www.emagazine.com Mai-Juin 2004.
La nouvelle politique écologique de l’île fait face à des défis.
Les élèves de l’école primaire Los Tumbos, un village niché au beau milieu
de la riche province agricole de Pinar Del Rio, tournent constamment autour
de l’ordinateur que l’école a reçu il y un an. Leur ordinateur fonctionne
sur l’énergie fournie par deux petits panneaux solaires qui scintillent au
soleil entre deux averses de ce début d’été.
A une trentaine de mètres, au-delà des grains de café qui sèchent, se trouve
un édifice alimenté en énergie solaire : la "sala de télévision," la salle
de télévision communautaire de Los Tumbos où les villageois se réunissent
pour choisir entre les trois chaînes de d’état. Chaque nuit, les villageois
descendent des collines, en abandonnant les plantations de cafés soignés
avec un minimum de produits chimiques, pour rentrer chez eux. A 19 heures,
il leur arrive de se réunir entre voisins, dont beaucoup travaillent sur la
même coopérative de café, pour regarder Mesa Redonda, une émission similaire
à Meet The Press.
Los Tumbos est un des milliers de villages ruraux à Cuba équipés d’une école,
d’un cabinet médical, de salas de télévision et d’hôpitaux alimentés par des
panneaux solaires. L’initiative du gouvernement pour équiper Cuba d’énergie
solaire, éolienne, microhyraulique et biologique fait partie des nombreux
programmes qui ont attiré l’attention des gurus du développement durable à
travers le monde, faisant du pays un modèle en matière d’innovations
écologiques.
Dans le même temps, Cuba sous Fidel Castro est toujours la cible des
violentes attaques de la communauté en exil aux Etats-Unis pour la
répression politique et sociale. En contraste, les associations de commerce
et d’exportation états-uniennes font la promotion de l’île comme le prochain
grand marché. Dans les deux camps, les positions envers Cuba et les
prévisions sur l’avenir du pays demeurent mitigées et imprécises. Dans les
communautés les plus pauvres comme Los Tumbos, où les besoins élémentaires
sont à peine satisfaits mais où l’électricité est arrivé pour la première
fois sous forme de panneaux solaires bon-marchés, un avenir meilleur dépend
encore d’une amélioration économique. Tandis que l’économie Cubaine frémit
devant les futures vagues de touristes, du consumérisme, de la production de
pétrole et des importations alimentaires qui se profilent à l’horizon,
l’engagement officiel du pays dans la voie d’un développement écologique
sera mise à rude épreuve.
Peter Rosser, co-directeur de "Food First/Institute for Food and Development
Policy", qui effectue des recherches sur l’alimentation à Cuba depuis le
début des années 90, dit, "Cuba a résisté à trois choses : l’embargo US et
le blocus, la chute de l’empire Soviétique et la révolution verte
industrielle et la globalisation économique qui ont fait tant de victimes
ailleurs dans le monde." De nombreux autres spécialistes cubains et
états-uniens sont d’accord pour dire que le choix d’un développement
écologique est en partie dû à la "periodo especial", ou Période Spéciale, la
phase qui a suivit la chute de l’Union Soviétique et la disparition de son
soutien à Cuba - de 1990 à la fin des années 90.
Carlos Garcia, un océanographe au sein du Ministère de la pêche industrielle
de Cuba, dit que la protection de l’environnement s’est grandement amélioré
durant la Période Spéciale parce que les producteurs ne pouvaient plus
ignorer l’éventualité d’une pénurie des ressources.
Au-delà des panneaux solaires qui parsèment les toitures, il y a d’autres
signes d’écologie. Dans la banlieue longtemps délaissée de Centro Havana,
des jardins organiques urbains, coincés entre deux immeubles décrépits, font
jaillir des légumes frais et des épices à destination des écoles, des
maisons de retraites, des hôpitaux et des restaurants d’entreprise. En 2002,
les Cubains ont produit 3,4 millions de tonnes d’aliments sur les 86.000
"acres" de terres urbaines ; à la Havane, 90% des produits frais de la ville
proviennent des fermes et jardins urbains locaux. Dans la zone de Dry
Tortugas, contrôlé par les Etats-Unis, et où le corail héberge
d’innombrables poissons tropicaux et d’autres formes de vie marine
étonnantes, des scientifiques cubains et spécialistes en ressources
naturelles travaillent en collaboration avec Ken Lindeman, un scientifique
de Défense Environnemental, pour créer deux réserves reliées à un réseau de
plus de 20 parcs marins.
