Normalement, les Etats-Unis devraient être sortis de l’époque sombre des présidences au scrutin entaché de rumeurs de fraude, des administrations privilégiant la guerre à des milliers de kilomètres (Washington à 9.694,69 km de Bagdad), des gouvernements inféodés aux multinationales, vampires ou tiques selon leur taille, suçant le sang rouge et frais de la population étatsunienne. Normalement.
Ce 27 janvier, Barack Obama s’est avancé, sûr de lui, l’habituelle main tendue vers tous ces élus dont le rôle est de surveiller, critiquer, évaluer la politique de leur président, dans le but unique et définitif de protéger la Constitution de leur pays et surtout, les intérêts du peuple étatsunien.
Pourtant, d’emblée, ce qui frappe est la dévotion. Ce qui pourrait passer pour un signe de politesse et de bonne éducation, dans cet hémicycle du Congrès américain, donne plutôt l’impression d’une soumission sans conditions. Si le respect est requis, où se trouve la véritable opposition, le contre-pouvoir, protégeant le peuple de l’Exécutif, fondement de la démocratie ?
Les lauriers entrelacés autour de piliers, gravés de part et d’autre du drapeau étoilé, derrière le Président et son Vice, évoquant le dieu dollar dans lequel une certaine élite croit encore, donnent le ton.
Des ressorts se cacheraient-ils dans les sièges des Congressmen pour que chaque année, quel que soit la marionnette qui se présente devant eux, quel que soit le programme défendu, de la guerre sans fin ou des litanies de promesses, ces Représentants du Peuple se lèvent comme un seul homme et applaudissent au lieu de rester assis et, sobrement, vraiment, avec ténacité et honnêteté, défendre le peuple qu’ils « représentent » ? Point par point. Sans injures (1) ni motivation électorale, juste la détermination de faire leur travail.
En attendant, le discours de Barack Obama sur l’état de l’Union s’est déroulé sans heurts pour le Président du Changement, une colombe pacifique et blanche planant au-dessus de sa première année de poursuite des guerres illégales, de maintien de la torture dans les trous noirs de la planète, et de promotion des camps d’internement inhumains de Guantanamo et d’ailleurs.
« Nous avons passé une année difficile.
Nous avons traversé une décennie difficile.
Mais nous n’abandonnons pas. Je n’abandonne pas », a-t-il déclaré ce mercredi 27 janvier, pour son premier discours d’Union.
Applaudissements. Position debout, bras tendus des Congressistes, pour féliciter et congratuler. Dans ce monde où les paroles et les mots ont plus d’importance que les actes, plus d’importance que tout le reste, après ses discours d’investiture, son discours au Caire, Barack Obama s’est démené. Il sait bien que tout se gagne avec les mots, les promesses, les tournures de phrase, peu importe si les actes viennent tout contredire, tout discréditer. Il peut compter sur les médias et ceux qui veulent encore désespérément croire au changement dont il usurpe l’image, pour déformer la réalité, lui trouver des excuses, des circonstances atténuantes et ainsi, endormir les inquiétudes de la population.
Mr Obama n’abandonne pas.
S’il a passé une année difficile, que dire des Irakiens qui, s’ils ont bien compris, ont été envahi sur des mensonges et des buts encore inavoués, toujours impunis (2) ?
Des Afghans qui se réveillent tous les jours sous la menace d’un avion sans pilote (drone) qui pourrait avoir choisi leur banquet de mariage pour faire un carton, l’habituel prétexte d’un terroriste dissimulé dans le gâteau étant systématiquement avancé dans les médias occidentaux (3) ?
Des Yéménites, des Somaliens, des Américains du Sud, des Haïtiens, des paysans hindous poussés au suicide par les OGM terminator de Monsanto dont Barack Obama a nommé le Vice président Michael R. Taylor à un poste important de la FDA (la puissante agence fédérale pour les aliments et les médicaments aux USA) (4) ?
Une année difficile, une décennie difficile pour Barack Obama ! Et pour les Irakiens, les Afghans, les Pakistanais ? Fauchés sur place, ou emmenés sur des sites de torture pour être ébouillanté vif, comme en Ouzbékistan qui sous-traite les saletés de l’Union et de son opaque et terrifiante CIA (5).
