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Des agents du gouvernement haïtien soutenus par les Etats-Unis sont accusés de massacre (The Canary)

Au cours des dernières semaines et des derniers mois, des Haïtiens ont posté des vidéos effroyables sur les médias sociaux et sur WhatsApp. Des vidéos du quartier de La Saline à Port-au-Prince montreraient de nombreux meurtres commis par des groupes paramilitaires soutenus par l’état entre le 11 et le 13 novembre. Un groupe local de défense des droits de l’homme a déclaré que 59 personnes auraient été tuées, tandis que certains résidents locaux et certains politiciens de l’opposition revendiquent un nombre de morts encore plus élevé.

Étant donné que Washington soutient le gouvernement haïtien actuel, les médias grand public n’en ont pas beaucoup parlé.

Un passé de résistance et de répression

Communauté balnéaire, La Saline a longtemps été un foyer de résistance contre les politiciens de droite du pays. En 1957, les forces militaires haïtiennes ont attaqué les habitants du quartier car ils avaient soutenu le chef de gauche, Daniel Fignolé. Le 11 septembre 1987, des forces paramilitaires et l’armée ont massacré les fidèles d’une église de La Saline, qui étaient contre les « néo-duvaliéristes » de droite au pouvoir. Le quartier a également été systématiquement visé par les régimes de Raoul Cédras (1991-1994) et de Gérard Latortue (2004-2006), institués par des coups d’état. Ce dernier a conduit à plus d’une décennie d’occupation onusienne. Et à la fin de 2016, lorsque les forces gouvernementales ont attaqué des manifestants au gaz lacrymogène dans la communauté, trois bébés seraient morts par asphyxie.

La Saline abrite les ruines de Saint Jean Bosco, la paroisse de l’ancien président progressiste Jean-Bertrand Aristide. Ancien prêtre, il a été renversé à deux reprises : lors d’un coup d’état soutenu par la CIA en 1991, puis par un coup d’état soutenu par les États-Unis en 2004, ces deux événements ayant entraîné la mort de milliers de personnes. La paroisse est connue comme étant le lieu du massacre de 1987 ; et, depuis des années, ses ruines servent de point de départ à des manifestations qui se déroulent ensuite dans toute la capitale, un nombre incalculable de personnes sortant ensuite de Delmas, de Cité Soleil, de Bèl Air et d’autres quartiers.

Les violences récentes

Le Haiti Information Project décrit les violences les plus récentes :

La dernière vague de violence a commencé le 17 octobre lorsque la police a vraisemblablement tué des manifestants. Et la police a continué tout au long du mois à intensifier ses tactiques d’intimidation contre les manifestants :

Le 31 octobre, des obsèques pour des manifestants assassinés ont eu lieu dans le quartier populaire de Bèl Air à Port-au-Prince. La police aurait ouvert le feu, provoquant ainsi de nouvelles tueries aux mains de l’état et de manifestations. Et les personnes assistant à l’enterrement ont été brièvement coincées.

Les manifestants ont réagi en bloquant les intersections principales dans le quartier de Bèl Air.

En revanche, l’état a répondu aux manifestations avec une force brutale, en mobilisant de nouvelles forces à réaction rapide, qui incluraient un contingent de mercenaires. Comme je l’ai expliqué de manière très détaillée, des groupes paramilitaires de droite ont été directement incorporés dans la police du pays après le coup d’état de 2004. Comme on pouvait s’y attendre, depuis lors, la police du pays est devenue une pépinière pour les voyous de droite :

La police aurait visé des étudiants qui protestaient contre le manque de financement du gouvernement pour l’éducation, et ils auraient assassiné un étudiant leader à ce moment-là.

Le massacre de La Saline

Les meurtres commandités par l’état ont atteint leur paroxysme entre le 11 et le 13 novembre avec le ‘massacre de La Saline’. Les habitants ont affirmé que 60 à 100 personnes avaient été tuées. Un rapport sur les droits de l’homme a révélé que 59 personnes avaient été torturées et assassinées, deux autres portées disparues, sept femmes violées et cinq personnes blessées. Il a ajouté que :

« Cent cinquante (150) maisons ont été fouillées, vandalisées, criblées de balles ou incendiées. »

Selon un commentateur (avec de nombreux contacts sur le terrain), la violence aurait été provoquée par des hommes armés soutenus par le gouvernement, portant des uniformes de la police de la BOID (Brigade d’opération et d’intervention départementale) et circulant à bord de véhicules neufs. Il a continué ainsi :

« En outre, certains des membres connus du groupe de la Base Nan Chabon dirigé par Serge Alectis (connu sous le nom de Ti Junior) étaient dans le même groupe de mercenaires vêtus de leurs uniformes. »

De nombreuses photos sont apparues en ligne, elles montrent des unités paramilitaires lourdement armées agissant aux côtés de ce qui semble être des mercenaires.

Les coups de feu tirés d’une voiture sur des résidents par des gangs pro-gouvernementaux se sont poursuivis dans le quartier, alors que des responsables de l’état ont affirmé que les forces de sécurité combattaient des gangs.

Alors que les images atroces du massacre se propageaient sur les médias sociaux, du 18 au 20 novembre, des manifestations antigouvernementales à grande échelle se sont propagées au Cap Haïtien, à Jérémie, à St Marc et à Hinche, avec des barricades à Jakmel et dans de nombreuses autres villes, et une grève générale en cours.

