Dans mon récent article sur les audiences en cours à Old Bailey concernant l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis, où il serait presque certainement incarcéré pour le reste de sa vie pour le crime d’avoir fait du journalisme, j’ai formulé deux critiques majeures envers le Guardian.
Il y a dix ans, souvenez-vous, le journal travaillait en étroite collaboration avec Assange et Wikileaks pour publier les journaux de guerre irakiens et afghans, qui sont aujourd’hui le motif sur lequel les États-Unis fondent leur argumentation pour enfermer Assange derrière les barreaux dans une prison super-max.
Ma première critique était que le journal avait à peine couvert l’audience, alors qu’il s’agit de l’attaque la plus concertée contre la liberté de la presse de mémoire d’homme. Cette position est incroyablement irresponsable, compte tenu de son propre rôle dans la publication des journaux de guerre. Mais malheureusement, elle n’est pas inexplicable. En fait, elle ne s’explique que trop facilement par ma deuxième critique.
Cette critique s’adressait principalement à deux journalistes de renom du Guardian, l’ancien directeur des enquêtes David Leigh et le journaliste Luke Harding, qui ont écrit ensemble en 2011 un livre qui était le premier exemple de ce qui allait rapidement devenir un genre parmi une partie de l’élite des médias libéraux, plus particulièrement au Guardian, à savoir la diffamation d’Assange.
Dans mon précédent article, j’ai exposé l’animosité bien connue de Leigh et Harding envers Assange - la raison pour laquelle un journaliste d’investigation de haut niveau, Nicky Hager, a déclaré au tribunal de Old Bailey que le livre de 2011 des deux journalistes n’était "pas une source fiable". C’est en partie parce que M. Assange avait refusé de les laisser écrire sa biographie officielle, ce qui était probablement une source d’argent importante. L’hostilité s’est intensifiée et s’est accrue lorsque M. Assange a découvert que, dans son dos, ils écrivaient une biographie non autorisée alors qu’ils travaillaient à ses côtés.
Mais le malaise s’étendait plus généralement au Guardian qui, comme Leigh et Harding, trahissait à plusieurs reprises des confidences et manœuvrait plutôt contre Wikileaks plutôt que de coopérer avec eux. Assange était particulièrement furieux de découvrir que le journal avait rompu les termes de son contrat écrit avec Wikileaks en partageant secrètement des documents confidentiels avec des personnes extérieures, dont le New York Times.
Le livre de Leigh et Harding se trouve maintenant au cœur de l’affaire américaine pour l’extradition d’Assange vers les États-Unis sous des accusations dites d’"espionnage". Ces accusations sont basées sur la publication par Wikileaks de fuites fournies par Chelsea Manning, alors soldat de l’armée, qui ont révélé des crimes de guerre systématiques commis par l’armée américaine.
Inversion de la vérité
Les avocats des États-Unis ont tiré du livre du Guardian les affirmations de Leigh selon lesquelles Assange se montrait dangereusement indifférent à la sécurité des informateurs américains nommés dans les documents publiés par Wikileaks.
L’équipe de défense d’Assange a produit une série de journalistes de renom, et d’autres qui ont travaillé avec Wikileaks, pour contrer les affirmations de Leigh et soutenir qu’il s’agit en fait d’une inversion de la vérité. Assange a fait preuve de méticulosité en retirant les noms des documents. Ce sont eux - les journalistes, dont Leigh - qui ont fait pression sur Assange pour qu’il publie sans prendre toutes les précautions nécessaires.
Bien sûr, aucun de ces journalistes - uniquement Assange - n’est jugé, ce qui révèle clairement qu’il s’agit d’un procès politique visant à faire taire Assange et à neutraliser Wikileaks.
Mais pour étayer leur piètre argument contre M. Assange - à savoir qu’il ne se souciait pas de purger les documents - les États-Unis espèrent démontrer qu’en septembre 2011, longtemps après la publication des journaux irakiens et afghans, Wikileaks a effectivement publié une série de documents - des câbles officiels des États-Unis - qu’Assange n’a pas expurgés.