Barack Obama n’abandonnera pas !
Alors cela ne devrait pas rassurer les six millions d’américains qui n’ont que les coupons alimentaires pour revenu (6), le million et demi d’enfants SDF aux USA (7), les millions de chômeurs grossissant la masse de personnes en très grande précarité, univers de misère en expansion qui pourrait toucher 50 millions d’étatsuniens, aussi démunis que les Mexicains ou les Haïtiens.
Non, la franchise du prix Nobel de la paix 2009, mal interprétée par les médias complices, devrait inquiéter franchement tous ces gens. Car pour le Pentagone, pour les banques et pour la guerre, Barack Obama a assuré des lendemains qui chantent. Uniquement pour eux.
Près de 800 milliards de dollars pour sauver les banques de leur imprudence irresponsable et spéculative en 2008, ayant précipité la crise financière et entraîné la mise à la rue de milliers d’américains. Une bonne raison, comme le dit Barack le 27 janvier, d’avoir détesté ce sauvetage des banques, le comparant à la dévitalisation d’une dent.
A mon avis, lui, il comparerait le massacre « involontaire » de quarante pakistanais innocents réunis pour un mariage à une écho-endoscopie de la prostate (8).
Barack avait bien fait le gros doigt en direction des banquiers qui pourtant, se paieront quand même d’immenses bonus qu’ils jugent mérités (9). Ainsi la banque américaine JP Morgan Chase & Co annonce ce 15 janvier le versement de 9,3 milliards de dollars à ses salariés (source : Le Monde).
Si le président du changement a promis à 46 millions d’américains de se battre pour leur obtenir une assurance-maladie qu’ils n’ont toujours pas, couverture promise au plus tard pour 2014, en revanche, il y a un domaine qui ne souffre aucun retard et qui ne dérange aucunement la « sensibilité » des Congressmen ni d’aucun des sénateurs américains : le budget du Pentagone.
Ainsi, le 28 octobre 2009, le président Barack Obama a signé le décret d’autorisation de la Défense pour 2010, c’est-à -dire le plus gros budget militaire de l’histoire des EU. Il n’est pas seulement le plus gros budget militaire au monde, il est en même temps plus important que l’ensemble des dépenses militaires du reste de la planète : près de 700 milliards de dollars. (10)
En cela, Barack Obama est bien le Président du Changement : il augmente encore le porte-monnaie de la Défense, multipliant par 3 le budget alloué par le guerrier texan G W Bush en 2000 (280 milliards $) faisant du Pentagone la plus grande arme de destruction massive jamais conçue par l’homme.
Mais c’est pour faire la paix. C’est pour accepter les différentes cultures (discours de Caire). C’est pour tendre la main.
Terroriser pour faire disparaître le terrorisme.
Il est bien accepté, même si c’est faux et criminel, qu’il faut bombarder le système immunitaire d’antibiotiques et de vaccins pour faire disparaître les infections (11).
La guerre en Irak coûtera au contribuable américain trois mille milliards de dollars (12).
Joseph Stiglitz, lauréat 2001 du prix Nobel d’Economie, est professeur d’économie à l’Université de Columbia et co-auteur, avec Linda Bilmes, de La Guerre à trois mille milliards de dollars : le véritable coût de la guerre en Irak (The Three Trillion Dollar War : The True Costs of the Iraq Conflict.)
Voilà , faites les comptes. Joseph Stiglitz et Linda Bilmes ont calculé que mille milliards de dollars, soit un tiers du coût de la guerre d’Irak, présentée comme indispensable et juste, auraient pu financer la construction de huit millions de logements, le recrutement de quinze millions de professeurs, les soins de 530 millions d’enfants, des bourses d’études pour 43 millions d’étudiants et une couverture sociale aux États-Uniens pour les cinquante prochaines années.
