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Ciao, Chao ! La Chine en 100 notions…

Comme le remarque ironiquement le Chinois Ruolin Zheng qui a vécu une vingtaine d’années en France, les Occidentaux, dont la plupart n’ont jamais mis les pieds en Chine, s’imaginent mieux connaître la Chine que lui et les autres Chinois. Aussi me suis-je plongé résolument dans le petit livre de la Chinoise Chao Ye, intitulé sobrement "La Chine en 100 notions", éd. La Route de la Soie, septembre 2021. Chao Ye a commencé ses études de français à l’Université de Shanghai. Elle a travaillé six ans pour Air France en tant qu’interprète à bord. Ses voyages entre la Chine et la France ainsi que les rencontres et conversations qu’elle a vécues l’ont motivée à faire mieux connaître son pays auprès des lecteurs francophones. En guise de recension, je me suis permis de lui écrire cette lettre ouverte.

Chère Madame Chao Ye,

C’est à dessein que vous commencez Chine en cent notions par une évocation des jardins chinois qui sont « un lieu pour méditer, pour dialoguer (...) Sur le balcon de Versailles, écrivez-vous, l’espace vert s’offre d’un seul coup d’œil tandis qu’en Chine, c’est en y pénétrant petit à petit que l’on peut découvrir le jardin, secret » (p. 9). Une autre métaphore m’est venue à l’esprit, celle d’une peinture pointilliste dont chaque touche contribue à donner de la Chine une vision globale : vous utilisez les différentes rubriques Art, Culture, Économie, Politique, Histoire comme autant de tubes de couleurs pures. Le tableau qui en résulte est étonnamment vivant : ça va de la cuisine à l’architecture, en passant par la musique, le jeu de go, la poésie, les empereurs, la démographie, le Covid, le TGV, Hong Kong, etc., etc. Ce sont cent portes d’entrée de seulement une page ou deux, idéales pour approcher la Chine réelle. Rien que la carte de la p. 4, aux couleurs pastel est une invitation au voyage.

Impossible de résumer votre livre ; il faut tout lire. Ceux qui ont envie d’en savoir plus sur la Chine n’ont qu’à vous suivre pas à pas. Quant aux sinologues les plus avertis, ce sera l’occasion, sous des titres en caractères chinois, d’agréables rappels, sinon de l’une ou l’autre découverte.

Pour ma part, ce qui m’a surtout frappé, c’est l’évocation d’une très vieille civilisation se perpétuant aujourd’hui dans des manifestations culturelles contemporaines, généralement ignorées chez nous, comme, par exemple, l’antique Opéra de Kunshan réinterprété grâce au rock et au jazz (pp. 27-28). On connaît bien en Occident le pianiste chinois Lang Lang qui s’est produit avec de grands orchestres aux États-Unis et en Europe (pp. 85-86), mais qui a entendu parler du pionnier Li Shutong qui a introduit en Chine la peinture à l’huile, la partition à cinq lignes et le théâtre moderne (pp. 37-38) ou de la très populaire chorégraphe transgenre Jin Xing, créatrice de la première compagnie de danse indépendante en Chine (pp. 39-40) ? Sergio Leone, lui, comme vous le mentionnez p. 29, n’a pas manqué de rendre hommage à l’antique Théâtre d’Ombres chinois dans son film Il était une fois en Amérique... Merci, chère Madame, de nous faire découvrir, au détour d’un sentier, quelques aspects moins connus des arts de la Chine, de son art de vivre, une culture à la fois très antique et très actuelle.

