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Contre la guerre : le mouvement qui n’ose dire son nom en Israël (The Guardian)

Exprimer son opposition à la guerre de Gaza peut être difficile en Israël, où Gideon Levy dit que les gens ont abandonné leur « progressisme » aux frontières de 1967

Gideon Levy (célèbre journaliste au grand quotidien israélien Haaretz - NdT) ne veut pas me rencontrer dans un café de Tel-Aviv. Il en a marre de se faire harceler en public et cracher dessus, et des gens qui ne veulent pas partager la table à côté de lui dans un restaurant. Il en a marre aussi de la présence constante de ses gardes du corps, ne serait-ce que parce que eux aussi ont commencé à lui rendre la vie difficile au sujet de ses opinions politiques. Il ne sort donc plus beaucoup alors nous sommes tranquillement assis dans son salon, à quelques centaines de mètres du Centre Yitzhak Rabin. L’assassinat de Rabin par un Juif orthodoxe d’extrême-droite en 1995 est un triste rappel du coût personnel à payer pour la paix in Israël.

Dans ses chroniques dans Haaretz, Levy appelle depuis longtemps à une plus grande empathie israélienne envers la souffrance des Palestiniens. Il est un commentateur de gauche bien connu, et l’un des rares à oser s’exposer. Il a donc l’habitude des critiques de la droite. Mais cette fois-ci, c’est différent. Yariv Levin, président de la coalition du Likoud-Beytenu à la Knesset, a récemment appelé à le juger pour trahison - un crime qui, en temps de guerre, est punissable de la peine de mort.

« Il est temps ne de plus tolérer de tels phénomènes ignobles », a dit Levin en parlant de Levy. Peu de temps après cette entrevue, Eldad Yaniv, un ancien conseiller politique de l’ex-Premier ministre Ehud Barack, a écrit sur sa page Facebook : « Feu Gideon Levy. Il faudra s’y habituer ».

Le crime impardonnable de Levy est sa vive opposition à la guerre et au bombardement de Gaza. Selon de récents sondages, le soutien à l’opération militaire dans la bande de Gaza parmi le public juif israélien se situe quelque part entre 87% (Canal 10 News) et 95% (Israel Democracy Institute). Même ceux qui sont secrètement contre la guerre sont prudents quant à exprimer leur opinion ouvertement.

Ainsi, l’opinion publique a piqué une crise lorsque Levy a attaqué ceux qui bombardent la bande de Gaza en inversant la phrase en hébreu bien connue « Hatovim La tayyis » - ce qui signifie : les meilleurs vont à l’armée de l’air - en écrivant « Haraim La tayyis » : les pires vont à l’armée de l’air. Même en temps de paix ce serait considéré comme une déclaration provocatrice, une hérésie contre ce que Levy considère comme la véritable religion d’Israël : la sécurité militaire. Mais dans l’ambiance actuelle, ce n’est pas le genre de chose que vous pouvez facilement dire à voix haute .

Même La Paix Maintenant, l’épine dorsale du mouvement de la paix israélien, a été remarquablement prudente, en évitant soigneusement de participer officiellement à des manifestations publiques. La Paix Maintenant fut fondée en 1978 par d’anciens membres de l’armée qui sont devenus de farouches défenseurs de la paix avec l’Egypte. Elle a permis de mobiliser 10% de la population israélienne - quelque 400.000 personnes – pour manifester contre la guerre de 1982 au Liban. Mais maintenant, elle n’est que l’ombre d’elle-même.

« Ce qui est différent cette fois-ci, c’est l’esprit anti-démocratique. Une tolérance zéro à toute critique, une opposition à toute forme de sympathie pour les Palestiniens », dit Levy. « Ce ne sont pas les 95% [en faveur de la guerre] qui sont surprenants, mais les 5%. C’est presque un miracle. Les médias ont un rôle énorme. Étant donné les décennies de diabolisation des Palestiniens, d’incitation à la haine, il n’est pas étonnant que les Israéliens en soient là ».

«  Alors, à quoi sert un mouvement de la paix s’il refuse de condamner une guerre comme celle-ci ? » demande-je à Mossi Raz, ancien secrétaire général de La Paix Maintenant. Certaines personnes ont manifesté, m’assure-t-il ; 6000 sont sorties dans la rue il y a 15 jours (et ont été traités de « sales Israéliens » par la contre-manifestation de droite). Et dans les circonstances actuelles, 6000 est un exploit. Mais il admet que les mouvements traditionnels de protestation et les partis de la gauche se taisent lorsque les sirènes se mettent à hurler.