Tiens, plus besoin d’un combat acharné pour une couverture sociale prévue en 2014 pour la version optimiste et obligeant le président à implorer le congrès, penaud : « Ne vous détournez pas de la réforme. Pas maintenant. » Une larme ? Non, le président maîtrise. Un sourire gagnant et séducteur.
Partir d’Irak ? Vous n’y pensez pas. Après neuf ans d’administration américaine par Paul Bremer et ses milices privées (Blackwater Worldwide, devenu Xe, Triple Canopy), si les soldats US quittaient maintenant le sol irakien, ce serait le chaos, l’anarchie, l’enfer pour les Irakiens (13).
Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, respectivement numéros 1 et 2 du Pentagone et Richard Perle, avaient pourtant bien tous promis que la guerre serait facile, ne nécessiterait jamais cent mille soldats et serait payée par le pétrole irakien à raison de deux, voire quinze milliards de dollars maximum. (14)
Si le fait de stopper la folie irakienne permettait, beaucoup plus rapidement que 2014, d’assurer 96% des Américains de moins de 65 ans, de rebâtir le pays, d’indemniser décemment les victimes de Katrina, de remettre à l’abri les enfants SDF, de garantir les retraites et de relancer l’emploi, monsieur Obama serait véritablement le Président du changement mais cela signifierait déplaire intensément aux dirigeants des Big Five (15) représentées dans toutes les administrations US successives, de Roosevelt au prix Nobel de la paix.
Face aux Big Five, que pèse la population des Etats-Unis ? Que vaut son bien-être ? A elle, la population, de répondre elle-même à cette question, et de tirer ses conclusions. En faisant l’état de l’Union, ce 27 janvier, ni Barack Obama, ni les représentants du peuple américain ne s’interpellent sur ce genre de détails. C’est un fait.
Evidemment, la réalité géopolitique indique que le retrait d’Irak maintenant serait une catastrophe militaire et énergétique pour les Etats-Unis, comme le souligne Noam Chomsky, laissant la voie libre à un grande nation chiite regroupant l’Iran, l’Irak et la partie d’Arabie saoudite où justement se trouve l’essentiel du pétrole saoudien (16).
La maison brûle et l’Oncle Sam est pris à son propre piège, empêtré dans le bourbier irakien. Le vin est tiré, il faut le boire. L’habitant de la maison, la population étatsunienne, devrait être mise au courant. C’est elle qui sera brûlée, paie la bouteille, et n’en boit que la lie.
Barack est bien un peu chahuté, boudé même, quand il reprend à son compte quelques idées républicaines lui faisant dire : « Je croyais que j’aurais plus d’applaudissements avec cette proposition. » Parfois, il est très gentiment bousculé mais dans l’ensemble et selon les termes des médias encore subjugués, il a revigoré la gauche malgré sa défaite récente dans le Massachussetts, a joué sur de multiples registres, a alterné sourire et optimisme, et adopté une attitude « reaganienne » : « Malgré nos difficultés, l’état de notre union est fort » (17).
D’une année à l’autre, que ce soit Johnson, Nixon, Carter, Reagan, Bush père, Clinton, Bush junior et maintenant le premier président noir, Nobélisé de la paix, démocrate à la main tendue, qu’est-ce qui change ?
La durée des ovations ? L’intensité des applaudissements ? Le nombre de représentants quittant leur siège pour se lever et marquer leur soumission, leur dévotion, non pas au président, mais au Système dont ce Président provisoire n’est que la marionnette changeant tous les quatre, au pire tous les huit ans ?
C’est un peu, toujours, la même bande de « copains » qui donnent chaque année un petit spectacle gratuit pour faire croire qu’ils vont changer les choses, puis tout se termine au fond du même verre de bière, et chacun retourne cirer les pompes du lobby qui paie l’éclairage et le mobilier de son bureau.
A l’année prochaine pour faire l’état de l’Union.
Barack Obama, an III.
Encore plus de guerres, de milliards pour le Pentagone et les banques.
Encore plus d’Etats-uniens dans les rues et de drones de par le monde.
Toujours moins d’honneur.
Toujours plus d’espoir.
Certainement.
Pascal Sacré
Notes :
* Traduction : Union des Escrocs d’Amérique ou Escrocs Unis d’Amérique.