Car la Chine − dont vous passez en revue les différentes dynasties de manière très claire en fournissant de judicieux repères historiques – est décidément entrée dans une phase toute nouvelle, marquée par un développement économique sans précédent : Shenzhen, l’e-commerce, Huawei, la 5G, Alibaba, etc., tous ces noms rappellent que la Chine est devenue une grande puissance contre laquelle « les États-Unis ont commencé la guerre commerciale (...) en 2018 » (p. 125). Un peu plus bas, vous écrivez : « L’attitude de la Chine a toujours été : nous ne souhaitons pas de guerre commerciale mais nous n’en avons par peur non plus ». Page 163, vous comparez à juste titre l’emprisonnement par la justice étatsunienne du Français Frédéric Pierucci pour s’emparer d’Alstom avec l’arrestation de Meng Wanzhou, la directrice financière de la société Huawei. Par modestie et par politesse vis-à-vis de votre pays d’accueil, vous ne dites pas que la Chine a d’autres arguments à faire valoir que la France, grâce auxquels Meng Wanzhou a échappé à une extradition sur le sol étatsunien et a pu regagner la Chine le 25 septembre 2021... La Chine qui, en douze ans, a créé un réseau de TGV de « trente-six mille kilomètres (presque la circonférence de la Terre) » (p. 113) et qui, huit ans après le lancement des « Nouvelles routes de la Soie », « a signé des contrats de coopération avec 137 pays » (p. 161), cette Chine-là est désormais capable de se faire respecter dans le monde ; il est décidément loin le Sac du Palais d’Été, dénoncé par Victor Hugo dans sa célèbre lettre du capitaine Butler dont vous citez un extrait à la page 198 : Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares (...).

Il n’est pas un sujet actuel, cher aux détracteurs occidentaux de la Chine, que vous n’abordiez avec clarté, sans vous laisser impressionner par le climat dominant, non dénué de racisme, hérité de la peur du « péril jaune » :
 le Covid : « selon un sondage de Blackbox Research de Singapour, la Chine se classe première dans la satisfaction de son peuple sur la gestion de cette crise sanitaire » (p. 166) ;
 Taïwan : « Taipei n’est plus un adversaire pour Pékin, et cette dernière souhaite rattacher officiellement et pacifiquement son territoire au continent » (pp. 145-146) : ce n’est pas facile, car « au fond, le statut de Taïwan est une question de conflit de puissance entre Pékin et Washington » (p. 146) ;
 le Xinjiang : « les camps de concentration n’existent pas, en revanche on peut trouver des centres de formation professionnelle » (p. 148) : avis aux affabulateurs, adeptes du missionnaire anticommuniste Zenz ;
 le Tibet : « le Tibet a été intégré activement dans le programme du développement de l’Ouest chinois et s’est débarrassé de la pauvreté » (p. 150) : mais cela ne semble pas intéresser les nostalgiques du « Free Tibet » ;
 Hong Kong : « Hong Kong est indéniablement une partie de la Chine ; sa gestion est affaire de souveraineté chinoise » (p.152), n’en déplaise aux agitateurs étatsuniens et britanniques.

Même la peine de mort − autre sujet qui fâche − est abordée d’un point de vue profane qui n’est pas celui qui domine dans un Occident façonné par le christianisme et son primat de l’indulgence (pp. 143-144) ; ce point de vue mérité d’être pris en considération : audiatur et altera pars...

Chère Madame, je m’arrête ici, car c’est mission impossible de rendre compte de tous les aspects de la réalité chinoise que vous donnez à voir au fur et à mesure de la lecture.

Le Chine en 100 notions, écrit par un Chinoise qui connaît la Chine de l’intérieur, contrebalance tout en finesse La Chine en 100 questions, œuvre d’une spécialiste française dont les certitudes arrogantes ont fait qu’elle est devenue une invitée privilégiée des plateaux de télévision.

Sans doute suis-je trop optimiste en espérant qu’un jour vous aussi, vous pourrez vous exprimer au grand jour... En attendant, je souhaite vivement que votre livre soit largement diffusé, lu et commenté.

Au plaisir de vous rencontrer un jour, je vous assure, chère Chao Ye, de toute ma sympathie.

André Lacroix (Belgique)
andre.lacroix@lacroix-deruyt.be

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