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Covid-19 : Pour « sauver l’économie », la BCE a-t-elle réinventé l’« argent fondant » de Wörgl ?

Dans sa dernière vidéo intitulée “ Sortie de crise, records boursiers et monde d’après ”, le banquier d’affaires, spécialiste des marchés financiers, Marc Fiorentino explique en quoi cette crise est différente des autres crises, pourquoi les règles du jeu de l’économie mondiale ont complètement changé, pourquoi les marchés sont aussi « exubérants » et enfin quelle forme prendra la reprise et qui va payer la dette.

Non seulement je n’ai pas d’actions en Bourse mais j’estime qu’il faut supprimer la Bourse et la spéculation qu’elle engendre. Alors pourquoi écouter Marc Fiorentino ? C’est qu’en général les banquiers d’affaire ne mentent pas, étant donné que la confiance est au cœur de leur business. Sans confiance pas d’investisseurs, pas d’actionnaires, pas de profit. Il est donc souvent très instructif de les écouter et cette vidéo est particulièrement instructive.

Une crise inédite

Je résume brièvement la première partie. Selon lui, donc, cette crise est différente des autres crises parce qu’elle n’est pas subie. La crise sanitaire oui, bien sûr, mais la crise économique résulte d’un choix conscient inédit. On n’avait jamais auparavant arrêté volontairement l’économie mondiale. Par ailleurs, c’est la première fois que les Etats et les banques centrales, main dans la main, inondent immédiatement les pays, les entreprises, les salariés, bref tout et tout le monde d’argent magique. « Jamais la réaction n’avait été aussi rapide, aussi démesurée » nous dit-il.

Pourquoi ? Eh bien « on s’est aperçu qu’on pouvait créer du déficit de la dette. Cela a été rendu possible par la déflation structurelle qui garantit que cette énorme arrivée à partir du moment où les banques centrales pouvaient absorber toute la dette ; on s’est aperçu que le pouvoir des banques centrales semblait illimité ».

Alors, « au diable l’orthodoxie budgétaire, aux oubliettes le Pacte de stabilité et de croissance en Europe, au feu la sacro-sainte règle qui voulait que l’endettement gouvernemental ne dépasse pas les 100% du PIB » s’exclame René-Pierre Giavina dans un article de Allnews : “ 2020, annus horribilis ou annus mutandis ? ”

Miracle des miracles, cette distribution inouïe d’argent magique ne crée pas d’inflation, la bête noire de l’UE, la raison invoquée pour mettre en place des politiques d’austérité ravageuses dans l’Union européenne et tout particulièrement en France. Pourquoi ? Parce que, nous dit Marc Fiorentino, on est en déflation : une déflation structurelle liée d’abord à la démographie : vieillissement des populations et chute brutale du taux de natalité, ensuite à la technologie avec l’explosion de la productivité et enfin à la révolution sociétale autour de l’écologie et de la décroissance. A quoi s’ajoute une déflation conjoncturelle provoquée par l’arrêt de l’économie.

Personnellement, je ne m’y connais pas assez en économie pour avoir un avis là-dessus. Donc admettons...

La reprise

Puis Marc Fiorentino attaque la seconde partie de son exposé : la reprise. Là, pas de problème, il décrit, d’une manière moins rageuse que moi évidemment, ce que nous voyons tous : la Chine est repartie dès le mois de mai, et, à l’autre bout du spectre, la France s’enlise dans des mesures contre-productives pour ne pas dire criminelles, en tout cas désastreuses pour l’économie, le seul souci du tout-puissant Manu-a-dit étant de brimer la population pour lui ôter toute envie de se rebeller.

La dette

Et là, nous arrivons à la partie qui m’intéresse, la dette. Marc Fiorentino distingue la dette normale, celle d’avant le Covid et la dette Covid. La dette « classique » est détenue par les banques et donc, selon lui, il faudra la rembourser, mais la dette Covid, détenue par la BCE (banque centrale européenne), ne sera jamais remboursée. Elle sera d’abord « cantonnée », (pour que le pouvoir puisse, selon moi, l’utiliser comme épée de Damoclès contre les populations), et ensuite déclarée « perpétuelle », c’est-à-dire annulée.

