Alors que je revenais d’un séjour à Cuba en mars 2022, via un vol La Havane-Miami, j’ai eu la très désagréable surprise de faire l’expérience de la « pièce du fond » à l’aéroport de Miami. C’est ainsi qu’on appelle, dans le jargon de la police aux frontières US, cette petite salle où on envoie tous les « voyageurs à problèmes ». En résumé, tous ceux qui ont transgressé les lois américaines et n’ont pas vraiment le droit de séjourner sur le territoire. Pourtant jusque là, en tant que citoyenne française voyageant régulièrement aux Etats-Unis depuis plus de 20 ans, je n’avais jamais eu aucun problème à l’arrivée. Il suffisait de présenter mon passeport français ainsi que mon autorisation ESTA approuvée, et le tour était joué.
Pourtant, dès que j’ai dit à la policière aux frontières que j’arrivais de Cuba, sa réaction a été immédiate « You gonna see an officer » (Vous allez voir un officier). Et me voilà envoyée dans la fameuse pièce… Bien entendu, je n’ai eu aucune explication. J’ai bien demandé à l’officier qui m’a ouvert la porte et il m’a rétorqué « I have no idea » (Aucune idée) de façon assez désabusée. On me demande mon passeport qui disparaît dans les limbes des bureaux. Et me voilà assise dans une salle d’attente aux airs de purgatoire. Le temps semble s’être arrêté. L’angoisse est palpable. Plein de voyageurs, qui semblent tous aussi perdus les uns que les autres, attendent désespérément qu’un officier les appellent au guichet pour leur signifier leur infraction. Le silence est pesant. Les portables sont interdits. La population est avant tout latino, Miami étant la ville la plus latine des USA, ce n’est pas une surprise. Mais moi qu’est-ce que je fais là ?
Je garde mon calme mais je n’ai aucune idée de quand je vais sortir de là et surtout je me demande bien ce qu’ils me veulent. Me prennent-ils pour une espionne au service du gouvernement cubain ? Pensent-ils que je fais un trafic de cigares ? Les questions se bousculent dans ma tête, au moins ça m’occupe. Mais vraiment je suis abasourdie.
Soudain vient mon tour, l’annonce tombe comme un couperet « Vous n’avez plus le droit de voyager avec un ESTA. Cuba est considéré comme un pays terroriste et vous avez enfreint les dispositions de l’ESTA. Désormais il vous faudra demander un visa tourisme pour venir aux Etats-Unis, même pour une simple correspondance. Et c’est à vie. On vous autorise cependant à rester sur le territoire américain car vous n’étiez pas au courant mais si vous en sortez, vous ne pourrez plus revenir sans visa. »
Je tombe des nues. Personne, absolument personne, ne m’a parlé de cette nouvelle disposition. Ni avant mon vol Miami-La Havane, ni à l’aéroport de La Havane. Et quand j’ai rempli mon autorisation ESTA, Cuba ne figurait pas sur cette liste de pays terroristes comme l’Irak par exemple. Les vols sont réguliers entre Cuba et les Etats-Unis depuis le réchauffement des relations entre les deux pays en 2016 et j’avais déjà effectué un vol aller-retour entre La Havane et Miami par le passé sans aucun problème.
Une nouvelle disposition indiquée nulle part
Après avoir perdu mon ESTA, j’ai donc d’abord cru à une erreur. J’appelle donc le bureau de la police aux frontières de l’aéroport de Miami en arrivant à mon hôtel. Et on finit par m’expliquer que c’est une loi Trump qui date de 2021 mais qu’elle est véritablement appliquée seulement depuis 6 mois… Le problème c’est que personne n’est au courant ! Cette loi a commencé à s’appliquer strictement pendant que les frontières de Cuba et des Etats-Unis étaient encore fermées… Et comme les 2 pays ont seulement rouvert fin 2021, tout cela est passé inaperçu. Malgré tout, la loi est appliquée à la lettre et beaucoup de voyageurs perdent désormais leur ESTA. Les officiers me l’ont confirmé. Hallucinant.
