Il est probable que la société française est entrée depuis quelques mois dans la dernière phase du hollandisme. Une période dramatique et douloureuse qui connaîtra son terme l’an prochain. Ce qui lui succèdera sera sans doute plus tragique encore. Seulement voilà : le hollandisme aura été perpétué par des hommes et des femmes se réclamant de la Gauche. Non content de n’avoir rien fait de ce qu’il avait promis, M. Hollande aura fait sans vergogne ce qu’il n’avait pas promis, à commencer par la réécriture du code du travail au détriment des salariés. Sur cet avatar-là la démocratie recula de plusieurs degrés : aucune négociation préalable digne de ce nom comme le stipule pourtant le premier article du code prétendument vieillot ; surdité totale face à l’hostilité manifeste et grandissante du corps social contre ladite réforme ; adoption forcée du texte portant la réforme devant l’Assemblée Nationale ainsi réduite au silence. Cependant, cela ne suffisait pas… Il fallut que le pouvoir en place, si peu assuré de sa légitimité à gouverner désormais, devienne minable. Là, il ne s’agira plus de seulement trahir des promesses mais de piétiner des droits et des principes auxquels la Gauche était jusqu’ici attachée.
Minable, la « gestion policière » de la crise printanière par M. Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur. Pourquoi des casseurs qui sont identifiés, que l’on voit à toutes les manifestations, peuvent continuer à sévir sans être interceptés ? Pourquoi, en dehors des cortèges, des individus peuvent-ils agir de la sorte sous les yeux de la police ? A Marseille, les hooligans, en marge de l’Euro de football, ont été arrêtés en moins de quarante-huit heures. Il est donc sérieusement permis de s’interroger sur les ordres donnés à la police. Au moment où la manifestation parisienne du 14 juin a été déviée, un ordre a été donné d’envoyer des gaz lacrymogènes sur le cortège. Cela ne peut se décider qu’à l’échelon du préfet ou à celui du… Ministre de l’Intérieur. Les méthodes et l’arsenal des « forces de l’ordre » sont manifestement en cause : manifestants pris dans des souricières sciemment tendues, violemment frappés au sol ; usage de grenades de désencerclement ou d’armes nouvelles comme le gaz CS, aux effets potentiellement cancérigènes, dont les CRS ont fait un usage massif ces dernières semaines. M. Cazeneuve, la mort de Rémi Fraisse ne vous a pas, à l’évidence, servi de leçon.
Minable, la servilité des médias dits dominants, tellement prompts à colporter la version « officielle » de certains faits. Ainsi du prétendu assaut de l’hôpital Necker le 14 juin dernier à Paris. la vidéo rendue publique par un journaliste du Monde prouve que l’endommagement des baies vitrées de l’édifice fut l’acte d’un homme seul, exécuté en dix secondes chrono, à la masse, tel un appariteur appointé par le SAC du bon vieux temps, immédiatement interrompu par un autre homme courant pour s’y opposer et qui exprimait nettement son désaccord. Pourtant, ce fait insignifiant en soi aura suffi aux médias aux ordres des patrons du CAC 40 – et très à l’écoute des discours ministériels fallacieux - pour qu’ils le métamorphosent en attaque délibérée et concertée d’un hôpital par une foule d’émeutiers enragés - et pourquoi pas mangeurs d’enfants - et au passage, tant qu’on y était, évoquer la responsabilité des syndicats dans cette affaire, alors que l’on devinait aisément qu’ils n’en avaient aucune. Le cortège syndical devait encore être à ce moment-là à quelques kilomètres des lieux de l’action. Et, depuis quand le service d’ordre des organisations syndicales est-il chargé d’assurer la sécurité des hôpitaux parisiens ?
Minable, le traitement politique de la crise par MM. Hollande et Valls. Leur décision d’interdire les manifestations de la fin du mois de juin à Paris, constitue une manœuvre révoltante qui porte atteinte aux droits essentiels d’expression des citoyens. Alors que l’attaque délibérée de forces de police et les actes de dégradations d’édifices publics et privés sont clairement réprouvés par les syndicats organisateurs des rassemblements, elles font le bonheur du pouvoir, qui les encourage en leur donnant une publicité constante et démesurée, dont l’objet est de rendre illisibles et d’occulter toutes les formes d’expression du mouvement social. Par ces amalgames et manipulations de l’opinion publique le gouvernement joue délibérément la carte de la tension et même davantage : l’option de la provocation irresponsable contre les manifestants, encerclant et bousculant brutalement les cortèges pacifiques, sans égard pour les journalistes, les jeunes lycéens, les salariés âgés, les retraités. Quand a-t-on vu cela en France ? Il y a là une stratégie constante, engagée depuis l’arrivée de M. Valls au ministère de l’Intérieur et qui se poursuit aujourd’hui. M. Valls, avez-vous perdu la raison ? L’Histoire de notre pays vous présentera demain comme celui qui manqua du jugement nécessaire à l’homme d’Etat. Elle vous juge déjà.
En mai 1968, le Préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, avait su, par ses consignes écrites aux unités comme par sa présence physique sur le terrain, éviter le pire alors même que les manifestations étudiantes étaient autrement plus déterminées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Il envoya notamment une lettre à chaque policier concerné par les évènements. On y lit ceci : « Passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise. Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. »
Comme l’écrit Edwy Plenel (Médiapart), « la relecture, à quarante-huit ans de distance, de la lettre que Maurice Grimaud adressa, le 29 mai 1968 – soit après un petit mois de manifestations –, individuellement, à chaque policier, c’est prendre la mesure de l’évolution. [...] Maurice Grimaud ne donne pas des consignes, il parle à des hommes. Il n’est pas au-dessus d’eux, mais dans la même « Maison », de plain-pied. Il leur parle métier, de façon précise, concrète et illustrée, et non pas chiffre ou résultat, de façon abstraite et désincarnée. Surtout, il s’adresse à leur conscience, faisant le pari du citoyen sous l’uniforme, évoquant avec le mot « réputation » l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et, au-delà, du bien commun. »
Aujourd’hui, la sentence est sans appel : MM. Hollande, Valls et Cazeneuve, vous êtes funestement tombés dans la déchéance de… rationalité. Vous le paierez l’an prochain de votre renvoi, pour le pire à venir que vous aurez largement contribué à produire.
Yann Fiévet