiens massacrés pour faire croire que l’homme tué était en train de fabriquer des engins explosifs.
Un autre cas de meurtre d’un homme suspecté d’être un insurgé a fait surface à l’occasion d’audiences au tribunal militaire de Fort Bragg, en Caroline du Nord, à la mi-septembre 2007. C’est ainsi qu’on a appris que deux membres des Services spéciaux états-uniens ont pris part à l’exécution d’un Afghan qui était suspecté d’être à la tête d’un groupe d’insurgés.
Selon les témoins entendus à cette occasion, Staffel et Anderson dirigeaient une équipe de soldats afghans lorsqu’un informateur leur a dit où était caché un homme suspecté d’être le dirigeant insurgé. C’est ainsi que le contingent mené par les étatsuniens a trouvé un homme, suspecté d’être Nawab Buntangyar, en train de marcher près de l’enceinte près du village de Hasan Kheyl. Les Américains, qui restaient à distance de crainte que l’homme ne porte une veste bourrée d’explosifs, lui ont demandé de s’identifier, et ont vérifié sa description en utilisant une liste de la Combined Joint Special Operations Task Force Afghanistan, connue sous le nom de « the kill-or-capture-list » (la liste pour décider de capturer ou tuer).
Arrivant à la conclusion que l’homme était bien le leader insurgé Nawab Buntangyar, Staffel a donné l’ordre de tirer, et Anderson - d’une distance d’environ 95 mètres - a tiré une balle dans la tête de l’homme, le tuant instantanément.
Selon l’International Herald Tribune du 17 septembre 2007, les soldats considéraient qu’il s’agissait d’un parfait exemple d’une mission confidentielle accomplie en accord avec les règles d’engagement américaines. « Les hommes ont dit que ces règles leur permettaient de tuer Buntangyar, qui avait été désigné comme étant le chef d’une cellule terroriste par les militaires américains, dès lors qu’ils l’auraient identifié de manière positive ».
D’après les témoignages au procès de Fort Bragg, une précédente enquête avait conclu à l’innocence des deux soldats puisqu’ils ’’opéraient sous les « règles d’engagement« qui leur permettaient de tuer ceux qui étaient désignés comme « combattants ennemis », même si leurs cibles ne portaient pas d’armes et ne présentaient aucune menace visible.
En fait, les laboratoires mobiles de Duong permettraient de rendre plus rapide et efficace le processus d’identification de gens suspectés d’être des insurgés tels que Buntangyar.
En effet, plutôt que de dépendre de descriptions physiques, les forces états-uniennes pourront scanner les yeux d’un suspect ou vérifier ses empreintes digitales, et comparer ces données avec celles stockées en Virginie Occidentale - avant de décider - pour reprendre les termes de Duong - « Est-ce que je le lâche, est-ce que je le mets en détention ou est ce que je l’abats sur le champ ? »
Robert Parry
Robert Parry, journaliste américain, a travaillé durant les années ’80 à Newsweek et Associated Press pour qui il a couvert l’actualité du Moyen-Orient. En 1995 il a fondé avec Robert Solomon le magazine d’investigation Consortium News. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la politique étrangère des Etats-Unis.
– Source : Consortium News www.consortiumnews.com
– Traduction : A l’Encontre www.alencontre.org
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Silence total sur le million d’Irakiens tués sous l’occupation américaine, par Patrick Martin.