« … Les grands traits … constitutifs de la névrose collective libérale : mégalomanie et volonté de toute puissance ; refus de toute loi vécue comme contrainte, comme empêchement de "liberté" ; ignorance d’autrui ; sadisme ; goût pour la collection et le maniement des matières ; découverte de la propriété comme partie du corps (l’étron) … avec, en fond de tableau, l’équivalence merdre/monnaie... tout un programme, qui me paraît être celui du libéralisme. »
Jean-Claude Liaudet (1)
Impeccable.
Robe rouge. Mettant en valeur un bronzage patiné au fond de teint. Griffes de "femme-couguar" manucurées au micron près. Icône parfaite pour représenter la "femme-entrepreneur", dans les médias de la propagande.
Le dynamisme entrepreneurial dans tout son éclat.
Sur mon écran TV, elle me rappelait Marisa Paredes dans le célèbre film d’Almodovar : Talons Aiguilles… (2) Chapeau en moins, cuisson solaire en plus.
Talons Aiguilles et Chihuahua
Invitée dans une émission de TV française censée parler d’économie. Ce genre d’entourloupes médiatiques qui n’ont pour finalité, sous prétexte d’enquêtes, que de diffuser des promotions déguisées de pays, de destinations touristiques, de produits, de tendances à consommer obligatoirement pour être dans le coup. Quand ce n’est pas la célébration du culte de la personnalité d’un manager ou d’un chef d’entreprise…
Tout le bric-à -brac des magazines de la désinformation économique, voulant nous faire prendre de la publicité clandestine pour de l’investigation…
Sujet : le bouclier fiscal.
Tarte à la crème, archétype du faux problème. Brassés en tous sens par médias et politiciens pour tirer des larmes sur le sort désespéré des riches en France. Justifiant ainsi l’enrichissement exponentiel d’une minorité sur le dos de la majorité de la collectivité : salariés, paysans, artisans et commerçants. Ceux qui triment dans la précarité. Passant sous silence la violence de l’injustice fiscale, accablant le pays et creusant son endettement.
L’astuce de l’appareil de désinformation est de camoufler l’apologie de cette nomenklatura sous forme d’un « débat »…
Pour ce faire, il convenait d’opposer à cette pétulante Jeanne d’Arc du Libéralisme, présidente d’une association de chefs d’entreprise, une personne réputée ne pas être du même bord.
La Rédaction avait donc puisé dans son coffre à gadgets et effets spéciaux : un député "socialiste" !...
Tout en sachant, personne n’est dupe, que les politiciens socialistes ont rigoureusement la même approche de la fiscalité que leurs compères du parti au pouvoir actuellement. Mais qu’importe. L’essentiel étant la "politique spectacle" , on se contentera d’une de ces nouvelles pousses de la caste politique : Dents longues et Tête vide. Le vide étant proportionnel à l’assurance de leur langue de bois.
Car, Jaurès ils ne savent pas qui c’est, leurs idées et programmes se résumant à une seule certitude : ils se voient un "destin national" et, donc, candidats aux prochaines présidentielles…
Rien à dire pour le casting.
Mignon. Bonne présentation, dans la discrétion du ton et la retenue des propos. N’ayant rien à opposer, puisqu’il partage la même foi libérale, le "député-socialiste-de-service" remplissait son rôle de faire valoir. Chihuahua, sautant sur ses pattes de derrière face au Libéralisme BCBG, la mise en scène était parfaite. Ne lui manquait que le ruban sur une couette entre les deux oreilles…
Avec une énergie renversante, dynamisme et rage d’entreprendre exigent, la chef d’entreprise assénait d’entrée "La Vérité du Libéralisme" qui régit nos destinées pour l’éternité :
« La création de la Richesse Nationale provient des entrepreneurs, des entreprises. Uniquement. »
Les autres n’ont donc qu’à les honorer et se taire, au lieu d’oser prendre la parole.
Qu’on se le dise ou qu’on se le rappelle : il y a deux castes dans nos sociétés. Ainsi qu’on ne cesse de l’expliquer, en ce moment, à nos amis Grecs (3) :
i) La "caste supérieure" qui a le droit de s’en mettre plein les poches avec l’argent public, via les exonérations et autres privilèges fiscaux.
ii) Et, la "caste inférieure" , qui n’a que le droit de payer l’essentiel du fonctionnement et des investissements de l’Etat et, bien sûr, erreurs, détournements, gabegies, corruptions, de la caste supérieure.
Concentré traditionnel de la « pensée libérale » : tout pour moi, rien pour les autres. Somme toute, cette rayonnante chef d’entreprise prêchait le credo de la prédation propre à sa caste.
Sur une île déserte
Je suis toujours amusé par le culot de ces voleurs pris la main dans le sac.
