RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Combien de temps encore la population espagnole devra-t-elle rembourser une dette qui n’est pas la sienne ?

La dette de l’Etat espagnol est dans le point de mire de toute l’Europe, du fait que les marchés financiers (banques d’investissement, fonds vautours et assurances) continuent à spéculer sur cette dette avec un seul objectif : amasser de juteux bénéfices. Et cela provoque l’appauvrissement de la population dans son ensemble, car toute cette spéculation conduit à une augmentation progressive des intérêts à payer, réduisant à son tour, d’autres dépenses de l’Etat : éducation, prestations de retraite, vieillesse et chômage, justice, santé ou services sociaux. Toutes ces mesures d’austérité, équivalentes aux plans d’ajustement structurel menés au sud de la planète à partir des années 80, ne font qu’augmenter les inégalités sociales, à travers l’appauvrissement chaque fois plus important des personnes, spécialement des plus vulnérables (femmes, minorités ethniques, jeunes, immigrés, personnes au chômage et à la retraite).

Cependant, et contrairement au discours dominant, ce ne sont pas les dépenses publiques qui ont fait augmenter la dette de l’Etat espagnol, mais bien au contraire, les mesures, dont le bénéfice pour l’ensemble de la population est plus que douteux, qui ont provoqué les déficits obligeant à un endettement croissant. Par exemple, la baisse des impôts sur les successions et donations, sur la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, et la suppression de l’impôt sur le patrimoine ont bénéficié aux plus riches, dont le patrimoine, en réponse à leur cupidité, a par ailleurs été protégé par la fraude fiscale, la baisse des impôts sur les sociétés et les SICAV.

Par conséquent, la logique opérante consiste à faire payer à l’ensemble de la population des avantages économiques obtenus par un petit nombre de personnes qui s’enrichissent grâce à la dette. Mais il n’est pas facile de connaître la proportion exacte du budget dédiée au remboursement. Ceci est dû à une volonté politique délibérée de dissimuler ces questions à la population, rendue possible par le caractère particulier de l’endettement des Etats, très différent de la compréhension générale qu’on peut avoir des prêts aux particuliers ou aux entreprises. Pour ces prêts, l’argent prêté (appelé capital), tout comme les intérêts, se remboursent au fur et à mesure du délai accordé. Dans le cas d’un Etat, seuls les intérêts des prêts (appelés lettres, bons ou obligations d’Etat, selon qu’ils soient à court, moyen ou long terme) sont remboursés régulièrement jusqu’à échéance, alors que le capital doit être remboursé dans son intégralité quand le prêt se termine (arrive à échéance). Pour cette raison, le fonctionnement habituel des Etats est de s’endetter à nouveau pour payer les échéances d’anciennes dettes, permettant aux Etat de dissimuler ces dépenses, du fait qu’elles s’équilibrent au niveau budgétaire : les dépenses pour paiement des échéances équivalent aux revenus pour émission de nouvelle dette. Cependant, en augmentant la dette par un déficit résultant d’une mauvaise gestion budgétaire, on augmente chaque fois plus le paiement, qui à son tour nécessite chaque fois davantage d’émissions. De plus, cette nouvelle dette peut être émise sous des conditions différentes, par exemple avec des taux d’intérêts plus élevés (ce qui s’est passé dernièrement), ce qui débouche sur le classique effet boule de neige (augmentation de la dette par l’effet conjugué de forts taux d’intérêts et de nouveaux prêts pour payer les anciens).

L’étude minutieuse des budgets généraux de l’Etat (accessibles sur le site du Ministère espagnol de l’Économie et des Finances) permet de vérifier la quantité d’argent dépensée par l’Etat espagnol au titre du remboursement du capital durant ces dernières années (voir tableau). Par exemple, le remboursement du capital pour l’année 2010 est comparable au budget total de l’Etat pour cette année. Si nous additionnons intérêts et capital remboursé dernièrement, nous voyons qu’entre 2000 et 2010, l’Etat espagnol a remboursé plus de 3 fois ce qu’il devait en 2010, et continue à en devoir près du double. Ce tableau permet aussi de voir comment les intérêts et le capital remboursés tout comme la dette totale ont poursuivis leur hausse depuis 2000, et avec l’actuelle spéculation sur la dette de l’Etat espagnol, cette tendance n’est pas près de s’inverser.

En conclusion, il parait totalement injuste d’économiser sur les services publics comme l’éducation et la santé pour rembourser une dette dans le but d’alléger un déficit qui a bénéficié aux plus riches. Sous la pression populaire si nécessaire, l’Etat doit ouvrir tous les comptes publics de la dette pour que la population, en s’appuyant sur le droit national et international, puisse décider si elle doit rembourser ce qui a déjà été payé plusieurs fois, et annuler une dette frappée d’illégitimité. Ainsi, cet audit de la dette espagnole permettrait d’inverser le transfert de richesse opéré par le service de la dette non pas au bénéfice des riches créanciers mais bien à destination du bien-être de la population dans son ensemble.

Yves JULIEN, Jérôme DUVAL

version espagnole :http://patasarribavlc.blogspot.com/2012/02/espana-cuantas-veces-tendremos-que.html

version française : http://www.cadtm.org/Combien-de-temps-encore-la

URL de cet article 15818
   
Même Thème
30 ans d’Humanité, ce que je n’ai pas eu le temps de vous dire
Michel TAUPIN
Quel plaisir de lire José Fort ! Je pose le livre sur mon bureau. Je ferme les yeux. Je viens de l’avaler d’une traite. Comme je le trouve trop court, je décide de le relire. Même à la seconde lecture, il est captivant. Cette fois, j’imagine ce qu’aurait été ce bouquin illustré par son compère Georges Wolinski comme c’était prévu. Ç’aurait été tout simplement génial. Des tarés fanatiques ne l’ont pas permis. La bêtise a fait la peau de l’intelligence et de l’élégance. De l’élégance, José (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le fait est que les slogans du type "soutenons nos soldats" n’ont aucun sens... Et c’est tout l’objectif d’une bonne propagande. Il vous faut créer un slogan auquel personne ne s’oppose, et tout le monde y adhérera. Personne ne sait ce qu’il veut dire parce qu’il ne veut rien dire. Son importance réside dans le fait qu’il détourne l’attention d’une question qu’il aurait fallu poser : soutenez-vous notre politique ? Mais ça c’est une question qu’on n’a pas le droit de poser.

Noam Chomsky

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.