C’est vrai. Mais cela ne peut nuire à la défense d’Assange que si les États-Unis parviennent à réussir un jeu de diversion - et le Guardian a joué un rôle crucial dans la réussite de cette stratégie. Jusqu’à présent, les États-Unis ont contraint le journal à collaborer dans sa guerre contre Assange et le journalisme - ne serait-ce que par son silence - en faisant effectivement chanter le Guardian avec un secret sombre et profondément embarrassant que le journal préférerait ne pas voir révélé.
En fait, l’histoire derrière la publication par Wikileaks en septembre 2011 de ces documents non expurgés est totalement différente de celle qui est racontée au tribunal et au public. Le Guardian a conspiré en gardant le silence sur la version réelle des événements pour une raison simple - parce que c’est lui, le Guardian, qui a été à l’origine de cette publication.
La trahison d’Assange et le journalisme
Les choses sont cependant devenues beaucoup plus difficiles pour le journal au cours de la procédure d’extradition, car son rôle est de plus en plus examiné - tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle d’audience. Le Guardian a été débusqué et a été incité à publier une déclaration en réponse aux critiques.
Il a finalement rompu son silence mais ne l’a pas fait pour clarifier ce qui s’est passé il y a neuf ans. Au contraire, il a aggravé la duperie et s’est enfoncé encore plus dans la trahison d’Assange et de la liberté de la presse.
Le livre du Guardian de février 2011 que les États-Unis ne cessent de citer contenait quelque chose en plus de l’affirmation très controversée et contestée de Leigh selon laquelle Assange avait une attitude imprudente dans l’expurgation des noms. Le livre a également révélé un mot de passe - qu’Assange avait donné à Leigh à la condition stricte qu’il soit gardé secret - pour le fichier contenant les 250 000 câbles cryptés. Le livre du Guardian a ouvert boite de pandore. Une fois qu’il avait révélé le mot de passe confié par Assange, a-t-on appris lors des audiences, il n’y avait plus de retour en arrière possible.
N’importe quel service de sécurité dans le monde pouvait désormais déverrouiller le fichier contenant les câbles. A la fin de l’été, alors qu’ils cherchaient à savoir où se trouvait le fichier, Assange a été contraint de procéder à une opération désespérée pour limiter les dégâts. En septembre 2011, il a publié les câbles non expurgés afin que toute personne qui y serait nommée soit avertie à l’avance et puisse prendre des mesures - avant que des services de sécurité hostiles ne viennent les chercher.
Oui, Assange a publié les câbles non expurgés mais il l’a fait - et y a été contraint - par les actions impardonnables de Leigh et du Guardian.
Mais avant d’examiner le dénit trompeur du journal, nous devons aborder deux autres points.
Premièrement, il est important de se rappeler que les dommages causés ont été intentionnellement et grossièrement exagérés par les États-Unis pour créer un prétexte pour diffamer Assange et, plus tard, pour justifier son extradition et son emprisonnement. En fait, il n’y a aucune preuve qu’un informateur ait jamais été lésé par les publications de Wikileaks - ce qu’a même admis un fonctionnaire américain lors du procès de Manning. Si quelqu’un avait été blessé ou tué, vous pouvez être sûr que les États-Unis le clameraient lors des audiences et fourniraient des détails aux médias.
Deuxièmement, le rédacteur en chef d’un site web américain, Cryptome, a souligné cette semaine lors des audiences qu’il avait déjà publié les câbles non censurés un jour avant Wikileaks. Il a fait remarquer que les forces de l’ordre américaines n’avaient montré aucun intérêt pour sa publication et ne lui avaient jamais demandé de la retirer. L’absence d’intérêt rend explicite ce qui a toujours été implicite : la question n’a jamais vraiment porté sur les documents, expurgés ou non ; il s’est toujours agi de trouver un moyen de faire taire Assange et de neutraliser Wikileaks.
