Communiqué de Oxfam Solidarité Belgique - Mars 2001
Le 13 avril 1998, un tribunal à New York a rendu un jugement lourd de conséquences : le Holding Havana Club ne peut plus empêcher la firme Bacardi-Martini de commercialiser des produits de marque " Havana Club " sur le marché étatsunien. Une guerre de marques entre deux producteurs de rhum. Havana Club Holding veut garder son nom aux Etats-Unis, tandis que Bacardi voit baisser ses ventes de rhum -de moindre qualité- de manière alarmante.
Quel est le lien entre l’Union européenne et Cuba avec cette guerre du rhum ?
De 1990 à 1993, Bacardi vit ses ventes de rhum diminuer de 23.000.000 à 20.000.000 caisses. Depuis lors, cette tendance persiste. C’est à cette même époque que les Etats-Unis mirent fin à leur boycott contre le Vietnam. Bacardi vit donc se profiler l’orage. En effet, le blocus contre Cuba pourrait aussi être levé. Or, si cela arrivait, le chiffre d’affaires de Bacardi baisserait sensiblement aux Etats-Unis (environ 50 % de ses ventes globales). Sans l’obstacle du blocus, Havana Club Holding (joint-venture formée en 1993 par Pernod-Ricard et Havana Club) pourrait tenter ses chances sur le marché des Etats-Unis. Cela signifierait sans aucun doute des pertes sèches pour Bacardi.
Bacardi & C° : l’heureux papa de la loi Helms-Burton n° 1
Ce sont les avocats de Bacardi qui ont écrit les premières versions de la loi Helms-Burton, en 1994. Ils utilisèrent les sénateurs Jesse Helms et Dan Burton pour soutenir leur cause ; la loi fut finalement approuvée le 12 mars 1996. Cette loi permet aux tribunaux des Etats-Unis de condamner des entreprises (du monde entier) qui investissent dans des propriétés ayant été nationalisées à Cuba. D’énormes amendes peuvent être infligées aux entreprises condamnées. Les Etats-Unis donnèrent un signal limpide au reste du monde : investir à Cuba serait désormais punissable. Le blocus contre Cuba a ainsi acquis un caractère clairement international.
Après l’adoption de la loi Helms-Burton, l’Europe ne savait pas sur quel pied danser : c’est une loi extraterritoriale. Pour les Européens, c’était inacceptable. Toutefois, l’Europe finit par céder aux pressions des Etats-Unis lors du sommet du G7 à Birmingham, en mai 1998. Leon Brittan, Commissaire européen du Commerce, ne put s’empêcher de vouloir aplanir les différents transatlantiques en signant un "entendement " qui rend plus difficile les investissements à Cuba.
Bacardi & C° ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur petit Helms-Burton n° 2
La soif de Bacardi & C° n’était pas encore étanchée. Une stratégie savamment élaborée mais trompeuse, pour se profiler comme producteur de rhum d’origine cubaine (cependant, pas un seul ingrédient du rhum Bacardi ne provient de Cuba), ainsi que le lancement de leur label " Havana Club ", devaient leur assurer la reprise d’une large part du marché étatsunien. A cette fin, il fallait cependant s’approprier le nom "Havana Club ", pourtant enregistré par Cuba aux Etats-Unis depuis 1974.
Au Congrès, Ignacio Sanchez, avocat de Bacardi, donnait le ton. Il fallait une nouvelle loi qui étende les dispositions de la loi Helms-Burton aux droits de propriété intellectuelle. Connie Mack, sénateur Républicain, et Bob Graham, sénateur Démocrate, tous deux élus en Floride, ont admis sans sourciller qu’ils avaient intégré un amendement, écrit par Bacardi & C°, aux 4000 pages de la loi budgétaire de 1999 (la loi Omnibus, adoptée en octobre 1998). Cette loi (la "section 211 ") est un pas de plus dans la guerre des deux géants du rhum. Les dispositions de la section 211 modifient fondamentalement le droit international en matière de propriété intellectuelle.
C’est donc la deuxième fois que Bacardi & C° utilise le législateur afin de défendre ses intérêts particuliers. Les Etats-Unis émettent des lois qui renforcent le blocus contre Cuba et qui l’imposent au monde entier, même si ces lois sont contraires au droit international. Cette législation s’oppose aux principes de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et aux TRIPs (Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights, c’est à dire à la convention spécifique aux droits de propriété avec des aspects commerciaux).
L’Europe assiste-t-elle à la naissance des petits Helms-Burton sans réagir ?
La question est de savoir ce que l’Union européenne compte faire maintenant. Les membres de l’Union européenne devraient en principe être d’accord pour introduire une nouvelle plainte à l’OMC (un "panel "). Il faut remarquer que dans des notes internes du Gouvernement des Etats-Unis, la section 211 est considérée être en contradiction avec des dispositions de l’OMC.
Bacardi & C° effectue en ce moment une tournée européenne des ministères de Affaires Economiques et des Affaires Etrangères, en vue de prévenir une éventuelle plainte. La Belgique a aussi reçu une délégation de Bacardi au début du mois de juin ‘99.
Oxfam-Solidarité plaide en faveur d’une réponse claire et énergique de l’Union européenne. En ce moment, il n’y a sans doute pas d’alternative à l’introduction d’une plainte à l’OMC. C’est le seul langage que les Etats-Unis semblent comprendre. D’autre part, il faudrait que ce dossier sorte de la sphère technique afin qu’il soit traité comme un dossier politique. Cette section 211 n’est rien de plus qu’une extension de la loi Helms-Burton, qui est elle-même un instrument de politique internationale des Etats-Unis.
Ces lois visent à affamer le peuple cubain pour créer de telles insatisfactions que les gens seraient amenés à renverser le régime de manière violente. Cependant, si l’Union européenne veut garder un semblant de crédibilité, elle devrait réagir immédiatement afin de mener une politique étrangère indépendante des Etats-Unis. Si l’Europe veut une politique de coopération constructive et cohérente vis à vis de Cuba, elle devra un jour ou l’autre s’opposer aux Etats-Unis. Et tout compte fait, est-il admissible que la politique étrangère européenne soit gérée par les intérêts commerciaux d’une entreprise privée des Bahamas ?