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« Bergoglio a participé au silence complice de l’Eglise avec la dictature génocidaire »

L’annonce le 13 mars de l’élection du pape argentin Jorge Bergoglio a suscité de nombreuses réactions.La Présidente Cristina Kirchner, dont les relations avec Bergoglio ont été tendues par le passé, notamment lors de l’approbation de la loi sur le mariage pour tous, lui a adressé ses félicitations, lui souhaitant une « tâche pastorale fructueuse ». Elle se rendra à Rome ce lundi pour le rencontrer et assister à la messe d’intronisation prévue mardi.

Néanmoins, dans l’échiquier politique argentin, ce sont surtout les secteurs de l’opposition patronale qui sortent renforcés de cette élection et s’en sont réjouit, rejoignant l’élan de fierté nationale qui animait la foule catholique réunie devant la cathédrale de Buenos Aires pour fêter l’évènement. Dans ce contexte, de nombreux militants ont manifesté leur indignation : « Le pape complice ! ». Car derrière l’image d’un pape humble et proche des pauvres que l’Eglise s’acharne à mettre en avant, se cache un lourd passé pour celui qui fût l’archevêque de Buenos Aires : sa complicité avec la dictature génocidaire des années 70, la plus sanglante de l’histoire argentine ; celle-là même qui a torturé et fait disparaître plus de 30000 militants ouvriers et des organisations de gauche sous les ordres du général Videla et de l’Amiral Massera portés au pouvoir par le coup d’Etat militaire de mars 1976. Il ne faudrait pas oublier qu’avant d’être nommé responsable de la Compagnie de Jésus, Bergoglio a milité au sein de la Garde de Fer, organisation de la droite péroniste, et qu’il avait demandé à ce que Massera soit nommé membre honorifique de l’Université de Salvador en 1976.

L’Eglise catholique, fidèle complice de la dictature militaire argentine

Depuis plusieurs années, nos camarades du PTS (Parti des Travailleurs Socialistes) [1] mènent une bataille pour dénoncer et faire condamner non seulement les tortionnaires, mais tous ceux ayant collaboré avec la dictature par la délation ou le silence complice. Sur le banc des accusés, on retrouve à la fois des patrons d’usines, qui se servaient de la dictature pour préserver leurs intérêts face au processus d’insubordination ouvrière qui était en cours depuis la fin des années 60, et des responsables ecclésiaux tels que Bergoglio. Ce dernier a été entendu par Myriam Bregman, avocate pour les Droits de l’Homme (CeProDH [2]) et militante du PTS, dans le cadre de deux procès : celui de l’ESMA (2010), l’Ecole Supérieure de Mécanique de l’Armée, de triste mémoire, le plus grand centre illégal de détention et de torture de la dictature, et celui des « bébés volés » d’opposants politiques (2011), qui étaient séquestrés et adoptés sous une fausse identité alors que leurs parents étaient envoyés à la torture puis assassinés. Pendant les « vols de la mort », opération qui consistait à jeter les prisonniers politiques encore vivants dans l’océan en ne laissant aucune trace, certains prêtres se sont portés volontaires pour donner leur absolution aux bourreaux et bénir les victimes avant leur exécution. Ils félicitaient ainsi les tortionnaires d’avoir contribué à la lutte contre le communisme, en donnant « une mort chrétienne pour le bien de la Patrie ». Quelques responsables de l’Eglise ont été condamnés pour leur complicité criminelle avec la dictature militaire, comme le prêtre Cristian Von Wernich qui a écopé en 2007 d’une peine de prison à perpétuité pour sa participation à de nombreux enlèvements, cas de tortures et meurtres dans la province de Buenos Aires où il était aumônier de la police.