Les tromperies du Guardian
Chaque fois que les États-Unis citent le livre de Leigh et Harding, ils recrutent effectivement le Guardian contre Assange et contre la liberté de la presse. L’épée de Damoclès au-dessus de la tête du Guardian est une menace qui - si le journal ne joue pas le jeu du gouvernement visant à enfermer Assange pour le reste de sa vie - pourrait soit l’embarrasser en divulguant publiquement son rôle, soit faire subir au Guardian un traitement similaire à celui subi par Assange.
Et, chose assez étonnante, compte tenu des enjeux pour Assange et pour le journalisme, le Guardian a joué le jeu - en se taisant. Jusqu’à cette semaine, au moins.
Sous la pression, le Guardian a finalement publié vendredi un compte-rendu court, sommaire et très simpliste des audiences de la semaine dernière, et l’a ensuite utilisé comme une occasion de répondre aux critiques croissantes sur son rôle dans la publication du mot de passe dans le livre de Leigh et Harding.
La déclaration du Guardian dans son rapport sur les audiences d’extradition n’est pas seulement trompeuse à l’extrême, mais elle enfonce Assange en éludant la responsabilité de la publication du mot de passe. Ce qui rend Assange encore plus vulnérable.
Voici ce qu’écrit le journal :
"Le Guardian a clairement fait savoir qu’il s’oppose à l’extradition de Julian Assange. Cependant, il est totalement faux de dire que le livre sur WikiLeaks du Guardian de 2011 a conduit à la publication de dossiers non expurgés du gouvernement américain", a déclaré un porte-parole.
"Le livre contenait un mot de passe dont les auteurs avaient été informés par Julian Assange qu’il était temporaire et qu’il expirerait et serait supprimé en quelques heures". Le livre ne contenait pas non plus de détails sur la localisation des fichiers. Ni M. Assange ni WikiLeaks n’ont exprimé d’inquiétudes quant à l’atteinte à la sécurité lors de la publication du livre en février 2011. WikiLeaks a publié les fichiers non expurgés en septembre 2011".
Soulignons les mensonges :
1.L’affirmation selon laquelle le mot de passe était "temporaire" n’est que cela - une affirmation de David Leigh destinée à se déculpabiliser. Il n’y a pas de preuve à l’appui, au-delà de la déclaration de Leigh selon laquelle Assange l’aurait dit. Et l’idée qu’Assange l’aurait dit défie toute raison. Leigh lui-même déclare dans le livre qu’il a dû intimider Assange pour que ce dernier lui donne le mot de passe précisément parce qu’Assange s’inquiétait qu’un néophyte en technologie comme Leigh puisse faire quelque chose de stupide ou d’imprudent. Assange a eu besoin de beaucoup de persuasion avant d’accepter. L’idée qu’il était si préoccupé par la sécurité d’un mot de passe dont la durée de vie serait plus courte que celle d’une éphémère n’est tout simplement pas crédible.
2. Non seulement le mot de passe n’était pas temporaire, mais il était de toute évidence basé sur une formule complexe qu’Assange utilisait pour tous les mots de passe de Wikileaks afin de les rendre impossibles à déchiffrer pour les autres, mais plus faciles à retenir pour lui. En divulguant le mot de passe, Leigh a donné la formule d’Assange et a offert à tous les services de sécurité dans le monde la clé pour déverrouiller d’autres fichiers cryptés. L’affirmation selon laquelle Assange avait laissé entendre à Leigh que le secret du mot de passe n’était pas de la plus haute importance n’est, là encore, tout simplement pas crédible.
