Alors que la crise économique devrait être le premier des soucis de nos hommes d’Etat, un autre danger fait désormais son apparition dans les médias : « l’islamisation » de l’Europe. Comme cela s’est déjà produit lors des précédentes crises économiques, les responsables de celles-ci tentent à nouveau de faire diversion par le biais religieux, pourtant à l’origine de tant et tant de massacres et de guerres inutiles… Et aujourd’hui ce sont les musulmans qui, victimes d’une propagande basée sur des amalgames et des raccourcis successifs et ininterrompus, sont devenus pour ceux qui se définissent eux-mêmes comme l’Occident l’ennemi qui met en péril les « valeurs » (démocratiques) de notre « civilisation ».
Il serait facile de se laisser tenter par cette vision manichéenne d’un monde scindé entre deux « civilisations » dont l’une serait le bien et l’autre le mal, et le terrorisme islamiste offre bien des arguments en faveur d’un renforcement de la sécurité, logiquement revendiqué par une opinion publique qui confond aisément fait divers et fait de société. Et puisque le peuple se sent en danger, le rôle des gouvernants n’est-il pas de lutter contre ?
Mais ce serait oublier une chose essentielle : le péril musulman n’existe pas. Et vouloir lutter contre un danger qui n’existe pas c’est pour le peuple accepter des sacrifices inutiles, voire désastreux. Car contre qui croyez-vous que les mesures sécuritaires qui nous seront bientôt imposées seront dirigées in fine, si ce n’est contre la population toute entière, et ce quelle que soit son obédience ? On dit que la sécurité s’oppose à la liberté, en ce sens que pour contrôler, surveiller et punir les comportements « à risque » d’une certaine population, il faut se résigner à redéfinir le cadre de nos libertés individuelles. Cela signifie déterminer quel groupe viser, selon quels critères, et en rapport avec quelle autre type de population. Cela nécessite de revoir et d’élargir les définitions du terrorisme, de la liberté d’opinion telle qu’elle est pour l’instant écrite dans la Constitution, ainsi que les moyens de la lutte contre le terrorisme, pour y insérer les individus qui ne rentraient pas dans ce cadre auparavant (puisqu’on n’a pas pu les empêcher d’agir)… Mais nos gouvernants ne sont pas stupides et veulent faire croire qu’en réalité le terroriste peut être n’importe qui : votre voisin, votre fils peut-être, vous-même pourquoi pas ? Suivant ce raisonnement il devient alors possible (et nécessaire ?) de surveiller tout le monde sous prétexte de sécurité, de lutte contre le terrorisme, et de supprimer les libertés individuelles qu’ils sont censés garantir par ailleurs.
Cela commencera par un premier amalgame déjà bien usité autrefois, qui consiste à faire des défenseurs des libertés les « complices tacites » de la communauté stigmatisée. On voit déjà poindre de dangereux raccourcis qui essaient de faire passer ceux qui luttent contre les amalgames qu’entraine une propagande fondée sur la peur et sur la haine pour des « anti » sionistes, ou des « complotistes », sur le principe du « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Mais lutter contre l’instrumentalisation politique n’est pas soutenir les terroristes. Lutter contre la propagande grossière qui met en péril des années de bonne intelligence entre les différentes confessions religieuses c’est lutter certes pour la liberté religieuse et la paix, mais aussi et surtout pour la liberté de tous. Car de même que les juifs n’étaient pas une réelle menace pour le « Lebensraum » des Allemands, les musulmans ne souhaitent pas imposer la charia en France (comment le pourraient-ils d’ailleurs ?). Qui peut croire encore que demain les musulmans envahiront la France pour imposer leur religion, leurs coutumes et leurs lois, alors que ces mêmes musulmans se battent justement dans de nombreux pays pour y échapper ?
Cela est trop simpliste, et les Renseignements Français sont bien placés pour le savoir. Derrière le péril musulman se cache en réalité un danger plus grand, le danger de l’autoritarisme. Le péril musulman est une sorte de paravent idéologique destiné à faire voter de nouvelles lois qui permettront à terme d’enfermer à peu près n’importe qui et pour à peu près n’importe quoi, pour peu que la définition du terrorisme soit suffisamment ouverte à l’interprétation juridique. Les véritables ennemis de nos dirigeants ne sont pas les musulmans ni les terroristes dont ils se servent pour leur propagande mais les contestataires de ce régime qui tomberont bientôt sous le coup de la Loi. Et quand le peuple sera soumis à la surveillance, au contrôle et au fichage permanents d’un gouvernement autoritaire et qu’il verra les libertés qu’on lui avait promis de sauvegarder complètement détruites, il se rappellera les luttes contre ACTA et Hadopi, contre les lois antiterroristes, le fichage généralisé ou la définition d’une identité nationale. Il se souviendra que certains « terroristes » n’étaient pas musulmans, et qu’ils luttaient non pas pour l’islamisation de l’Europe mais pour les libertés de tous. Et il comprendra que ces derniers n’étaient pas des terroristes mais des résistants. Peut-être même, encore plus tard, parviendra-t-il à se rendre compte que derrière le péril musulman se cachait un danger bien plus grand, celui de l’autoritarisme… Sera-t-il alors encore temps d’y échapper ?
Caleb Irri
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