Dans cet esprit, il convient de dénoncer le retour infra-biblique aux vieilles religions de la nature, au « magisme », à la pensée mythique et à un néo-paganisme qui ne demande qu’à servir de socle à un néo-hitlérisme « nietzschéen » et à un libéral-fascisme (guerre économique de tous contre tous : Maastricht !) ; il faut dénoncer non moins fort l’idée capitalo-machiste que la noblesse de l’homme consisterait à violer la nature, à la forcer, etc., bref qu’il faudrait s’abandonner au vertige néolibéral de la « croissance à l’infini » et que spontanément, c’est-à-dire en fait dans le cadre d’un pseudo-marché mondial préempté par les Etats bourgeois et par les monopoles capitalistes, « la science suivra », « la nature encaissera » si bien que toutes deux, supervisées par la Main Invisible du Dieu Marché, nous sauveront toujours à temps. Dans le premier cas, l’homme renonce à son essence, qui est de dépasser le cadre naturel en s’autoproduisant de manière réglée, dans le second il renonce à l’existence ou, ce qui revient au même, il la rend invivable.
En réalité, l’homme, produit tardif et sans doute contingent de l’évolution naturelle (géologique, pas seulement biologique), est une auto-négation de la nature puisque, comme l’écrivaient très lucidement Engels et Marx dans L’Idéologie allemande,
« Les hommes commencent à se distinguer des animaux quand ils commencent à produire leurs conditions d’existence, pas en avant qui résulte de leur organisation corporelle elle-même. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même ».
En clair, c’est parce que l’évolution biologique a produit un être corporellement capable de produire des objets artificiels qui interposent entre le monde et notre corps tout un monde d’outils, de techniques, de langages, donc d’apprentissages et d’héritages culturels divers, que l’homme entre dans le champ culturel et socio-historique sans jamais d’ailleurs cesser d’appartenir par sa chair à l’ordre naturel. Le travail, la technique, la culture qui transforment le monde naturel et qui surajoutent un héritage culturel susceptible de variation rapide (de progrès comme de décadence, rien n’est écrit) à l’hérédité naturelle lentement modifiable, ne sont pas « contre-nature », ils résultent eux-mêmes de la nature et c’est pourquoi nous parlons d’une auto-négation de la nature.
A l’heure de l’Anthropocène, nous en sommes arrivés à un stade historique – histoire de l’homme, mais aussi histoire de la nature travaillée par l’homme – où le devenir naturel, ou plus modestement dit, le devenir de l’environnement naturel de l’homme, peut subir deux avenirs qui s’excluent mutuellement : soit cet environnement est tellement saboté par l’industrie humaine livrée au capital et l’homme finit par disparaître ou par perdre les propriétés naturelles qui lui permettent de s’humaniser, soit l’humanité prend en charge collectivement et solidairement son destin, non seulement pour réduire les injustices, mais pour régler scientifiquement et « responsablement » ses rapports avec la nature. C’est ce que nous pouvons appeler le communisme où, selon Marx, « le développement de chacun est la clé du développement de tous » et où la création de richesse n’est plus fondé sur l’« épuisement de la Terre et du travailleur » mais sur le développement des capacités de chacun, sur la répartition intelligente des richesses et sur la protection commune des ressources naturelles en tant qu’elles permettent le développement humain.
Cela signifierait non pas un « retour à la lampe à huile » mais un progrès sans précédent de nos sciences et de nos techniques, et cela dans un cadre sociopolitique hautement civilisé. Telle est, du point de vue des marxistes, la vraie nature de l’écologie : non pas une idéologie petite-bourgeoise frileuse, punitive et régressive, mais la base techno-scientifique de la maîtrise du rapport homme-nature-culture reposant sur une philosophie rationaliste et dia-matérialiste raffinée de la nature et de l’histoire et sur une conception du monde scientifiquement fondée et articulée à une nouvelle forme d’encyclopédisme scientifique, à cent lieues du savoir éclaté actuel. Montrer que cela appelle une révolution scientifique de même ampleur que la révolution copernicienne et qu’il faut en conséquence exiger des milliards pour la recherche FONDAMENTALE afin de maîtriser des sources plus sûres et moins coûteuses d’énergie, de mieux connaître tous les processus naturels et de les dominer de manière douce, davantage comme ferait un judoka « conduisant » l’action de l’adversaire-partenaire que comme un artilleur écrasant son ennemi à distance et « à la louche », comme font trop de techniques actuelles : et pour cela il faut « re-philosopher » la science, ce qui suppose symétriquement une re-scientifisation de la philosophie (c’est tout l’enjeu MODERNE, pas seulement idéologique et « identitaire » d’une relance du matérialisme dialectique et d’une classification dynamique des sciences appuyée sur une conception matérialiste d’ensemble du devenir naturel).