Après avoir fait des pieds et des mains, j’obtiens cependant une autorisation exceptionnelle de sortie du territoire US car je partais à la Dominique pour le travail quelques jours plus tard et que je devais revenir à Miami… Cela a été assez complexe comme processus mais j’ai réussi à revenir à Miami. Au retour, je suis retournée dans la petite salle à nouveau mais ça a été plus rapide vu qu’un officier m’attendait à la sortie de l’avion… Ca fait tout drôle. Un peu comme un prisonnier mais sans menottes. Mon crime ? Etre allée à Cuba. L’officier a été très sympa mais quand même ! Une fois dans la petite salle, on m’a remis un visa tourisme B2 de 6 mois. Il y est écrit noir sur blanc sur le document que j’ai perdu mon ESTA à cause de mon voyage à Cuba car je n’étais pas au courant de cette disposition (voir photo ci-dessous). Ironie du sort, c’est un Américain d’origine cubaine qui s’occupe de moi. Il compatit discrètement et m’avoue qu’il est allé une fois dans le pays de ses parents mais qu’en tant que policier il évite d’y retourner. Il me dit au passage que l’île de Cayo Guillermo, où j’ai séjourné à Cuba est sublime.
Le hic c’est que Cuba n’est toujours pas sur la liste des pays interdits quand on remplit sa demande en ligne pour obtenir un ESTA. Cuba ne figure aucunement sur cette liste de pays terroristes aux côtés de l’Iraq, l’Iran etc. Et quand j’ai demandé pourquoi, on m’a dit, ça va venir ! Et bien, j’attends toujours. Ce n’est toujours pas le cas et vous pouvez aller vérifier par vous-mêmes. Pourtant, on peut dire qu’aujourd’hui, je suis « fichée C », C comme Cuba. Comme un fiché S finalement, « Cuba is the new Black » en résumé.
J’ai donc demandé à une avocate des droits de l’immigration de m’aider à y voir plus clair. Il semble surtout que cette disposition est une « chasse aux sorcières » contre tous les voyageurs qui font du tourisme à Cuba, un des rares revenus de ce pays dont l’économie est aujourd’hui plus exsangue que jamais suite à la pandémie et aux sanctions économiques de l’embargo américain. Mais que vont devenir les Cubains si tous les Européens se décident à éviter le pays pour pouvoir voyager aux Etats-Unis ? Et que faire si comme moi, on souhaite voyager dans les deux pays, au-delà de toute considération politique ?
Je vous laisse lire l’analyse édifiante de Paola Usquelis, avocate spécialiste des droits de l’immigration basée à Miami…
L’avis d’une avocate spécialisée en droit de l’immigration aux Etats-Unis
Par Paola Usquelis, avocate
« En vertu de la loi américaine, « les activités touristiques restent interdites à Cuba ». Par conséquent, vous ne pouvez pas aller à Cuba, sauf si vous vous qualifiez sous certaines des exceptions énumérées par l’OFAC.
En vertu du site Web de l’OFAC concernant Cuba, vous ne pouvez pas voyager dans ce pays sauf avec une « licence spéciale ». L’OFAC vous accordera une licence pour vous rendre à Cuba pour des visites familiales, des activités journalistiques ou des recherches professionnelles par exemple. Toutefois, ce règlement ne s’applique qu’aux citoyens américains et/ou aux personnes « soumises à la jurisprudence des États-Unis ». Par conséquent, il ne devrait pas s’appliquer aux touristes étrangers visitant les États-Unis. Eh bien… il s’y applique !
Si vous venez aux États-Unis avec votre ESTA et décidez de faire un arrêt rapide à Cuba, vous perdrez votre ESTA lors de votre retour aux États-Unis. De plus, il semble également que vous perdrez votre ESTA si vous êtes allé à Cuba à tout moment avant de visiter les États-Unis. Où trouve-t-on cette loi ?
Le site Web de l’ESTA ne fait AUCUNE mention de cette interdiction d’aller Cuba et/ou du risque de perdre son ESTA si vous y allez. En fait, à ce jour, seuls la Corée, la Somalie, le Soudan, la Libye, l’Iran, l’Irak ou le Yémen restent répertoriés comme « pays interdits » et / ou comme pays à entrée limitée. Les voyagistes européens ET les agences de tourisme américaines continuent d’encourager les voyages à Cuba depuis les États-Unis.
Encore une fois, où est la loi ? Comment se fait-il que personne ne semble le savoir, ni les agences de voyages ni les compagnies aériennes desservant Cuba ? Ce règlement n’est affiché nulle part : aucun site officiel du gouvernement n’informe les citoyens non américains qu’ils peuvent perdre leur statut ESTA et être renvoyés dans leur pays d’origine s’ils se rendent à Cuba. Lorsque vous perdez votre ESTA, vous ne pouvez pas en obtenir un nouveau et votre seule solution est de demander un visa B1 / B2 à l’ambassade des États-Unis dans votre pays. Perdre votre statut ESTA est majeur et ne doit pas être fait à la légère et / ou sans informations de la part des États-Unis aux voyageurs Européens. »