Ces accomplissements en matière d’énergie, d’agriculture et de protection
des côtes sont peut-être sur le point d’être confrontés à des défis sans
précédent. Malgré son engagement à recourir aux énergies renouvelables, le
gouvernement cubain a défini des objectifs ambitieux pour la production
pétrolière pour les deux prochaines années. Selon le Ministère de l’Énergie,
la production de pétrole domestique s’est multiplié par six entre
1991 et 2000. D’ici décembre 2004, le Ministère prévoit que le pays
n’importera plus que 3,7 % de son combustible, malgré le fait que le pétrole
cubain soit riche en soufre et difficile à commercialiser.
Cependant, Bruno Henriquez, du Groupe des Énergies Renouvelables a
CubaEnergia et fondateur du magazine Energia Y Tu, dit "je ne crois pas que
nous (Cuba) pourrions abandonner les énergies renouvelables à cause du
niveau des ressources en pétrole. Nous visons un développement durable et
recherchons des manières plus efficaces d’utiliser l’énergie."
Les rares exportations permises vers Cuba à partir des Etats-Unis par la loi
"Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act (TSRA)" pourraient un
jour exploser, selon de Conseil Economique et Commercial US-Cuba. Et, comme
l’a écrit William Kennedy dans l’introduction du livre "Cuba on the Verge",
"des milliards de dollars d’investissements états-uniens n’attendent que le
signal pour se déverser sur Cuba."
Environ 1,7 millions de touristes ont visité Cuba en 2002. Les écologistes
Cubains et les hommes politiques devront peut-être réconcilier
l’accroissement du tourisme et les nouvelles constructions d’hôtels et
centres et les effets sensibles sur un précieux écosystème côtier. "Il est
encore trop tôt pour prédire les effets à long-terme d’un accroissement
sensible du tourisme," dit Lindeman.
Certains experts cubains en environnement ne voient pas de menace posée par
le commerce international. Rosa Elena Simeon Negrin, Ministre des Sciences,
de la Technologie et de l’Environnement, dit que son ministère a mis en
place un système sophistiqué d’instituts de recherche et de gestion de
l’environnement. "Etant donné l’existence de ces structures, l’écologie
n’est pas un enjeu passager qui serait abandonnée par une amélioration des
conditions économiques," dit elle. "C’est un engagement collectif qui sera
respecté en toutes circonstances, même lorsque le blocus des Etats-Unis sera
levé." Cependant, il manque encore cruellement de savoir-faire dans de
nombreux agences, de même que des outils tels que des ordinateurs, des
télécopieurs [note de CSP : certains ministères cubains sont apparemment mois bien équipés que les "journalistes indépendants dissidents" cubains...]. La constitution des moyens nécessaires sera un enjeu crucial pour la survie à long-terme de toutes ces initiatives écologiques.
Sur le terrain, littéralement dans les tranchées entre deux cultures,
Filberto Samora, qui s’occupe d’un "organoponico" (un jardin potager à
culture organique intense) verdoyant et primé à la Havane, est confiant que
son jardin sera encore là dans l’avenir. "Il fait partie du quartier," dit
il. "Nous avons appris à le gérer avec succès sans insecticides, avec nos
propres semences et composte et l’aide des voisins." Les planteurs de café à
Los Tumbos reçoivent eux aussi une formation de la part de groupes tels que
l’Association des Petits Paysans (ANAP), qui fait appel à des formations de
paysan à paysan pour promouvoir le développement durable.
Au niveau national, les programmes écologiques cubains sont peut-être soumis
à des pressions sans précédent. Mais pour les villageois de Los Tumbos,
l’idée de cultiver un café biologique pour l’exportation, en utilisant
l’énergie solaire, est tout simplement une idée de bons sens économique et
écologique. Apparemment, des deux côtés du détroit de Floride, on cherche à
maintenir Cuba sur le cap du développement durable.
Eliza Barclay
– Traduction : Cuba Solidarity Project
– Pour continuer :
- Organiponicos in Cienfuegos, Cuba : www.dal.ca
- Havana’s Green Revelation : www.oxfamamerica.org
– Lire aussi :
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