RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
Lorsque les américains sont épargnés, une guerre n’est pas une guerre

Attaquer la Libye en même temps que le dictionnaire. (Tomdispatch.)

L’administration Obama vient de présenter une étonnante justification pour avoir déclenché une guerre contre la Libye sans l’approbation du Congrès exigée par la Constitution et la loi «  War Powers Resolution » de 1973.

Des avions américains décollent, pénètrent l’espace aérien libyen, localisent des cibles, larguent des bombes, des bombes qui tuent et qui détruisent. C’est la guerre. Certains disent que c’est une bonne guerre et d’autres le contraire, mais aucun doute n’est possible, il s’agit bien d’une guerre.

Néanmoins, l’administration Obama insiste pour dire que ce n’est pas une guerre. Pourquoi ? Parce que, selon un rapport de 32 pages publié la semaine dernière par le gouvernement et intitulé «  United States Activities in Libya », «  les opérations américaines n’impliquent pas de combats soutenus ou d’échanges de tirs avec des forces hostiles, ni la présence de troupes américaines au sol, ni de victimes américaines ou de risque tangible d’escalade vers un conflit qui serait caractérisé par ces facteurs. »

En d’autres termes, le déséquilibre des forces est tellement en faveur des Etats-Unis qu’aucun Américain ne meurt ou ne risque sa vie. Apparemment, une guerre n’est une guerre que lorsque des Américains meurent, lorsque «  nous » mourrons. Lorsque les seuls morts sont les «  autres », les Libyens, c’est autre chose, une chose pour laquelle on n’a pas encore trouvé de nom. Lorsque les autres attaquent, c’est une guerre. Lorsque nous attaquons, ce n’est pas une guerre.

C’est à l’évidence une manière de raisonner très étrange et qui n’est possible qu’à cause d’un fait étrange : aujourd’hui, il est effectivement possible pour certains pays (peut-être uniquement le nôtre) et pour la première fois dans l’histoire, de déclencher une guerre sans subir une égratignure en retour. Cela a failli être le cas avec le bombardement de la Serbie en 1999, où un seul avion américain avait été abattu (et le pilote secouru).

Le modèle de cette nouvelle forme de guerre est le drone (avion sans pilote), le Predator, qui est devenu l’emblème de l’administration Obama. Ses pilotes humains sont assis dans une base militaire du Nevada ou à Langley, en Virginie, tandis que le drone survole l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen ou la Libye en semant sa destruction. Une telle guerre ne fait pas de victimes chez l’agresseur parce qu’aucun soldat de l’agresseur ne se trouve à proximité du champ de bataille - si on peut l’appeler ainsi.

D’étranges conclusions sont tirées de cette étrange manière de raisonner et ces étranges faits. Avant, une attaque contre un pays était un acte de guerre, quel que soit l’agresseur ou la suite des évènements. Désormais, l’administration Obama dit que puisque l’adversaire est incapable de riposter, ce n’est pas une guerre.

Les ennemis des Etats-Unis ont donc une nouvelle raison de vouloir nous infliger un minimum de dégâts car c’est uniquement dans ce cas qu’on pourrait leur reconnaître quelques droits (qui sont ce qu’ils sont) dans le cadre d’une guerre autorisée. Sans ça, ils sont à la merci du Président.

La «  War Powers Resolution Act » autorise le président à déclencher des opérations militaires uniquement lorsque le pays est directement attaqué, lorsqu’il existe «  un état d’urgence provoqué par une attaque contre les Etats-Unis, son territoire ou ses colonies, ou ses forces armées. » Cependant, l’administration Obama justifie ses actions en Libye justement parce que les forces armées US ne courent aucun risque et le territoire des Etats-Unis encore moins.

Il y a un parallèle à faire ici avec la position de l’administration Bush sur la question de la torture (sans faire de parallèle, bien entendu, entre la guerre contre la Libye à laquelle je m’oppose mais sur laquelle on peut encore débattre, et la torture qui n’est en aucun cas justifiable). Le Président Bush voulait que la torture qu’il avait ordonnée ne soit pas considérée comme de la torture, alors il s’est débrouillé pour avoir quelques juristes du Ministère de la justice pour rédiger des rapports expliquant que certaines formes de torture, comme le Waterboarding (simulations de noyade) n’étaient pas de la torture. De telles pratiques ont donc été baptisées «  techniques d’interrogatoires poussés ».

A présent, Obama ne veut pas que sa guerre en Libye soit qualifiée de guerre alors il s’est débrouillé pour définir un certain type de guerre - le genre qui épargne les Américains - qui n’est pas une guerre (ceci sans le soutien total de ses propres avocats). En même temps que la Libye, un bon vieux mot du langage courant - guerre - vient de subir une agression.

Dans ce genre d’opération sémantique du pouvoir contre le langage, un mot se retrouve détaché de son sens le plus commun. La signification des mots est un des rares terrains d’entente entre communautés. Lorsque le sens communément admis est remis en cause, plus personne ne peut employer le mot sans provoquer des «  débats » fallacieux, comme cela s’est produit autour du mot «  torture ». Par exemple, les grands médias, en se soumettant à la décision de George Bush sur la signification des mots, ont cessé de qualifier le Waterboarding de torture et ont commencé à employer d’autres termes, comme «  technique d’interrogatoire poussé », ou «  mauvais traitement », ou «  pratique abusive », etc.

Est-ce que les médias vont maintenant cesser d’appeler la guerre contre la Libye une guerre ? Aucun euphémisme pour «  guerre » n’est encore apparu mais peu après le déclenchement des attaques contre la Libye, un officiel de l’administration a proposé le terme «  action militaire cinétique » ou plus récemment, dans le rapport de 32 pages, le terme proposé est «  opérations militaires limitées ». Sans doute quelqu’un finira par trouver un terme plus accrocheur.

Comment l’administration a-t-elle réussi une telle acrobatie ? Une interview accordée à Charlie Savage et Mark Landler du New York Times par le conseiller juridique de Département d’Etat Harold Koh nous éclaire un peu. De nombreux administrations et législateurs s’en sont pris à la «  War Powers Resolution » en affirmant que cette loi remettait en cause des pouvoirs inhérents à la présidence. D’autres, comme le vice-ministre adjoint de la Justice, John Yoo, ont argumenté que la phrase toute simple de la Constitution qui dit que le Congrès «  déclarera la guerre » ne signifie pas ce que la plupart des gens comprennent en la lisant, et que par conséquence le président a toute latitude pour déclencher toutes sortes de guerres.

Koh s’est longtemps opposé à ces interprétations - et d’une certaine manière, il est resté cohérent. En parlant de l’administration, il reconnaît le pouvoir du Congrès de déclarer la guerre et la constitutionnalité de la «  War Powers Resolution ». «  Nous ne disons pas que le Président peut décider seul d’entrainer le pays dans une guerre, » a-t-il dit au Times. «  Nous ne disons pas que la «  War Powers Resolution » est anticonstitutionnelle ou qu’elle devrait être abrogée ou que nous refusons de consulter le Congrès. Nous disons que la nature limitée de cette mission précise ne constitue pas le genre «  d’hostilités » visées par le texte. »

Ainsi, d’une manière étrange, en voulant éviter d’être confrontés à la loi, ils s’en sont pris au dictionnaire. Pour aller de l’avant dans une guerre qui n’avait reçue aucune forme d’approbation de la part du Congrès, l’administration Obama devait choisir entre une remise en cause de la loi ou celle de la signification des mots. Entre la loi et le langage, il fallait choisir.

Ils ont choisi le langage.

Jonathan Schell

Jonathan Schell is the Doris M. Shaffer Fellow at The Nation Institute, and a Senior Lecturer at Yale University. He is the author of several books, including The Unconquerable World : Power, Nonviolence, and the Will of the People. To listen to Timothy MacBain’s latest TomCast audio interview in which Schell discusses war and the imperial presidency, click here, or download it to your iPod here.

SOURCE ORIGINALE http://www.tomdispatch.com

Transcodage inter-linguistique «  on se comprend » par VD pour La Tombée de la Nuit d’Une Taille Imposante avec probablement les fautes et coquilles habituelles

URL de cet article 14042
   
Même Thème
TOUS LES MEDIAS SONT-ILS DE DROITE ? Du journalisme par temps d’élection
par Mathias Reymond et Grégory Rzepski pour Acrimed - Couverture de Mat Colloghan Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais justement, qu’ils prescrivent des opinions ou se portent garants du consensus, les médias dominants non seulement se comportent en gardiens du statu quo, mais accentuent les tendances les plus négatives inscrites, plus ou moins en pointillé, dans le mécanisme même de l’élection. (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Je n’accepte plus ce que je ne peux pas changer. Je change ce que je ne peux pas accepter.

Angela Davis

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.