Si la genèse du nucléaire hexagonal reposa sur un usage militaire, son histoire irrigue, de manière fort édifiante, celle de « la gauche » (lorsque j’emploie ce vocable dans un contexte politique, je l’entoure systématiquement de guillemets).
Le 4 mai 1939, le physicien Frédéric Joliot, membre du Parti communiste, déposa via la Caisse nationale de la recherche scientifique (Paris) à l’Office national de la propriété industrielle, en compagnie de ses collègues du Collège de France, Hans von Halban et Lew Kowarski, le brevet « Cas N° 3 », intitulé « Perfectionnement aux charges explosives », le mode d’emploi de la bombe A. Sous son égide, la France acquit l’intégralité de l’eau lourde norvégienne et s’assura de l’approvisionnement en uranium dans le Haut-Katanga (Congo) ; elle devint la première importatrice de ce minerai. Le co-lauréat, avec son épouse Irène, du Prix Nobel de chimie, en 1935, dirigea, dès sa création, le 18 octobre 1945 par le général Charles de Gaulle, le Commissariat à l’énergie atomique. Il en fut évincé après qu’il eut lancé, le 19 mars 1950, l’Appel de Stockholm afférent à l’interdiction absolue de l’arme de destruction massive dont il apparut, avec les physiciens d’obédience socialiste, Francis Perrin et Yves Rocard, comme un des géniteurs. Taraudé par ce que je qualifierais de « syndrome Frankenstein/Einstein », le concepteur de la pile « Zoé » au fort de Châtillon (à cinq kilomètres au sud de la capitale) réalisa avec effroi l’incommensurable nocivité de son « oeuvre ». Le décret du 26 octobre 1954, signé par Pierre Mendès-France, président du Conseil, matérialisa noir sur blanc la détermination de construire le terrifiant engin de mort. Guy Mollet, qui cornaqua, sous la bannière de la Section française de l’Internationale ouvrière, le gouvernement entre le 1er février 1956 et le 13 juin 1957, acquiesça au plan quinquennal incluant la force de frappe, alors qu’il avait longtemps prôné une position « pacifiste », majoritaire dans sa formation.
Pas d’un iota
Au printemps 1976, Charles Hernu, qui ne se doutait pas encore qu’il deviendrait, cinq ans plus tard, le chouchou des galonnés, Robert Pontillon, Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane et Lionel Jospin achevèrent, au fil de motions internes aux tournures plutôt floues, de convertir le PS au nucléaire militaire. L’adhésion au volet civil suivrait incessamment. Au préalable, à l’aube d’un scrutin que beaucoup considérèrent comme crucial, il convenait de se démarquer du giscardisme. Le projet socialiste, édité au 1er trimestre 1980, insista sur « l’organisation d’un débat démocratique, non biaisé », impliquant « une opinion informée disposant d’un esprit critique… ». La nouvelle majorité voterait dès son accession aux leviers de l’État une loi garantissant « les modalités de contrôle des citoyens et des élus sur le processus de décision », tant nationalement que régionalement, y compris dans le domaine de la sûreté nucléaire. Ces points figurèrent également dans les fameuses « 110 propositions », dont les auteurs promirent de veiller à une diversification du panel, de pair avec une vaste palette d’économies d’énergie… Au lieu de cela, les gouvernants propagèrent le chauffage électrique, une de ces aberrations d’envergure qui germent régulièrement dans le cerveau déjanté de bureaucrates patentés et de leurs hommes-liges. Si aujourd’hui la France végète, à l’échelle de la « vieille Europe », en queue de peloton quant à la promotion des sources renouvelables, nous le devons essentiellement à celles et ceux qui jurèrent, avec des accents rimbaldiens, de « changer la vie » !...
François Mitterrand abandonna simplement le projet de Plogoff (1), à la pointe du Raz (Finistère) de même que l’extension du camp dévolu aux jeux guerriers sur le plateau du Larzac. Assumant pleinement « l’héritage » de ses prédécesseurs (2), le « florentin », maître ès-esquive et manipulation, s’empressa non seulement d’enterrer le moratoire, comme l’idée d’une consultation du Parlement et a fortiori des citoyen(-ne)s, mais il accéléra les constructions en cours, en commanda d’autres, tout en ne modifiant pas d’un iota l’option de la dissuasion. Je rappelle qu’Anne Lauvergeon, récemment blackboulée par Nicolas Sarkozy des rênes d’AREVA, fut une sherpa et une groupie du « sphinx ».