3. Mais que Leigh ait pensé ou non que le mot de passe était temporaire n’est pas la question. Leigh, en tant que journaliste d’investigation expérimenté et ne connaissant pas bien le monde de la technologie, avait la responsabilité de vérifier auprès d’Assange que le mot de passe pouvait être publié. Faire autre chose était plus qu’imprudent. C’était un monde dont Leigh ne connaissait absolument rien, après tout.
Mais il y avait une raison pour laquelle Leigh n’a pas vérifié auprès d’Assange : lui et Harding écrivaient le livre dans le dos d’Assange. Leigh avait intentionnellement écarté Assange du processus d’écriture et de publication afin que lui et le Guardian puissent tirer profit de la renommée du fondateur de Wikileak. Tout le but de la manoeuvre était de ne pas consulter Assange.
4. Il est cependant faux de rejeter toute la responsabilité sur Leigh. Il s’agissait d’un projet du Guardian. J’ai travaillé au journal pendant des années. Avant qu’un article ne soit publié, il est examiné par les rédacteurs en chef, les rédacteurs adjoints, les réviseurs, les chefs de rubrique et, si nécessaire, les avocats et l’un des rédacteurs en chef. Un livre du Guardian sur la publication la plus controversée et la plus incendiaire depuis les Pentagon Papers aurait dû être soumis à un examen au moins aussi minutieux, sinon plus.
Alors comment personne dans cette chaîne de contrôle ne s’est-il demandé s’il était logique de publier un mot de passe pour un fichier de documents cryptés ? La réponse est que le Guardian s’était lancé dans une course à la publication fracassante des journaux irakiens et afghans avant tous ses rivaux, y compris le New York Times et Der Spiegel. Il voulait s’approprier le plus de gloire possible dans l’espoir de gagner un Pulitzer. Et il voulait régler ses comptes avec Assange avant que sa version des faits ne soit diffusée dans les livres du New York Times ou du Spiegel. La vanité et l’avidité ont conduit le Guardian à prendre des raccourcis, même si cela signifiait mettre des vies en danger.
5. Il est toutefois inquiétant de constater que le Guardian ne cherche pas seulement à blâmer Assange pour sa propre erreur, mais qu’il raconte un mensonge flagrant sur les circonstances. Sa déclaration affirme : "Aucune inquiétude n’a été exprimée par Assange ou WikiLeaks sur le fait que la sécurité ait été compromise lors de la publication du livre en février 2011. WikiLeaks a publié les fichiers non expurgés en septembre 2011".
Il est tout simplement faux de dire qu’Assange et WikiLeaks n’ont exprimé aucune inquiétude. Ils ont exprimé beaucoup d’inquiétudes en privé. Mais ils ne l’ont pas fait publiquement - et pour de très bonnes raisons.
Toute réprimande publique du Guardian pour son horrible erreur aurait attiré l’attention sur le fait que le mot de passe pouvait être facilement retrouvé dans le livre de Leigh. À ce stade, il n’y avait aucun moyen de modifier le mot de passe ou de supprimer le fichier, comme l’a expliqué à l’audience un professeur d’informatique, Christian Grothoff, de l’université de Berne. Il a qualifié Leigh d’"acteur de mauvaise foi".
Assange a donc été contraint de limiter les dégâts discrètement, en coulisses, avant que la publication du mot de passe ne soit connue et que le fichier ne soit localisé. Finalement, six mois plus tard, lorsque les indices sont devenus trop nombreux pour passer inaperçus, et que Cryptome a publié le fichier non expurgé sur son site web, Assange n’a eu d’autre choix que de suivre le mouvement.
C’est la véritable histoire, celle que le Guardian n’ose pas raconter. Malgré les efforts des avocats américains et du juge lors des audiences, la vérité commence enfin à émerger. C’est maintenant à nous de faire en sorte que le Guardian ne soit pas autorisé à poursuivre sa collusion dans ce crime contre Assange et les libertés de la presse qu’il représente.
Jonathan Cook
Traduction "lâches, menteurs, journalistes... cherchez les intrus" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles