[ Parce que ce NON a une base matérielle,une base de classe, celle d’un salariat attaqué de toutes parts, il est un terreau pour l’union, pour un large rassemblement. Il est effectivement un espoir autour duquel se rassemblent au-delà des étiquettes, tous ceux qui à gauche refusent l’impérialisme, le néo-libéralisme, la mise en concurrence, la fin des solidarités, et le mépris dans lequel on tient leur opinion. ]
Cher Hervé,
Il y a beaucoup de choses dans ce que vous écrivez avec lesquelles je suis
d’accord. Mais je pense que la question des partis politiques de gauche,
des syndicats, doit être posée dans un phénomène plus global de rupture
entre la base et le sommet.
La direction actuelle du PCF, à l’inverse de
Bernard Thibault et de Le Digou, a fait le bon choix, celui du vote NON.
Qu’il y ait eu dans ce choix, comme vous le pensez une part de calcul,
rassembler les NON pour les offrir en 2007 au PS, est possible. Va dans ce
sens deux choses, l’obstination à répéter "Europe, Europe" en "sautant
comme des cabris" alors que le sujet est l’Union Européenne et
l’affirmation réitérés qu’après la parenthèse du référendum on se
retrouvera avec Hollande. Il y des choses plus fondamentales... Le
seul ennui est que si le NON perd ce sera par la difficulté à trouver des
porte-parole à sa mesure...
Il y a cette énorme pression médiatique 90% des députés, la quasi totalité
des médias, tous ceux qui ont le droit de "parole", les élites
autoproclamées, se prononcent pour le OUI, viennent heure après heure
pilonner leur opinion. Tout est prétexte à démontrer qu’il faut voter OUI.
Est exigé du personnel médiatique un degré de prostitution rarement
atteint... Le NON est stigmatisé, il ne peut émaner que de "ringards", de
fachos, ou de communistes, ce qui tend à être dans cette propagande à peine
différent.
Mais a-t-on bien pris la mesure de ce sur quoi s’enfle et résiste le NON ?
D’abord le fait qu’il s’ancre sur un vécu... Il a une base matérielle. Le
pouvoir d’achat baisse pour l’immense majorité de la population à travers
deux phénomènes, la pression sur l’emploi et la hausse des prix, en
particulier sous l’influence de l’euro. C’est vrai pour les populations les
moins qualifiés, mais ça l’est pour d’autres. Ainsi le magazine Capital
montre que si les cadres, les managers, ont connu en 2004 des hausses de
revenus de l’ordre de 27%, le salaire réel des enseignants a baissé de - 4%
. Tous ceux qui ne sont pas en situation de négocier leurs salaires à la
hausse, des ouvriers, employés aux gens de la fonction publique et aux
retraités, ont subi ce choc...
Voilà résolue la vieille question théorique des années 60 sur la
paupérisation absolue : quand le capital n’a pas de frein à son accumulation
il tend effectivement vers la paupérisation absolue, ne se préoccupe plus
de "nourrir la vache qu’il doit traire"... Et chacun découvre avec
stupéfaction qu’il n’y a plus de garanties devant cette voracité... Ce
qu’il sera peut-être demain obligé d’accepter...
La corruption des "élites" :
A contrario, il existe comme dans les pays du Tiers-monde, non seulement
d’immenses fortunes, une bourgeoisie compradores, apte à vendre pays,
population, mais également une couche sociale encore abondante qui
bénéficie de la mondialisation. Y compris à cause de la baisse de niveau de
vie de la majorité qui se met à son service, lui offre les moyens de
participer à sa manière à une vie de luxe, à moindre coût, à eux les
appartements dans le centre, les meubles, vêtements, voitures simili-luxe,
le "goût", les résidences secondaires, le tourisme à l’étranger, les repas
fréquents au restaurant, etc... En plus avec la pression sur les salaires,
le coût de cela devient moindre, on est mieux "servi". C’est cette
participation à la curée qui est présentée comme "la modernité", qui se
confond avec "les oeuvres", la "culture", ce que reflètent les
pseudo-intellectuels à la Bernard henri Levy et tout le système
d’auto-promotion de la médiocrité... Certes ce sytème méprise le "peuple",
les ouvriers, les employés, mais cela va bien au-delà , non seulement les
jeunes diplômés sans travail, précarisés, mais même la masse des
travailleurs de la fonction publique, les enseignants, chercheurs,
urgenciers, etc.... le savoir besogneux et mal payé, méprisé, alors
qu’aujourd’hui c’est seulement sur le haut niveau de conscience de ses
personnels que se maintiennent un système éducatif et de santé attaqués de
toute part...
Dans une certaine mesure cette division coincide avec la répartition de la
population dans l’espace. Paris en est la caricature, mais dans la plupart
des grandes villes, le même phénomène est à l’oeuvre. Chassé de l’emploi,
des centres, des équipements, la grande masse de la population n’existe
plus aux yeux des "élites". A chaque élection, stupéfaits, ils découvrent
cette existence. Le vrai problème est qu’ils vivent en autarcie et ne
voient plus rien d’autres qu’eux-mêmes... C’est une corruption profonde...