Au passage, il faudra montrer que la problématique écologique vaut autant pour l’environnement que pour la maîtrise du génome humain, animal et végétal (bioéthique). Montrer que la régulation n’est ni dans le mauvais infini néolibéral (« produis tout ce que tu peux produire qui ramène du profit, la nature et la science paieront la facture !), ni dans le mauvais fini religieux (« touche pas à la, ni à ta nature ! »), mais dans le bon infini d’une régulation culturelle, scientifique et politique par laquelle l’homme veille à reproduire sans cesse les conditions naturelles (dont le génome, maladies génétiques non comprises) qui lui permettent d’être « produit pour l’infinité » (Pascal). L’impératif écologique de la culture est de n’agir jamais d’une manière telle que nous détruisions ce qui, de notre nature – extérieure : l’« environnement » à – ou « intérieure », notre génome, permet le progrès infini de la culture, en un mot, la possibilité naturelle de la liberté.
Nous serions alors dans une négation de la négation bien connue de tous les dialecticiens : l’autonégation de la nature qu’est la culture doit, pour pouvoir se maintenir (« socialisme ou barbarie », disait Engels), se nier au second degré en
1) (re) produisant artificiellement la nature, par exemple en régulant le climat, les flux océaniques, la production d’une nouvelle énergie douce (produisant très peu de déchet et aussi « gratuite » que possible) et pourtant extrêmement puissante, la biodiversité ; c’est tout autre chose qu’une « industrie moins polluante », c’est à terme un recentrage majeur de la production dont l’écologie ne serait plus une marge ou une limite externe mais le cœur de cible de la production ;
2) Symétriquement, en détruisant la nature sauvage en l’homme, c’est-à-dire en l’occurrence le capitalisme et les vestiges de sociétés de classes (esclavagistes, féodales, tribales, phallocratiques, etc.) qu’il entretient derrière sa façade « moderniste » : cela signifie passer de « l’économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée », en clair ce que Hobbes nommait prophétiquement la « lutte de tous contre tous », à une société des « producteurs associés » (Marx) ou des « coopérateurs civilisés » (Lénine) où la production et l’échange seraient collectivement planifiés et où la gestion démocratique hautement instruite des ressources deviendrait la principale activité sociale des hommes, aux dépens de ce que nous nommons le travail – et qui n’est que sa caricature aliénée – et pas nécessairement à l’avantage de ce que nous nommons le « loisir » (ou pire l’ « entertainment » [divertissement] des Anglo-Saxons) et qui n’est que la face inversée de l’aliénation laborieuse. Bref, la prise en compte plénière de la nature dans la culture et dans la production impose symétriquement le dépassement de la nature dans la culture, c’est-à-dire le dépassement de la propriété privée des moyens de production, du chacun pour soi, de la domination impérialiste de nations sur d’autres, et autres vestiges « civilisés » de la pire sauvagerie.
En résumé, le communisme n’est pas un complément « de gauche » à l’écologie, laquelle n’est pas un supplément d’âme végétarien du communisme. L’écologie conçue de manière progressiste est structurante pour le projet communiste qui doit révolutionner, à tous les sens, ancien et moderne du mot, les « modes de production ». Et le communisme est structurant à son tour pour l’écologie, dès lors qu’on ne la conçoit pas stupidement contre la production, mais comme une révolution de la production (et de la consommation).
Georges Gastaud pour www.initiative-communiste.fr site web du PRCF
Notes
* Cf le livre à paraître de Georges Gastaud Lumières Communes, notamment le chapitre VII De la classification dynamique des sciences.
** Abélard a déjà prouvé au Moyen Âge que Dieu lui-même doit poser des bornes à son intervention : il ne peut toucher à ce qui lui permet d’être Dieu. Ici il s’agit si l’on veut des conditions de la « divinité » de l’homme, ou plutôt de sa divinisation à venir : n’agis jamais d’une façon telle que tu détruises les conditions de ton autocréation, en clair, de ta liberté. Rappelons qu’il y a des conditions naturelles à l’histoire et à la liberté : bipédie et redressement vertébral, développement parallèle de la main, du cerveau et du larynx, reproduction sexuée s’accompagnant de la prohibition de l’inceste et du re-battage de matériel génétique qu’elle permet en permanence. Pour que Dieu puisse créer, il faut qu’il ne puisse SE créer ou plutôt, qu’il ne se recrée que dans les conditions qui permettraient sa toute-puissance (par ex. il ne peut faire le mal sans se contredire et se détruire ; bien sûr à appliquer à l’homme futur).
A suivre
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