Et les violences commanditées par l’état se seraient vraisemblablement poursuivies.
Le 21 novembre, un groupe de manifestants sur la Route de l’Aéroport de Port-au-Prince aurait été écrasé par une voiture portant une plaque d’immatriculation officielle.

Quelques jours plus tard, de violents affrontements ont éclaté au poste-frontière haïtien de Malpasse, entre la population locale et la police des frontières.

Le contexte

Les manifestants se sont rassemblés autour d’une campagne anti-corruption pour exiger que les dirigeants du gouvernement se retirent et soient tenus pour responsables de leurs crimes.
Après des mois de manifestations populaires, une campagne en ligne a été lancée pour attirer l’attention sur le vol de fonds que le gouvernement haïtien avait acquis dans le cadre de l’accord PetroCaribe mis en place par le gouvernement vénézuélien pour aider le peuple haïtien. Outre la corruption du gouvernement, la corruption a également sévi parmi les ONG qui ont collecté beaucoup de fonds à la suite du séisme dévastateur de 2010.

Le gouvernement de droite PHTK (Tèt Kale) d’Haïti, dirigé par le président Jovenel Moïse, est arrivé au pouvoir à la suite d’élections controversées, avec des allégations de suppression massive de votes. Seuls 18% des électeurs ont participé à l’élection, ce qui semble être l’un des taux de participation les plus bas (sinon le plus faible de tous) de toutes les élections présidentielles dans le monde au cours des dernières années. Il fait maintenant face à une crise de légitimité.

[NOTE : L’élection de Moïse en 2016 et celle de son allié et prédécesseur Michel Martelly en 2011 contrastent de manière significative avec les élections qui ont précédé le séisme au cours des deux décennies précédentes, où 50 à 60% de l’électorat se présentaient régulièrement aux élections présidentielles.]

Instabilité et mécontentement croissants

Alors que les manifestations anti-corruption s’intensifiaient ces derniers mois, la répression menée par l’état a vraisemblablement été brutale, et certains prédisent une nouvelle agitation politique au cours de l’année à venir.

Par exemple, de nombreux enseignants du pays n’ont pas été payés pendant de longues périodes. Pendant ce temps, la police aurait agressé des journalistes couvrant les récentes manifestations. Les avocats sont également en grève pour protester contre les violences policières. Les chauffeurs de taxi et de motocyclistes se sont également joints au mouvement par solidarité. Le gouvernement fait face à une colère grandissante, les plaintes concernant les systèmes de stockage des ordures ménagères et des déchets étant de plus en plus nombreuses.

Les victimes des récentes violences de l’état ont indiqué que les attaques étaient clairement ciblées politiquement et visaient les quartiers qui constituent une base de soutien pour les opposants au gouvernement PHTK (qui entretient des relations étroites avec Washington et l’ONU).

Au lendemain des dernières violences commises par l’état, l’ambassade américaine de Trump à Port-au-Prince a salué le « professionnalisme » de la police haïtienne, et a envoyé Kenneth Merten, l’ancien ambassadeur nommé par Clinton, pour conseiller le gouvernement haïtien. En bref, quand il s’agit de contenir les citoyens laissés pour compte d’Haïti, le consensus bipartite de Washington sur la politique étrangère est tout à fait inébranlable.

Après des semaines de violences, Amnesty International a fini par publier une déclaration vague appelant les autorités haïtiennes à éviter « l’utilisation excessive de la force ». Alors que quelques petits organes de presse ont rapporté les attaques, les médias en Haïti sont largement dominés par de puissants intérêts commerciaux. Et les médias internationaux ont également été accusés de fermer les yeux sur ce qui se passait en Haïti.

La situation désespérée d’Haïti continue

La situation est désespérée. Le nouvel « argent du tremblement de terre » qui a afflué dans le pays n’est pas arrivé dans les poches des personnes qui en ont besoin. Une grande partie de la population est structurellement marginalisée et le gouvernement n’investit pas dans les programmes sociaux ou l’éducation. En attendant, la brutalité policière est devenue monnaie courante, notamment dans les prisons du pays ; et en même temps, Haïti est confrontée à nouveau à un problème d’orphelins dans sa capitale, qui reflète son incapacité à investir dans les infrastructures sociales.

Comme je l’ai expliqué récemment dans une interview avec RT : à la suite du coup d’état de 2004 et du tremblement de terre de 2010, des responsables américains et onusiens et diverses élites locales et internationales ont cherché à transformer le pays de manières politique et économique en une plateforme stable pour les sociétés transnationales. Cela a impliqué de mettre à l’écart des acteurs politiques activistes et de reconstituer un appareil paramilitaire, mais qui agit de manière plus flexible et rapide. Et c’est une stratégie meurtrière à laquelle nous assistons maintenant.

Jeb Sprague

Jeb Sprague est un lecturer (Maître de conférences) à l’Université de Virginia. Il est l’auteur de Globalizing the Caribbean : Political Economy, Social Change, and the Transnational Capitalist Class (Temple University Press, 2019) et Paramilitarism and the Assault on Democracy in Haiti (Monthly Review Press, 2012). Il est l’éditeur de Globalization and Transnational Capitalism in Asia and Oceania (Routledge, 2016). Il est l’un des co-fondateurs du Network for the Critical Studies of Global Capitalism (réseau d’études critiques du capitalisme global).

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