Dans lequel le personnel politique baigne... Du moins les leaders de
partis... Il suffit de voir certains maires de grandes villes, je pense à
Marseille, le peuple leur déplaît : pas de problème, il suffit de changer de
peuple pour changer "l’image" de la ville, en faire une valeur commerciale
"attractive", une façade pour l’american cup... Et encore lui au moins est
de droite... Toute proportion gardée cela fait songer à ce général
guatémaltèque formée à l’École des Amériques qui expliquait que pour
résoudre les problèmes il suffisait de tuer 30% de la population qui
créaient le désordre, refusaient "le rêve américain". Il y a eu 150.000
morts au Guatemala, et cela continue en Amérique centrale on y tue les
"enfants dangereux"... En France, on se contente de les repousser hors de
l’emploi, du logement... Et de les accuser d’être des "violeurs", des
voleurs, des terroristes en puissance, le tiers monde dans le pays comme
entre l’ouest et l’est de l’Europe... Tout cela pour que Bolkenstein ait
son plombier polonais dans sa résidence secondaire française...
Mais il n’y a pas qu’eux, des gens comme le maire de Paris, Jack Lang et
Fabius, même s’ils sont de "gauche" suintent ce mépris de leur "clientèle"
et ils traînent derrière un carnet d’adresses prestigieuses, un cortège de
"bons sentiments", des bobos, des bourgeois bohèmes, qui heurtent
doublement les sentiments populaires... En leur donnant des leçons
d’humanisme et en agitant des propositions creuses...
La quasi-totalité de la presse, les hebdos fonctionnent sur ce modèle,
paillette et strass, l’objectif, "vendre à des gens que l’on méprise"...
Se gonfler de phrases creuses que l’on prétend "humanistes", alors qu’elles
ne sont que du "vent" par rapport aux problèmes vécus, un drapé ornemental
de l’injutice. Confondre l’Europe avec l’Union Européenne pour mieux nous
faire accepter l’exploitation, l’oppression, la vassalisation aux
États-Unis... s’ils sont tous Américains, comme le disait Colombani, le
directeur du Monde, c’est parce qu’ils ont choisi de maintenir leurs petits
privilèges face à tous les opprimés, ici et ailleurs et donc se sentir
rassurés par les gros biceps de Rambo... Fermer les yeux sur Guantanamo,
sur les centres de torture dans le monde, sur le massacre des civils
irakiens, taire les massacres de paysans, de syndicalistes en Colombie, la
terrible misère de continents entiers, pour lancer des campagnes sur les
cibles désignées par la CIA... Et ils nous parlent de Démocratie, de Droits
de l’Homme, cautionnent les éléctions en Irak, suivent RSF, alors qu’ils ne
peuvent ignorer qui est le personnage... L’aveuglement a des limites, celle
d’un rempart accepté autour de leurs privilèges... Ici comme ailleurs,
alors même qu’ils censurent, ne laissent pas la moindre place à une autre
opinion... Dans le débat sur l’Europe comme sur le vaste monde... Pour
pilonner le OUI, comme il le font, il faut une dose inroyable de cynisme,
de conviction de sa toute puissance sur l’opinion et de mépris intégral de
ceux à qui on s’adresse...
Le personnel politique ou syndical est pris dans le tropisme médiatique
qu’il confond avec "l’opinion", il s’agit de se faire accepter, d’avoir
"pignon sur rue". L’UE, son fonctionnement opaque, le fric répandu
abondamment sur ceux qui accèdent aux couloirs feutrés de Bruxelles, les
réunions communes avec un patronat "éclairé", les détachent de la réalité,
et ce d’autant plus que les liens avec une base militante sont disjoints.
En ce sens l’UE est devenu un symbole, non seulement des difficultés de
vivre pour le peuple, mais du mépris dans lequel on le tient...
Francis Huster, la bande à Ruquier, et tout le carnet d’adresse de Jack
Lang, plus Cohn Bendit, Christine Okrent peuvent venir dire qu’il faut
voter OUI, utiliser un vol d’avion et même le retour de "la bonne humeur"
printannière pour inciter au OUI, il suffit des émoluments du patron de
Carrefour et de la proposition faite à des ouvrières d’aller travailler en
Roumanie pour une centaine d’euros, pour que chacun reconnaisse sa place...
Son vécu...Et la menace qui pèse sur son avenir et celui des enfants...
Quelle que soit l’ issue ...
Quelle que soit l’issue du référendum, les gouvernants y compris ceux des
partis, les "élites", devront faire face à des gens qui sont moins aptes
que jamais à la résignation, et qui récusent mépris et propagande. On dit
qu’une situation est révolutionnaire quand ceux d’en bas refusent à obéir à
ceux d’en haut. C’est un processus, qui peut se dérouler sur des temps plus
ou moins longs... Parce que l’on ne peut pas faire autrement... Ainsi tous
les historiens ont noté que toutes les tentatives pour empêcher les paysans
de récolter le bois mort des forêts seigneuriales se sont heurtées dés le
XVII e siècle à un refus total. Ce n’est pas un hasard si le premier texte
politique de Marx concerne cette question du bois mort... On peut dire que
l’ébranlement de la Révolution française doit certes à la philosophie des
Lumières, mais aussi à cet obscur refus séculaire des lois de ceux d’en
haut...