Mais aujourd’hui encore, la grande majorité des protagonistes de la dictature, les exécutants et leurs complices restent impunis, à l’image du nouveau pape Bergoglio, dont Myriam Bregman a dénoncé « la participation au silence complice de l’Église avec la dictature génocidaire ». En effet, une enquête minutieuse du journaliste argentin Horacio Verbitsky [3] a amplement démontré le rôle joué par l’Église durant la junte militaire de 1976 à 1983, en révélant que des prêtres « rouges », en raison de leur engagement auprès de la population pauvre des bidonvilles, de leur proximité avec les idées de la Théologie de la Libération ou de relations nouées avec des organisations de gauche, avaient eux aussi subi la torture, livrés par leurs supérieurs aux mains des militaires. Dans le quartier pauvre où officiait Bergoglio à l’époque, deux jésuites travaillant sous son autorité, Orlando Yorio et Francisco Jalics, ont été enlevés puis torturés pendant cinq mois avant d’être relâchés. Cinq mois pendant lesquels Bergoglio a gardé le silence sur leur disparition, tandis que c’était lui qui leur avait préalablement demandé de ne plus célébrer la messe dans les bidonvilles, chose à laquelle les Jésuites s’étaient refusé. Lors d’un procès ayant eu lieu quelques années avant sa mort en 2000, Orlando Yorio avait témoigné contre Bergoglio : « Je suis sûr qu’il a lui-même fourni une liste avec nos noms à la marine (…) Nous étions diabolisés, mis en cause par nos propres institutions et accusés de nuire à l’ordre social ».

Quant au déroulement des auditions tenues dans le cadre des procès des dernières années, Myriam Bregman raconte que « contrairement à l’image d’une personne humble qu’on donne de lui aujourd’hui, Bergoglio n’a pas hésité à disposer de ses privilèges d’archevêque, refusant d’être entendu devant les tribunaux comme l’aurait fait n’importe qui, et nous obligeant à nous déplacer à la Sacristie de la Cathédrale de Buenos Aires pour y mener notre interrogatoire. Au cours de son témoignage, il n’a donné que des réponses vagues, en contredisant les déclarations du témoin précédent. Il a tenté de défendre sur des aspects formels sa posture lors de l’enlèvement des prêtres Jésuites par les militaires, en affirmant qu’il en avait informé ses supérieurs. Il a également fait des affirmations graves, telles que le fait que deux ou trois jours après l’enlèvement, il savait que les deux prêtres étaient à l’ESMA. Une chose que de nombreuses Mères de la Place de Mai ignorent encore aujourd’hui au sujet de leurs enfants, malgré leurs intenses recherches. Comment en avait-il été informé ? Il a aussi révélé qu’il s’était entretenu avec Videla et Massera [tous deux à la tête de la junte militaire en 1976], mais bien plus tard. Il a aussi reconnu que lorsque Jalics et Yorio ont été libérés, ils lui ont raconté qu’il y avait encore des personnes retenues à l’ESMA, et malgré cela il n’a rien fait ». Et Myriam Bregman de conclure : « Nous avons senti qu’il ne souhaitait pas collaborer à la recherche de la vérité ». Il ne nous en faut pas plus pour comprendre que l’image de « pape des pauvres » que l’Eglise voudrait donner à son nouveau souverain pontife n’est qu’une façade. Face aux dénonciations de l’extrême-gauche et des avocats des victimes de la Junte, la presse argentine s’est empressée de répondre en niant en bloc la complicité de Bergoglio avec la dictature, et en faisant passer les accusations pour des calomnies anticléricales sans fondement.

Les postures de l’Eglise continuent à faire des victimes

En Argentine, l’Église n’a pas seulement été complice et partie prenante du génocide ; elle s’est également battue becs et ongles ces dernières décennies, comme elle continue de le faire à échelle mondiale d’ailleurs, contre les droits démocratiques les plus élémentaires tels que le droit au divorce ou à l’avortement. Malgré la pression croissante de l’opinion publique, l’Interruption Volontaire de Grossesse n’est toujours pas légalisée en Argentine, ce qui revient à criminaliser toutes ces femmes qui sont contraintes à mettre un terme à leur grossesse dans l’illégalité chaque année. Une véritable hypocrisie quand on connait les conditions déplorables d’accès à la contraception, et quand on sait que l’Église s’oppose aussi fermement à l’éducation sexuelle dans les écoles publiques en Argentine. L’Église, qui entretient des liens intrinsèques avec le gouvernement et dispose donc d’un poids réel pour freiner les avancées en la matière, est à ce titre pleinement responsable de la mort de centaines de femmes succombant chaque année d’avortements clandestins sur le seul territoire argentin.