Nous avons loupé le coche du nécessaire tournant à l’été 1981, lorsque l’électricité d’origine nucléaire représentait 38% du « mix ». Au terme de la première (et unique) législature socialo-communiste sous la cinquième République, le chiffre avoisina les 60%. Après la cohabitation du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, avec Jacques Chirac à Matignon, le retour du PS aux affaires (jusqu’au 29 mars 1993) coïncida avec le quasi-bouclage du parc des centrales. Depuis, la proportion du courant généré par la fission ne variera plus guère : entre 75 et 78%, peu ou prou le double de « l’état des lieux » initial. La nomination de deux Verts au sein du cabinet de Lionel Jospin en qualité de Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, Dominique Voynet (4 juin 1997 - 9 juillet 2001), puis Yves Cochet (10 juillet 2001 - 5 mai 2002), n’impulsa aucune esquisse d’alternative. L’actuelle maire de Montreuil signa une dizaine de décrets concernant cette occurrence, par exemple l’introduction du combustible MOX dans les installations de Chinon (Indre-et-Loire) et l’érection de deux tranches à Civaux (Vienne) ou encore l’autorisation d’un chantier en vue de l’enfouissement éventuel de déchets radioactifs à Bure (Meuse)… Elle avalisa par ailleurs la culture de maïs et d’un soja transgéniques…
Addictions
Édith Cresson dont les diverses malversations (corruption, favoritisme, népotisme…) ne pesèrent pas pour peu dans la chute, le 16 mars 1999, de la Commission européenne présidée par le Luxembourgeois Jacques Santer, se singularisa de manière éhontée par ses partis pris en faveur des géants atomique et pétrolier. Alors qu’elle avait notamment en charge à Bruxelles le programme « JOULE », miss « rien à cirer » sabra sciemment, avec le concours de collaborateurs zélés, 655 millions de F budgétés pour les énergies renouvelables. Des hauts-fonctionnaires tripatouillèrent des études portant sur 936 projets, solaires ou éoliens, en provenance de toute l’Europe. Grâce soit rendue à l’Irlandaise Nuala Ahern et aux Allemands Hiltrud Breyer et Wilfried Telkämper (3), élu(-e)s de la fraction verte au Parlement strasbourgeois, qui dévoilèrent ces ignobles turpitudes demeurées impunies.
Dans leur essai, Les vies cachées de DSK (Le Seuil, mars 2000, 249 pages, 18,30 €), Véronique Le Billon et Vincent Giret, journalistes au mensuel L’Expansion, consacrent le chapitre « Ministre privé » à certaines prestations « intellectuelles » exécutées par Dominique Strauss-Kahn. On y apprend ses accointances, aussi vénales qu’idéologiques, avec le lobby nucléaire. Après sa défaite aux législatives de mars 1993, le recalé de l’ÉNA créa DSK Consultants. Entre 1994 et 1996, EDF lui versa environ 1,5 million de francs, en particulier pour avoir favorisé la coopération franco-allemande sur l’EPR (Siemens/Framatome). Il se ficha comme d’une guigne que la Cour des comptes l’épinglât pour le montant de ses émoluments. De la Cogéma, le natif de Neuilly-sur-Seine palpa quelque 600 000 francs pour des interventions auprès de députés sociaux-démocrates qu’il s’agissait de convaincre quant à l’opération susvisée. Il « pigea » aussi pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Au total, il perçut jusqu’en 1997 en moyenne 200 000 francs par mois pour quelques rapports, courriers, entretiens de visu et coups de fil… Alors que son… addiction à …l’atome lui avait rapporté gros, quelques-un(-e) de ses affidé(-e)s prétendent que l’ex-ponte du FMI envisageait un désengagement de ce mode de production énergétique. Bien avant les événements survenus, le 14 mai dernier, dans la suite 2806 du Sofitel de Manhattan, celui qui avait trop longtemps entretenu la fiction quant à son pouvoir de « séducteur » quasi irrésistible avait déclaré qu’il « n’est pas souhaitable que l’humanité y renonce… » (4). Pas au harcèlement sexuel, au nucléaire !...
Après l’accident survenu à Fukushima, suite au séisme et au tsunami du 11 mars dernier, irritée par la résurgence de la polémique autour d’une technologie de toute évidence guère maîtrisable en cas d’emballement et potentiellement à très haut risque, Ségolène Royal avait reproché aux écologistes de ne pas respecter un « délai de décence ». Benoît Hamon demande un « inventaire précis ». Je l’affranchis ? La France compte cinquante-huit réacteurs d’une puissance globale de 63260 mégawatts (quarante-quatre sur les berges d’un cours d’eau, quatorze en bord de mer) répartis sur dix-neuf sites. Seuls les States la devancent : cent quatre. Jack-« Il n’y a pas mort d’homme »-Lang ne craint pas d’être foudroyé par le ridicule en pérorant sur une « énergie pacifique, non-polluante ».
François Hollande estime qu’abandonner une industrie « où on est sans doute les meilleurs » (sic) serait « ni économiquement sérieux, ni écologiquement protecteur, ni socialement rassurant ». On concédera au moins au président du Conseil général de Corrèze une franchise qui tranche avec les louvoiements chafouins d’autres hiérarques siégeant au 10 rue de Solférino.
Aurélie Filippetti, députée de la Moselle, a pris sans ambiguïté ses distances avec la position du bureau national, une « vision dépassée » (5). Elle a exhorté ses « amis socialistes à une prise de conscience ». Mouais ! Martine Aubry a sonné les cloches à la franc-tireuse, non sans indiquer qu’elle adhère à la « logique des Verts en la matière ». Une sortie au mieux d’ici vingt ans, donc ! Eu égard à l’urgence d’un revirement et d’une reconversion, une telle échéance, que la fille de Jacques Delors aurait néanmoins du mal à vendre à ses ouailles, équivaut aux calendes grecques…
René HAMM
Bischoffsheim (Bas-Rhin)
Le 9 juillet 2011