Car, nous sommes dans le vol à l’encontre de l’ensemble de la collectivité. Cette minorité et ses seconds couteaux, que sont politiciens et médias, cette oligarchie ou nomenklatura pour reprendre un vocabulaire plus "sociologique" , ne produisent pas la richesse nationale : elles la confisquent au détriment de la majorité.
Livrons-nous à une expérience, toute simple, avec cette "Super Nanny Chef d’Entreprise" emblématique de sa caste. Genre TV Réalité, Koh Lanta, Loft, et autres comportements humains sous observation dans un bocal. A la Robinson Crusoé…
Prenons ce génie d’entreprendre, son dynamisme, ses idées. Ajoutons-y son capital, hérité de papa ou pas, et plaçons-la sur une île déserte. Avec cocotiers, arbres à pain, source d’eau fraîche et quelques chèvres pour ses fromages. Revenons quelques mois plus tard, et relevons méticuleusement la richesse créée par l’efficacité entrepreneuriale…
Eh bien, bronzage peaufiné à part, ce sera : Zéro…
Super Nanny Entrepreneur, véhémente, nous dira : "Je n’avais pas mon outil de travail !" .
Alors donnons-lui ses bâtiments, son beau bureau et ses machines outils. Soyons généreux, ajoutons-lui sa matière première pour une année de production.
Richesse créée, un an plus tard ?... Zéro.
"Je n’avais pas mon personnel !".
Admettra-t-elle, le bronzage grincheux, en difficile concession.
Tiens donc ! Premier enseignement : un entrepreneur avec son Capital, mais sans le Travail faisant tourner l’outil de conception et de production, ne peut et ne pourra jamais rien produire.
Donnons-lui son personnel : bureau d’études, ingénieurs, cadres et employés. Elle se sentira moins seule.
Un an plus tard, que constatons-nous ?... Plus de matières premières, mais un stock de produits finis dans un hangar. Invendus.
Création de richesse : Zéro…
Enervée, l’arrogance aussi bronzée, elle nous objectera : "J’avais la marchandise, mais besoin d’acheteurs !" .
Ah Bon ! Deuxième enseignement : un entrepreneur avec son Capital, mais sans le Travail faisant tourner l’outil de conception, de production, et de diffusion, ne peut et ne pourra jamais rien produire, ni vendre.
Autrement dit sans personnel, ni consommateur, un entrepreneur, une entreprise, ne sont : « Rien ».
Sans oublier que les mêmes "non-entrepreneurs" doivent, à intervalles réguliers, se transformer en "soldats" , en chair à canon, pour défendre les entreprises en cas d’invasion, de conflit, comme nous l’ont enseigné les multiples guerres, dont les deux dernières "mondiales" . Là , subitement, entrepreneurs et politiciens se souviennent que la Nation, la Richesse Nationale, ne sont « Rien » sauf "cohésion" et "sacrifice" de la collectivité.
Sans la communauté des hommes, il est donc impossible de créer, développer, préserver la moindre richesse.
Rien…
La richesse d’un pays, sa Richesse Nationale, c’est l’ensemble de la collectivité qui en est la source, le créateur, chacun en interaction, avec ses moyens, solidairement.
Je sais, trop fanatisée, trop intoxiquée de ses privilèges, confondant « droit de propriété » sur tout ou partie du capital d’une entreprise avec création de la Richesse Nationale, même les faits lui explosant sous les yeux, "Super Nanny Entrepreneur" serait incapable de le reconnaître :
Zéro + zéro + zéro = L’Arnaque Libérale…
Ubu
Immédiatement, dans cette émission, sous le vernis du bronzage se craquelant, apparaissait le Père Ubu, en talons aiguilles, allant rançonner les paysans, escorté des « Grippe-Sous » et des « Salopins de finance », traînant le « voiturin à phynances »…
L’impression d’assister à la représentation de la pièce d’Alfred Jarry : Ubu Roi…
Autant de stupidité, d’aveuglement, de mégalomanie, de mépris de caste, d’arrogance, de sadisme, de violence dans la rapacité, de mauvaise foi, de fanatisme, de dogmatisme, pour justifier l’égoïsme le plus crasse, chez un être doué de raison…
Tout cela, empaqueté dans la Bonne Conscience, ne peut avoir pour unique ressort la seule défense de ses intérêts personnels ou corporatifs.
Perte de valeurs ?...
Comment l’expliquer dans une Europe évangélisée depuis plus de 20 siècles, auréolée, ne cesse-t-on de nous trompeter, par Les Lumières ?... Dans un Occident qui ne cesse de se proclamer « civilisé », sous couvert de ses multiples penseurs, philosophes, écrivains, artistes et musiciens …
Quelque chose de déjanté, on le perçoit, sans pouvoir l’identifier avec précision, déglingue notre corps social…
Perte de sens ?...
Une autre dimension. Plus enfouie. Insuffisamment explorée. Dans le brouillard de nos connaissances incertaines, de notre logique tâtonnante, de l’usure de notre métabolisme intellectuel…
S’agirait-il d’un inconscient collectif gangrené, tordu, disjoncté par rapport à une réalité humaine ?... Déconnecté de l’Homme ?...