Andrea D’Atri, camarade du PTS et fondatrice de Pan y Rosas, organisation de défense des droits des femmes et du mouvement LGBT, n’a pas manqué de dénoncer également la lutte acharnée menée par Bergoglio contre le mariage des homosexuels, avant sa légalisation en Argentine en 2010. A ce sujet, le cardinal avait déclaré dans une lettre adressée aux monastères de Buenos Aires : « Ici aussi réside la jalousie du démon par qui le péché est entré dans le monde et qui essaie sournoisement de détruire l’image de Dieu : un homme et une femme qui reçoivent le mandat de croître, de se multiplier et de dominer la terre (…). Il ne s’agit pas d’une simple lutte politique ; c’est la prétention de détruire le plan de Dieu ». Des propos moyenâgeux qui mettent fin à toute illusion d’une éventuelle « modernisation » de l’Église Catholique.

Bergoglio, un choix géopolitique stratégique pour une Eglise en crise

Nombreux sont ceux qui ont pu se laissés séduire par l’image de ce nouveau pape soi-disant ouvert sur le monde et les populations défavorisées, qui s’est fait appeler François en référence à St François d’Assise (que les catholiques reconnaissent comme le saint des pauvres), et qui déclarait à l’issue de son élection :« je voudrais une Église pauvre, pour les pauvres ». La presse hexagonale a largement relayé ces espoirs d’une reconversion de l’Église vers plus de simplicité, en mettant en valeur le caractère soi-disant ascète du nouveau pape. L’Humanité, qu’on a connue plus anticléricale, abonde dans le même sens : « la priorité aux pauvres qui semble avoir marqué le parcours du nouveau pape soulève une espérance chez de nombreux catholiques et au-delà (…). C’est pourquoi, en toute laïcité, dans le rejet de tout "ordre moral", nous avons de l’intérêt pour la parole de l’Eglise et pour les actes des croyants. Parlons de fraternité ».

L’institution sacrée serait-elle prête à accepter la même cure d’austérité que subissent les masses de nombreux pays en proie à la crise capitaliste ? Ne nous laissons pas berner par cette mascarade. L’image de pauvreté que voudrait se donner le nouveau pape n’est pas innocente et s’inscrit dans le contexte plus général d’une crise de l’institution [4], qui a perdu ces dernières années des milliers de fidèles, en particulier en Amérique Latine où l’on estime que la population catholique a diminué d’un quart, en grande partie au profit de branches évangélistes et de sectes en tous genres. L’élection d’un pape non-européen, chose qui n’était pas arrivée depuis près d’un millénaire, n’est pas le gage d’une quelconque volonté de modernité ou de simplicité, mais correspond à une nécessité pour l’Église de stopper l’hémorragie catholique qui sévit sur un continent jusqu’à présent acquis à son influence morale et spirituelle, mais aussi pour disposer d’un pape « du Sud », disposé à jouer le même rôle contre-révolutionnaire qu’a pu le faire un pape de l’Est en la personne de Wojtyla (Jean-Paul II) à la fin des années 1970 et début des années 1980. Par ailleurs, comme le souligne le vaticaniste Vittorio Messori, Bergoglio avait, en plus de son profil latino-américain, l’avantage d’être fils d’italien et de maîtriser la langue du Vatican. Il est alors apparu comme l’homme de la situation, celui qui pourrait affronter les nombreuses difficultés de l’Église Catholique : et Dieu sait qu’entre les scandales de pédophilie, les fraudes bancaires et les divisions internes, il aura de l’hostie sur la planche !

Flora Carpentier

Source : http://www.ccr4.org/Bergoglio-a-participe-au-silence-complice-de-l-Eglise-avec-la-dictature-genocidaire

17/03/13

[3H. Verbitsky a fait connaître les résultats de son enquête dans son ouvrage paru en 2005 El Silencio : de Paulo VI a Bergoglio : las relaciones secretas de la Iglesia con la ESMA [Le Silence : de Paul VI à Bergoglio : les relations secrètes de l’Église avec l’ESMA].

[4Lire à ce sujet « L’Église Catholique n’échappe pas à la crise. Quand un pape prend sa retraite anticipée », par D. Dalai et F. Carpentier, 27/02/2013, www.ccr4.org/Quand-un-pape-prend-sa-retraite-anticipee


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« A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie. »

Karl Marx

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