Les graves attentats perpétrés à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015 n’ont pu laisser indifférent aucun citoyen de France un tant soit peu pourvu d’humanité. Fallait-il pour autant obéir à ceux qui interpellent la communauté musulmane et la somment d’exprimer sa douleur face à l’horrible événement et donc sa condamnation sans autre forme de procès si l’on ose dire ? Je suis de ceux que ces horreurs révulsent, révoltent, sans toutefois atteindre leur raison, leur faculté de discernement. C’est pourquoi sans hésitation aucune, de la petite place qui est la mienne, je réponds non ! Je dirai : non au terrorisme et la barbarie au sens large dont le capitalisme mondialisé constitue le terreau le plus fertile. Encore une fois oui à la justice, à l’émancipation sociale et culturelle, toujours réclamées, mais je ne suis pas Charlie pour autant.
Qu’est-ce à dire ?
En effet, si l’on se déclare ne pas être Charlie, s’identifie-t-on ipso-facto à la cause des terroristes assassins ? Et pourquoi cela poserait-t-il forcément problème à tout musulman, plus qu’à tout autre citoyen, de ne pas être Charlie ? Pourquoi serait-il ainsi exposé aux foudres des inquisiteurs modernes ? Car il y a tout lieu de croire qu’une fascinante dictature de la pensée unique n’a de cesse d’étendre son emprise sur la planète entière, étiquetant, catégorisant, repoussant, incluant, excluant ou ré-incluant et ... excommuniant à l’occasion.
Ainsi donc, je devais hier crier « Pas en mon nom ! » suite à l’ignoble assassinat d’Hervé Gourdel et aujourd’hui confirmer que « Je suis Charlie ! ». Je m’en suis abstenu pour deux motifs : le premier d’ordre subjectif qui, dirait-on, ne regarde que moi. Il vaut tout de même d’être noté, après tout on n’est jamais seul. Du point de vue liberté de conscience, il y a fort longtemps que j’ai tranché la question de mon islamité dans mon intime. Et à cet égard, un seul être au monde avait le pouvoir d’exiger de moi des éclaircissements : celle qui m’a donné naissance, et elle les a eues, j’avais vingt ans... C’est pour elle que je cite l’Emir Abdelkader « Ne demandez jamais l’origine d’un homme ; interroger plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure. » (1)
Arrogance de ma part ? Peut-être ! Mais la vraie liberté est en réalité difficile à assumer, et parce qu’elle est difficile, celui qui en connaît toute la valeur, est lucide et respectueux de l’humain.
Le second motif de mon refus d’ "être Charlie" , c’est le besoin de dire halte aux menées des directeurs de conscience type BHL. En effet, à tous ces intellectuels dont les faussaires Bernard-Henri Lévy et Philippe Val qui, du haut du « Mihrab médiatique », invectivent la communauté musulmane, je réponds : « Je ne suis pas Charlie et je ne vous ai pas attendu pour dénoncer la barbarie ailleurs, hier et aujourd’hui. Et ici, les 7, 8 et 9 janvier 2015. En France, je ne connais qu’une seule communauté, celle de la République qu’une classe politique va transformer peu à peu, si l’on n’y prend garde, en une République de tribus.
S’il adresse des injonctions aux musulmans de France et d’ailleurs, notre « nouveau philosophe national », officiant du haut de son autel médiatique, donne la bénédiction le cas échéant et s’autorise même à octroyer des prix d’honneur aux musulmans sans s’embarrasser le moins du monde des contradictions que le réel dévoile de jour en jour depuis une cinquantaine d’années : Afghanistan, Irak, Syrie, Libye... Et, cerise sur le gâteau, l’ignorant et imposteur Imam Hassen Chalghoumi est présenté comme un porte drapeau de l’honneur des musulmans. Rien de moins !
Non pas par incapacité intellectuelle, mais bel et bien pour servir une cause inavouée, notre BHL analyse la réalité apparente et en visitant furtivement le territoire où se déroule l’événement, il tente, illusionniste qu’il est, de convaincre qu’il maîtrise la réalité elle même.
Est-il venu le temps où il faut « repérer, traiter et intégrer » ou à défaut désintégrer ?
Auquel cas, dans ces moments douloureux que vit la France sous l’hymne de l’« Union Nationale », qu’il me soit permis d’évoquer la mémoire de deux algériens, Mohamed Lakhdar-Toumi et Salah Bouchafa. L’un intégra les Francs tireurs et partisans français (FTPF) de Paris rive droite et l’autre meurt à Dachau le 6 avril 1944. Pour défendre une certaine idée de la France, ces deux résistants et leurs camarades français se sont levés justement contre l’Union nationale du moment...
Ceci dit, le terrorisme qui a frappé la France les 7, 8 et 9 janvier est un dommage collatéral, subi par une France déjà en guerre, comme l’affirme Hubert Védrine, on a tendance à l’oublier. Mais quels sont les buts de guerre qui obéissent toujours à la même devise « F.16 - drones et Droit de l’Homme », l’épée et le goupillon du 21ième siècle ? Mystère !
A propos du « seigneur du clergé », Régis Debray a eu ce jugement sans appel et fort juste « Vous incarnez, paraît-il, la démocratie, l’esprit d’ouverture, la civilisation contre les nouveaux Barbares. Non. Vous êtes le visage actuel du fanatisme. Nos nouveaux cagots. » (Le Figaro 22/01/2009)
Assurément, tous ses intellectuels bien intentionnés à l’égard des bons musulmans n’ignorent pas ce qui s’est passé au cours de cette période historique qui a donné naissance aux monstres de Frankenstein, les djihadistes. En Afghanistan, en Irak, en Libye, la doctrine des « nouveaux cagots » (2) s’est traduite par « je bombarde au nom des droits de l’homme car "la guerre c’est la paix" ». Pour le reste, on verra après. Et si un quidam ose s’interroger sur la possibilité qu’« Une telle option risque d’ouvrir la boîte de pandore et, loin de résoudre le problème, le complique », la réponse fuse comme un scud : « Il ne faut pas que la diplomatie française soit guidée par l’esprit munichois... »
Réponse étrange puisque, concernant le Moyen-Orient ou l’Afrique, la référence historique devrait être plutôt la période coloniale et non la seconde guerre mondiale. Ainsi un Saddam Hussein devient un Hitler arabe. Aux experts médiatisés d’intervenir en faisant allusion à un Hitler arabe pour formater l’opinion et le tour est joué.
En fin de parcours, on relèvera que deux guerres ont ramené l’Irak à « l’âge pré-industriel » dixit Georges Bush et à force de formatage de l’opinion, il est communément admis, aujourd’hui, que les Etats-Unis ont échoué en Irak.
Que nenni ! Ils ont atteint leur objectif, à savoir détruire un État-nation. Certes, l’Irak se relève de ses ruines et repousse DAECH beaucoup plus grâce à l’aide militaire iranienne et du Hezbollah que du fait des « frappes aériennes » de la sainte et étrange alliance où se côtoient démocraties occidentales et monarchies pétrolières. De son côté, l’État d’Israël apporte soutien logistique, militaire et médical à l’organisation terroriste syrienne Al- Nosra. Les chancelleries occidentales le savent et se taisent. A n’en pas douter , c’est l’État syrien qu’on veut détruire. Comme hier l’Irak. (2)
Quant à la Libye, tiraillée dans tous les sens, et où tout est à reconstruire, c’est à la fois un relais et un lieu d’approvisionnement pour terroristes et en tout cas un facteur de déstabilisation pour toute la région, y compris l’Afrique du Nord et l’Afrique sub- saharienne.
Pour le volet politique, on verra donc après, comme le sous-entendait à sa manière le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius qui, le 12 décembre 2012, à Marrakech, estimant, de son point de vue, qu’en Syrie Al-Nosra « fait du bon boulot », récusait la décision des États-Unis d’inscrire celle-ci sur leur liste des organisations terroristes. Il était même allé plus loin en souhaitant que Bachar Al-Assad ne soit plus de ce monde ! C’est une sourde invitation à faire subir à ce dernier le sort qui a été celui de Kadhafi : une exécution barbare. C’est vous dire...Peut-on alors trouver meilleure caution pour persuader quelques jeunes français de rejoindre cette organisation terroriste ?
Pourtant, au niveau mondial, ce n’est pas toujours à l’Occident que les intégrismes musulmans s’opposent. La Chine et la Russie ont également leurs zones de tension mais là, les puissances occidentales encouragent les intégristes sinon les soutiennent au nom des Droits de l’Homme. Décidément, la géostratégie occidentale fait fi de la morale quand cela dérange ses intérêts et ses visées impérialistes.
Droit de l’Homme, dites-vous ? Un exemple encore, cette fois en Afrique.