Marc Fiorentino a un peu de difficulté à expliquer le tout de passe-passe grâce auquel cette annulation ne lèsera personne tout en profitant au passage à beaucoup de monde et surtout aux plus riches comme d’habitude. Si j’ai bien compris, cela fonctionne en circuit fermé : Moi, la France, j’emprunte de l’argent auprès de la banque centrale qui est moi-même. C’est comme si ma main droite prêtait une somme d’argent à ma main gauche, que je dépensais l’argent et qu’enfin je jetais le papier où j’ai écrit le montant de la somme. Et voilà ! Entre le moment où la BCE le prête à la France et celui où elle annule la dette de la France, cet argent a profité à une multitude de gens, et surtout aux grosses multinationales qui, rassurées et gorgées de fric, peuvent tranquillement continuer à racheter leurs propres actions pour faire monter les cours de la Bourse.

Marc Fiorentino compare, à plusieurs reprises le montage, de la BCE à une pyramide de Ponzi, mais je ne suis pas d’accord. L’image de la pyramide de Ponzi s’applique mieux, à mon sens, à toute l’économie financiarisée dans son ensemble, car sans l’apport incessant de nouveaux marchés, le système s’effondrerait. Ce qui explique pourquoi il est vital de transférer au privé tous les services publics, par exemple.

D’accord, je ne suis pas économiste mais je crois que les économistes-systèmes sont, comme les médecins-systèmes, les plus mal placés pour analyser les effets pervers du système dont ils vivent. Leur pouvoir et leur ambition les aveugle ou parfois, pour les meilleurs, leur fait peur. Je me souviens d’avoir demandé, il y 15 ans, à une économiste d’Attac si on pouvait considérer que l’économie mondiale était devenue une gigantesque pyramide de Ponzi. Elle m’a regardée fixement, mais elle ne m’a pas répondu.

La monnaie fondante de Wörgl

Ce que Marc Fiorentino présente comme une arnaque qui marche parce qu’elle est institutionnalisée, m’a, en fait, rappelé une expérience extrêmement célèbre menée de juillet 1932 à septembre 1933 par Michael Unterguggenberger, le remarquable maire de Wörgl, un village autrichien.

Au moment où Michael Unterguggenberger, un ancien employé de chemin de fer, est élu bourgmestre de Wörgl, l’Autriche, entre autres, pratiquent une politique économique déflationniste aux conséquences sociales dévastatrices.

Claude Bourdet, journaliste à L’Illustration décrit ainsi la situation catastrophique du village dans un article intitulé “ Une nouvelle Mecque économique Wörgl ou l’« argent fondant » ” : « Les finances de Wörgl étaient déplorables. Les impôts ne rentraient pas, il y avait même de lourds arriérés. Le nombre des sans-travail augmentait de jour en jour, la commune ne pouvait même plus subvenir aux impôts fédéraux. L’état des rues était la fable des environs. Sur une maison de Wörgl, on peut encore voir l’inscription : « De tous les maux, le plus cruel, Wörgl, c’est l’état de tes ruelles ».

Le nouveau Maire est un admirateur de Silvio Gesell, un économiste selon qui « Le système du loyer de l’argent réalise de manière invisible et à l’insu du plus grand nombre une répartition du bas vers le haut. Contrairement à l’opinion communément admise selon laquelle ce système est profitable pour tous ceux qui perçoivent des intérêts, seule une petite minorité en tire profit, la majorité de la population étant la victime ou en tout cas le perdant du système.∞ » La solution de Gesell est de « pratiquer une économie de proximité et la solidarité dans une communauté ».

Le maire de Wörgl est aussi un vrai démocrate : « Au conseil municipal de Wörgl, toutes les décisions sont prises à l’unanimité ». C’est donc avec l’accord de tout le village, même du curé, qu’il met en place une monnaie locale complémentaire. La mairie émet « des bons de 1, 5 et 10 schillings, dénommés « bons-travail » qui « passent sous le nez » du privilège d’émission de la Banque nationale ».

Et cela fonctionne à merveille dans le cadre de la politique de déflation pratiquée alors en Autriche. Comme marche à merveille la monnaie complémentaire Covid-19 que les banques centrales ont créée pour le temps de la crise sanitaire, en dehors du circuit bancaire.

À Wörgl, la Mairie introduit les bons à la faveur d’un chantier public. Pour que les villageois dépensent ces bons au lieu de les thésauriser, les bons perdent I% de leur valeur chaque mois. Le village retrouve rapidement sa prospérité et les villageois leur joie de vivre. Le chômage baisse de 25 % alors que sur l’ensemble de l’Autriche, pour la même période 1932-1933, le chômage augmente de 20 %. Les impôts locaux rentrent et le Maire peut faire des travaux d’intérêt général, toujours payés en bons-travail.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Wörgl, son maire et sa monnaie, il y a un très bon petit film intitulé La monnaie miraculeuse.