(1) Le représentant au Congrès, républicain, Joe Wilson traite Obama de menteur en direct devant le Congrès réuni le mercredi 9 septembre, en rapport avec le projet de réforme du système de santé du président américain :
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/09/10/reforme-de-la-sante-les-etats-unis-decouvrent-le-combattant-obama_1238389_3222.html
(2) http://www.liberation.fr/monde/0101605464-irak-blair-savait-qu-il-n-y-avait-pas-d-armes-de-destruction-massive
(3) http://www.paperblog.fr/2716459/les-drones-americains-ont-massacre-700-civils-pakistanais-en-2009/
(4) Michael R Taylor, the Vice President for Public Policy at Monsanto Corp. from 1998 until 2001 : http://www.organicconsumers.org/articles/article_18866.cfm
Monsanto’terminator : http://www.greenpeace.org/france/news/ogm-monsanto
(5) Rapport de Craig Murray, ambassadeur de Grande-Bretagne en Ouzbékistan jusqu’en 2004 : http://www.reopen911.info/News/2009/11/09/un-ancien-ambassadeur-britannique-la-cia-envoie-des-personnes-se-faire-torturer-en-ouzbekistan/
(6) Etats-Unis : six millions de personnes n’ont que les coupons alimentaires pour seul revenu par Jerry White, http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=16930
(7) Le Dr. Ellen Bassuk présidente du National Center on Family Homelessness a ainsi déclaré que 1,5 millions d’enfants étaient SDF aux USA. Source : http://mwcnews.net/content/view/29970.
(8) Echo-endoscopie de la prostate : examen invasif qui consiste à introduire une sonde d’échographie par le rectum d’un patient éveillé pour visualiser la prostate, glande masculine, à la recherche d’anomalies types adénomes, hypertrophie, cancers…
(9) http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/11/20/des-gros-actionnaires-de-goldman-sachs-mecontents-des-bonus-verses_1269767_1101386.html#ens_id=1270012
(10) http://www.michelcollon.info/index.php?option=com_content&view=article&id=2388:le-budget-du-pentagone-le-plus-eleve-de-tous-les-temps-et-en-augmentation-constante&catid=6:articles&Itemid=11
(11) Selon le dernier rapport alarmant de l’OMS, l’accroissement de la pharmacorésistance pourrait priver le monde des moyens de guérir les malades et d’arrêter les épidémies (OMS, communiqué de presse 2000-41). La résistance bactérienne aux antibiotiques est un phénomène biologique naturel qui est amplifié parce que l’homme utilise trop et mal les antibiotiques dont il dispose.
http://revue.medhyg.ch/article.php3?sid=20791
(12) http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1820&var_recherche=cheney
(13) Le département d’Etat a diffusé un sondage montrant que les deux tiers des habitants de Bagdad souhaitent le retrait des forces états-uniennes ; un sondage de dimension nationale, à un autre moment, donnait un chiffre de 70%. Voilà l’Irak. Si vous vous limitez à l’Irak arabe les chiffres sont encore plus élevés.
(14) http://www.dailymotion.com/video/xb2yfw_vendre-la-guerre-aux-americains-14_news , minutes 19 et suivantes.
Après la fin de […] mars 2009, les effectifs des forces américaines en Irak seront d’environ 138.000 contre 146.000 à l’heure actuelle. Ce nombre avait atteint 160.000 avec l’arrivée des renforts.
(15) The Big Five, les plus gros producteurs militaires aux Etats-Unis, Lockheed Martin, Northrop Grumman, General Dynamics, Boeing, Raytheon.
Guerre et mondialisation, à qui profite le 11 septembre ? Editions Le Serpent à Plumes, 2002, par Michel Chossudovsky. P. 28 Encadré 1.4.
(16) http://www.legrandsoir.info/La-poudriere-du-Moyen-Orient-de-Gilbert-Achcar-et-Noam-Chomsky.html
(17) Le Mensuel, le meilleur du Monde, Corine Lesnes, correspondante à Washington, Février 2010, pp. 44 à 46