En contrepartie de la libération de Serge Lazarevic, le gouvernement malien a été sommé de libérer quatre prisonniers membres d’Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Parmi eux, Mohamed Aly Ag Wadoussène et Haiba Ag Acherif, organisateurs principaux de l’enlèvement le 24 novembre 2011 à Hombori, de Serge Lazarévic et Philippe Verdon. Ils sont également membres du sous-groupe dénommé Katiba Al Ansar, qui est soupçonné de l’assassinat le 2 novembre 2013 à Kidal des journalistes français Claude Verdon et Ghislaine Dupont. Les deux principales associations maliennes des droits de l’homme, l’AMDH et le WILDAF, ont dénoncé ce scandaleux échange en ces termes « La paix et la réconciliation ne peuvent pas passer par la promotion de l’impunité... S’il faut échanger un terroriste malien contre un français, cela signifie que nous n’avons plus notre raison d’être. S’il s’agit d’un succès pour la diplomatie française, pour nous c’est une grave violation des droits des victimes maliennes ».
Il faut donc conclure à la subtilité déroutante de la diplomatie occidentale que la novlangue peine à masquer. Dans ces conditions, le slogan « Je suis Charlie », qui en apparence semble innocent et appelle à la communion, mis entre les mains des décideurs politiques et économiques et du clergé médiatique, nous interpelle vivement et d’une manière autrement plus urgente. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que les assassins des 7, 8 et 9 janvier 2015, adeptes d’une idéologie qui fait des ravages quotidiennement sous d’autres cieux, sont français, sont nés en France, et se sont convertis à l’intégrisme musulman. Je retiens surtout ces deux informations : français et intégrisme musulman.
La première information, à savoir l’identité française des terroristes, nous conduit à nous demander ce que la République a ou n’a pas fait pour nourrir et garder en son sein une partie de ses enfants, elle nous conduit à nous demander ce que la République sème. Ce n’est donc pas « l’esprit Charlie » dixit le Secrétaire National du Parti Socialiste, qui doit perdurer, mais bien l’interrogation politique et philosophique sur l’état de la société française, sur la nécessité de définir un projet politique et économique crédible susceptible de donner du sens et de l’espérance à des millions de citoyens et offrir une raison d’être à une jeunesse sans horizon. Car les problèmes graves et urgents, tant économiques que sociaux et culturels, qui secouent la société, exigent une vision à long terme.
Or, le débat tel qu’il est engagé par les politiques entourés de « toutologues », comme les qualifie Régis Debray, participe à « l’annulation des grands problèmes », ce qui est on ne peut plus un facteur d’appauvrissement intellectuel. Comme le signalait, il y a déjà vingt ans, Ignacio Ramonet, nos responsables politiques, entourés de leurs conseillers en tout « possèdent rarement les capacités intellectuelles et les connaissances scientifiques indispensables pour adopter des décisions et affronter la crise. Ils doivent s’entourer de conseillers et d’experts qui les renseignent sur les graves problèmes du monde et de la société. Ces « conseillers des princes » sont donc à l’origine de la plupart des grandes décisions en matières de politique économique ou militaire de nos gouvernants. »
Cela devrait-il rassurer les citoyens ? Non, répond le philosophe C. Castoriadis, car « si les politiciens sont ignorants et ils le savent, ils sont menés par des conseillers qui en règle générale se sont tournés vers l’administration et les cabinets politiques parce que leur rendement scientifique personnel était négligeable. Ils sont à la vérité scientifique ce que les critiques sont à la création littéraire. »
Ignacio Ramonet ajoute que « le néolibéralisme des sociétés occidentales apparaît incapable mentalement de mesurer l’ampleur de la crise. » (3)
Quant au second volet de l’identité des terroristes, à savoir l’intégrisme musulman, si, aux dires encore une fois de Régis Debray, « la religion sans culture religieuse est dangereuse », on peut se demander ce qu’il advient en cas d’absence de culture tout court. Nous sommes ainsi renvoyés, entre autre, au combat de clarification et de justice que mènent militants, croyants et intellectuels musulmans depuis longtemps. La République devrait faire confiance à ces citoyens-là sans stigmatisation aucune et accepter qu’en harmonie avec leur juste combat, toute la mesure soit donnée aux conditions d’existence du peuple palestinien lequel souffre d’ une double injustice, celle réelle et redoutable de l’occupation israélienne, et l’autre, insidieuse, caractérisant de bout en bout malheureusement le traitement par les puissances occidentales de cette même réalité avec une règle d’exception, « deux poids, deux mesures. »
La diplomatie française va-t-elle assurément dans le sens de la recherche de la justice et de la paix quand le Président de la République, après avoir concédé que les « musulmans sont les premières victimes de l’intégrisme », annonce que « la France ne changera pas de politique au Moyen-Orient » ?
(1) Bruno Etienne et françois Pouillon : Découvertes Gallimard-Institut du Monde Arabe
(2)http://www.legrandsoir.info/de-la-prison-abu-al-gharib-a-daech.html
(3) Manière de voir N°1 : Ignacio Ramonet : “ Le désarroi des citoyens devant un savoir en miettes ”.
15 /01/2015