« Les gens ont tendance à manifester lorsque la guerre est finie », explique Raz. Et il s’attend à ce que la même chose se reproduise. Au début de la guerre de 1982, avant les fortes mobilisations, les sondages donnaient 86% de soutien à l’action militaire. Mais en temps de guerre, l’opposition est considérée comme une trahison, c’est comme se ranger du côté de l’ennemi. Les gens vont protester contre le gouvernement, mais pas contre les militaires. Je lève un sourcil à l’idée de ne protester contre une guerre que lorsqu’elle est finie. Il hoche la tête avec une certaine exaspération et me demande, en plaisantant : « Alors, on la fait cette manif contre la guerre des Malouines ? »

Amos Oz, la grande conscience littéraire d’Israël, m’explique que le mouvement de la paix a reçu un coup dur, il y a huit ans, quand Ariel Sharon a retiré l’armée et les colons de Gaza et que la situation s’est aggravée. « Depuis, 10.000 roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza. » Les Israéliens modérés ne croient plus à l’échange de la terre contre la paix. Pour lui, l’opération militaire actuelle est « excessive mais justifiée » et il est méprisant envers la réaction des Européens. « C’est le problème avec les Européens. Ils lancent une pétition puis vont se coucher la conscience tranquille. » - quelque chose qu’il explique en référence à l’histoire européenne. J’ai l’impression qu’il me cherche. Mais comme je sais qu’il est alité avec un problème au genou, je ne mords pas à l’hameçon.

Il poursuit : « L’histoire de la guerre au 20ème siècle a fait que les Européens voient les choses en noir et blanc, comme un film hollywoodien, avec de bons et de méchants. Mais c’est plus compliqué que ça. ». Oui, il condamne le gouvernement Netanyahu et toute la liste d’inactions et d’occasions ratées. Oui, l’opération à Gaza est disproportionnée. « D’un point de vue, ça ressemble à une histoire de David contre Goliath, Israël étant le Goliath impitoyable et les Palestiniens étant le pauvre petit David. Mais si vous le voyez comme le conflit entre Israël et l’ensemble du monde arabe, qui a est David et qui est Goliath ? »

Je tente d’entraîner Oz hors de ses sentiers battus en parlant de poésie israélienne, pour essayer de l’attaquer sous un autre angle. Je lui dis que j’ai toujours aimé le poème de Yehuda Amichai « à l’endroit où nous avons raison, jamais ne pousseront de fleurs au printemps » Il est d’accord. C’est un poème merveilleux. « Tous les couples mariés devraient avoir ce poème au-dessus de leur lit, » dit-il. Et puis il dit quelque chose qui me parait être un véritable changement de position. Auparavant, il décrivait le conflit israélo/palestinien comme une tragédie de Sophocle autour d’une terre réclamée par deux parties dans leur bon droit ; comme une bataille, disait-il, de « droit contre droit ». Mais maintenant, dit-il, c’est une bataille de « mal contre mal ». Personne n’est plus dans son droit. C’est une forme d’opposition aux allures d’homme d’État. Mais pas très catégorique.

« Amos Oz n’est pas encore prêt à admettre toute la culpabilité d’Israël », explique Levy. « C’est un véritable homme de paix, mais il fait partie d’une autre génération, la génération avant moi. Il a grandi dans un Etat faible, qui luttait pour sa survie, créé à partir de rien. C’est de là qu’il vient ».

Cette sorte d’auto-critique mesurée est rare, mais compréhensible étant donné le genre de déclarations qui passent dans les grands médias en Israël. La plupart des journaux et des chaînes de télévision sont tout simplement les pom-pom girls du gouvernement, servant en permanence un régime composé de peurs et de héros tombés au combat, avec peu de couverture des atrocités commises dans la bande de Gaza. Le problème, c’est que les Israéliens ordinaires n’ont pas grande idée de ce qui se passe. Je sais beaucoup plus sur ce qui se passe à Gaza lorsque je suis assis à Londres que lorsque je suis à Tel-Aviv. Devant un tel niveau de manipulation de l’information, comment les Israéliens ordinaires pourraient-ils être critiques ?

Plus tard, je vais boire un verre à l’appartement d’un ami à Tel-Aviv avec un groupe de militants de gauche dans la tranche d’age 20/30 ans, genre membres d’ONG, avec qui je pensais partager mon exaspération. Erreur, car j’ai surestimé nos points communs. Je demande si leur crainte des roquettes est réellement justifiée, étant donné qu’en Israël on avait plus de chances de mourir dans un accident de voiture qu’entre les mains du Hamas. Il y a un flottement. Le sujet est sensible. Ils ont des proches en uniforme dans la bande de Gaza. Chose que je comprends tout à fait. Mais tout à coup je me sens comme un étranger. Je n’ai pas compris qu’il s’agit d’une menace existentielle, disent-ils. « Les gens abandonnent leur progressisme devant la ligne verte [la frontière de 1967], » m’avait prévenu Levy. « Les jeunes sont les pires. Plus ignorants. Ayant subi plus de lavage de cerveau. Ils n’ont jamais rencontré un Palestinien de leur vie. »

Ce qui n’est pas le cas pour ce groupe. Mais même ici, le désir de justice sociale ne semble pas faire le lien entre la pauvreté en Israël et le grand coût financier de l’occupation, et encore moins de permettre une empathie avec le sort des Palestiniens. Si je ne suis pas avec eux, je suis contre eux. On me fait sentir que je suis un peu comme un apologiste du Hamas. Une idée me vient : peut-être que je devrais me taire pour ne pas pourrir la soirée. De toutes les choses vues au cours de mon voyage, ce fut la conversation la plus déprimante de toutes.

Giles Fraser

Traduction "bon, ben, s’ils comprennent pas, y’a plus qu’à leur faire comprendre" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.theguardian.com/world/2014/aug/06/gaza-israel-movement-that...
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