Les banques sifflent la fin de la récréation

Lorsque l’expérience commence à faire tâche d’huile « 200 autres communes autrichiennes environ voulaient la tenter », les banques, qui voient s’échapper leurs revenus d’usure et leurs moyens de pression, s’émeuvent. Et « sur les instances du Ministère des Finances et surtout de la Nationalbank et de son président Victor Kienböck – derrière lequel se retranche le Chancelier Dollfuss – le tribunal administratif interdit définitivement l’expérience en novembre 1933 ».

Et voilà ! La banque a encore gagné avec le soutien d’un gouvernement à sa solde, et la population est à nouveau réduite à la misère pour assurer ses profits. On connaît la musique...

Le retour de l’austérité

Dans la dernière partie de son exposé, Marc Fiorentino s’alarme de la difficulté de rétablir l’austérité après l’épisode Coronavirus qui a montré aux peuples que lorsque l’argent est libéré de la domination bancaire, il y en a assez pour tout le monde.

A mon avis, c’est plutôt nous qui devrions nous s’inquiéter, car, comme il le dit lui-même, ce sont désormais les banques centrales qui dirigent l’économie. Elles siffleront la fin de la récréation, comme le Chancelier Dollfuss, dès qu’elles seront certaines que la Bourse est sauvée ainsi que les profits des multinationales, sans un regard pour les millions de chômeurs ni les millions de faillites de petites et moyennes entreprises que la gestion de l’épidémie, et non l’épidémie elle-même, a causés. On peut avoir un aperçu du désastre qui nous attend en regardant ce qui se passe déjà aux Etats-Unis où il y a près d’un tiers des petites entreprises de New York en faillite selon Insolentiae !

Pour ceux qui se faisaient encore des illusions, Mediapart nous prévient dans un article intitulé : “ Finances publiques : une commission pour justifier l’austérité future ” que « ∞Jean Castex installe ce 4 décembre une commission qui devra plancher sur l’avenir des finances publiques. Cette décision et la composition de ses membres ne laissent aucun doute sur un futur tournant austéritaire de la politique économique ».

Et devinez qui seront les gagnants et les perdants de toute l’opération ?

C’est encore René-Pierre Giavina de Allnews qui nous l’explique : « La pandémie a en outre creusé le fossé digital et la fracture sociale. Les mesures de relance monétaire ont certes redonné confiance aux ménages et aux entrepreneurs. Mais elles ont surtout été favorables aux investisseurs qui ont bénéficié d’une envolée des marchés boursiers et d’une sensible progression des prix de l’immobilier, deux actifs qui ne sont pas équitablement répartis dans la société. Les mesures de relance budgétaires restent, elles, insuffisantes pour colmater la dégradation du marché de l’emploi, la fragilité des travailleurs les moins formés ou encore le trauma de certains secteurs d’activité. »


Conclusion

En créant la monnaie complémentaire temporaire Covid-19, sous le nom de « relance monétaire », le but des Banques centrales n’était évidemment pas de sauver de la misère et du désespoir la population en lui apportant la prospérité, comme ce fut l’ambition du Maire de Wörgl. Leur but était de sauver la Bourse et « en même temps » d’acheter la paix sociale pour permettre à quelques apprentis dictateurs, et au premier chef Macron et ses sbires, de faire passer, pendant l’épidémie, des mesures « sanitaires » absurdes, tyranniques, angoissantes et destructrices, ainsi que des lois despotiques et liberticides, pour le plus grand profit des milliardaires du CAC 40 auxquels ils doivent leurs postes.

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"Celui qui n’essaie pas, et celui-là seul, a déjà perdu." On a tous déjà manifesté des dizaines de fois. On a tous signé des centaines de pétitions. Mais combien sommes-nous à nous être demandés, lucidement, sans faux-semblant, ce qu’il en était de l’efficacité, et donc, de la pertinence, de nos moyens d’actions traditionnels ? Combien sommes-nous à nous réfugier dans une espèce de pensée magique chaque fois que nous sommes en colère, en nous habituant à considérer nos modes de (…)
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Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire.

Lénine

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