L’Union européenne est en quelque sorte devenu le symbole de l’ancien
régime, de ces circulaires, dispositions contraignantes, prises dans le
secret qui empêchent les gens de vivre...
Peut-être s’agit-il d’une évolution encore plus profonde que ce qu’on le
croît, celui qui sous d’autres continents comme l’Amérique latine tente
d’innover de nouvelles pratiques démocratiques, en relation avec le pouvoir
d’État, de nouvelles synergies de savoir... Il est plus intéressant de
s’intéresser à cela que de s’interroger sur ce que pense Fabius, Voynet ou
Buffet... Et en plus cela heurte moins ceux qui continuent à vouloir leur
faire confiance...
Donc même si la direction du PCF saute comme un cabri en criant "Europe",
"Europe" et en pensant peut-être "2007", "2007", (comme d’ailleurs laurent
Fabius et quelques verts), il n’empêche que les militants communistes où
qu’ils soient qui se battent contre le OUI et dont la position se
radicalise d’ailleurs sur le terrain, comme celle des militants
socialistes, sont de plus en plus conduits à dénoncer l’Union Européenne
telle qu’elle est.
L’Humanité a opéré un véritable redressement, il est devenu le journal de
la Résistance.
Certes un jour de tout cela, dans les luttes naîtra une force politique ,
c’est inéluctable, mais nous sommes au début d’un processus... Ne
repoussons pas, intégrons dans la diversité, voyons bien l’ennemi commun.
Parce que ce NON a une base matérielle,une base de classe, celle d’un
salariat attaqué de toutes parts, il est un terreau pour l’union, pour un
large rassemblement. Il est effectivement un espoir autour duquel se
rassemblent au-delà des étiquettes, tous ceux qui à gauche refusent
l’impérialisme, le néo-libéralisme, la mise en concurrence, la fin des
solidarités, et le mépris dans lequel on tient leur opinion.
Je suis comme vous je n’ai jamais cru au PGE, mais le paradoxe est que je découvre d’autres "européens", d’autres syndicats, qui disent NON, et avec lesquels l’union est possible et souhaitable, parce qu’il ne s’agit pas
d’états-majors politiciens, mais de gens qui partagent réellement la même
volonté et nécessité de lutte... Il me semble même que derrière l’Union
européenne je devine des peuples...
Et comme tous ces gens ne sont pas plus bêtes que vous et moi, ils se
rendront bien compte qu’il leur faut des organisations, des dirigeants à la
mesure de leur volonté d’une autre société. Il faut leur faire confiance,
comme d’ailleurs aux militants de la CGT qui doivent faire le ménage sans
casser la confédération, et pour cela il faut éviter de raisonner en terme
d’appareil, de directions, mais rester sur les choix, sur la démocratie au
sens réel du terme, sur la manière dont la situation exige des luttes, des
militants et des dirigeants aptes à les porter. Le NON majoritaire a ce
sens et il est un grand facteur d’optimisme et d’espoir.
Surtout si l’on considère qu’il ne s’agit pas seulement d’un "réveil"
français, ni même européen, ce qui se passe partout dans le monde et que
l’on nous cache, singulièrement en Amérique latine, montrent que nous
entrons dans une nouvelle phase historique où la question du socialisme se
pose en des termes radicalement nouveaux...
José Marti, dans son mémorable article publié dans la revue Patria le 11
juin 1892, écrivit :
« Notre ennemi obéit à un plan : nous empoisonner, nous disperser, nous
diviser, nous asphyxier. C’et pour cela que nous obéissons à un autre plan :
nous montrer dans toute notre grandeur, serrer les coudes, nous unir, le
tromper, bâtir enfin notre patrie libre. Plan contre plan. »
A la mondialisation impérialiste, destructrice, qui porte la guerre, la
concurrence entre salariés, la haine entre peuples, répondons plan contre
plan....
Danielle Bleitrach, sociologue.
L’Europe malTRAITEe : une vidéo en ligne. A voir absolument.
La liberté de la presse et mon hamster à moi, Viktor Dedaj.
Constitution : Dix mensonges et cinq boniments.
La directive Bolkestein « retirée » jusqu’au 29 mai ! par Jean-Jacques
Chavigné, Gérard Filoche.
– De Danielle Bleitrach sur le même sujet :
L’Europe et sa vassalisation aux États-Unis.
Constitution Européenne : Un référendum ou un plebiscite ?
Ils y tiennent vraiment à leur Constitution ...
L’europe serait non politique.... et la direction du PS casse la gauche.
Faites l’effort de vous informer.... Plaidoyer pour le "NON"
– Et aussi :
Censure et Empire, Dieudonné et l’usage de l’"antisémitisme", par Diana Johnstone et réponse de Danielle Bleitrach.