Ubu me renvoie à un livre de réflexions de Jean-Claude Liaudet, que j’aime bien et dont je recommande la lecture : Le complexe d’Ubu ou la névrose libérale (4).
Il ouvre quelques pistes sur la dimension pathologique de "l’inconscient collectif" : « … J’ai fait d’Ubu… le saint patron de mon livre ! En lui, on peut retrouver les grands traits de l’âge sadique-anal qui me paraissent constitutifs de la névrose collective libérale… »
Le climat de cruauté, d’insensibilité, de cynisme, qui imprègne nos castes au pouvoir et médias, atteint des dimensions paroxysmiques en ce XXI° siècle. Harold Pinter en a fait une analyse au scalpel dans son théâtre. Et, il n’est pas le seul à s’en angoisser.
Les mesures socio-économiques imposées aux salariés et retraités de la Grèce, en ce moment, sont d’une inhumanité, d’une injustice, insoutenables. Le FMI nous y a habitués, provoquant de violentes révoltes populaires dans certains pays, comme la célèbre "révolte du pain" en Egypte, ou de la farine de maïs au Mexique récemment.
Les mesures du FMI, iniques, confiscatoires, prédatrices, ne ravagent pas seulement les pays en développement. Elles s’appliquent, à présent, à l’Europe avec la complicité d’un système bancaire véreux et des castes dirigeantes corrompues des pays concernés.
Et, ce n’est pas fini. Tout est fait pour démanteler la moindre mesure sociale, afin de réserver la Richesse Nationale aux seules classes privilégiées. Comme sous l’Ancien Régime en France. Le Capital, et tout particulièrement la Spéculation avec ses profits faramineux, ne doivent surtout pas payer d’impôt ! Telle est la priorité.
Cruauté enrobée de constructions théoriques, économiques, géopolitiques, philosophiques, idéologiques. Bétonnées dans la Bonne Conscience :
« Le pervers moral est un malin qui sait manipuler autrui pour parvenir à ses fins.
Comme il est dépourvu de sens moral, il n’en exprime ou n’en ressent aucune culpabilité - du moins pas consciemment. Il aime le secret, il éprouve du plaisir à la rétention.
Il fait preuve d’habileté de raisonnement pour justifier sa conduite par des constructions apparemment théoriques. » (5)
L’oligarchie dominante en Occident, dans son écrasement, marginalisation, élimination de la classe laborieuse - wagons de licenciements à n’en plus finir : fonction publique (santé, éducation), pêche, industrie, jusqu’au secteur des services - donne le sentiment de scier la branche sur laquelle elle est assise :
« Sans foi, ni loi, les décideurs financiers se livrent à un jeu équivalent de violence destructrice. Une violence dirigée contre l’autre, qui devient ivresse autodestructrice quand elle ne rencontre ni limite ni interdiction…
… Quand il fusionne avec le corps social en tuant le plus de gens possible et en s’anéantissant avec eux, le tueur fou est dans cette jouissance. » (6)
Le "tueur fou" …
Sommes-nous gouvernés, asservis, par des tueurs fous ?...
Emanation d’une ploutocratie, aveugle, impitoyable, de perversité ?...
Georges STANECHY
(1) Jean-Claude Liaudet,
Ubu et la Névrose Libérale ou de "Hayek avec Sade", entretien réalisé en mars 2004 par Frank Bellaiche, mercredi 15 novembre 2006,
http://psythere.free.fr/article.php?id_article=34
(2) Talons Aiguilles, film culte du cinéaste espagnol Pedro Almodovar, sorti en 1991, http://archive.filmdeculte.com/video/video.php?id=195
(3) Complétons l’exemple de la Grèce, en ajoutant l’Eglise Orthodoxe. Première fortune immobilière et foncière du pays qui, comme toutes les grandes fortunes grecques, ne paye pratiquement aucun impôt… L’ensemble composant une caste qui, quelle que soit la situation du pays, ne veut surtout pas en payer.
Ce qui oblige, actuellement, la Grèce à imposer une augmentation de la TVA avec une diminution des salaires et des retraites, pour apurer son endettement ayant pour origine les détournements colossaux de son oligarchie…
C’est donc le Travail qui va essuyer l’ardoise de la Grèce. Surtout pas le Capital, avec son excroissance devenue dominante : la Spéculation.
(4) Jean-Claude Liaudet, Le Complexe d’Ubu - ou la névrose libérale, Fayard, 2004.
(5) Jean-Claude Liaudet, Op. Cit., p. 67.
(6) Jean-Claude Liaudet, Op. Cit., p. 81.
Photos :
i) La talentueuse actrice espagnole, dans le film d’Almodovar, Talons Aiguilles, Marisa Paredes.
ii) Révolte du peuple Grec dans les rue d’Athènes - mai 2010. The Guardian.