RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Avoir 20 ans à Madrid en 1936...

...et dire non ! au fascisme, non ! au capitalisme...

A partir de 1991/95 François Mazou était très affecté par la guerre en ex-Yougoslavie et nous entretenait sur la réciprocité de Sarajevo avec Madrid. Même désinvolture vis-à -vis du drame qui se déroulait en temps réel presque sous nos yeux comme l’écrivain Juan Goytisolo l’a commenté dans son livre « cahier de Sarajevo ». L’isolement international de Sarajevo, quelle analogie avec Madrid et la « non intervention ». Tout y est : la lâcheté, mais surtout le véritable visage de cette guerre. Finalement, ce n’est pas tout à fait une guerre civile, c’est une agression caractérisée par les forces de l’Axe contre l’émancipation d’une République des travailleurs.

Les sociétés démocratiques se construisent en se libérant de l’hypocrisie et de l’ignorance et ce n’est surtout pas à la morale du pardon d’arbitrer les défaillances de la raison. Rien ne ressemble plus à l’hydre fasciste que la coalition du même nom avec la « non intervention ». Les fascistes trouvent les alliés providentiels pour accomplir leur basse besogne.

La « non intervention » : un pacte avec le diable.

« le terme de « non intervention » n’est que le voile pudique jeté sur ce qui est un abandon pur et simple de l’Espagne » (les Brigades de la mer)

1939. La « non intervention » fut le ferment qui mena à terme la victoire des fascistes sur la République défaite et vaincue. Franco est adulé par la puissante oligarchie possédante et par l’église dont il est le protecteur, ainsi que par une frange importante de la bourgeoisie européenne qui a « échappé » à un « pouvoir ouvrier » en Espagne et à sa contagion. A présent, des émissaires fusent de toutes parts pour faire allégeance au nouveau maître de l’Espagne.

Déclaration de Bonnet, émissaire envoyé par la France :

« La parole du généralissime est une garantie suffisante. Notre présence sur le terrain serait interprétée comme une insulte à la souveraineté de l’Espagne. Elle risquerait de froisser son nouveau maître et compromettrait nos futures bonnes relations avec lui. Les principes humanitaires sont une chose, la politique internationale en est une autre » sic…

Dés lors que la « non intervention » fut votée et adoptée à la quasi unanimité des états européens le 28 août 1936 (28 pays se déterminent pour le « oui ») on assiste à une véritable levée de boucliers et le refus d’une constitution qui dés le premier article annonce la couleur d’une république de travailleurs.

Extrait de la Constitution de la République espagnole 1931/1936 :

Article 1er. L’Espagne est une République démocratique de travailleurs de toute nature organisée sous le régime de la Liberté et de la Justice. Les pouvoirs de tous ses organes émanent du peuple. La République constitue un État intégral, compatible avec l’autonomie des Municipalités et des Régions. Le drapeau de la République Espagnole est rouge, jaune et violet

(Avant la fin de sa vie, François Mazou avait rejoint le mouvement contre l’épuration ethnique dans l’ex-Yougoslavie. Le vieux combattant de la liberté ne voyait l’avenir que par l’implication de la jeunesse - lui-même avait 22 ans à Madrid en 1936 - persuadé que seule la jeunesse savait dire non et échapper à l’apathie et aux attitudes désinvoltes devant les drames contemporains.)

Un compte à rebours au service des agresseurs de la République se met en route. La guerre n’est plus qu’une histoire de temps mis à profit pour affaiblir son adversaire.

C’est en toute tranquillité et grâce à cette mascarade que fut « la non intervention » que l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste purent perpétrer leurs crimes en toute impunité dans cette Espagne qui deviendra le berceau de la terrible guerre qui suivra avec les dizaines de millions de morts et de suppliciés. Que dire des responsabilités « criminelles » engagées par la République Française et le Royaume Unis, pétrifiés par la peur de l’exemple révolutionnaire en Espagne au point de ne rien faire qui puisse déplaire aux forces de l’Axe Rome-Berlin-Tokyo.

La « non intervention » : une incroyable compromission

Les responsabilités engagées par le Royaume Uni et la République Française en favorisant la « non intervention » sont à mettre sur le compte d’une incroyable compromission. La « non-intervention » devient alors la préfiguration d’une bien curieuse préméditation qui donnera corps à la 2ème guerre mondiale et à un déferlement de haines, de violences et d’atrocités qui furent jugées à Nuremberg comme crimes contre l’humanité, pour lesquelles il ne pourra jamais y avoir de prescription. Ce qui me fait dire que les crimes contre humanité ont leurs « origines » aussi dans cette résignation de la raison qui fut le commencement d’un ressentiment démesuré qui, par anticommunisme, fera la part belle aux fascistes en privant l’Europe d’une première victoire sur le fascisme en Espagne. Et qui sait... peut-être...

Quel triste spectacle que les atermoiements et la déresponsabilisation de la Société des Nations. Il est clair qu’en Espagne les républicains, ainsi que les combattants internationaux, ont compris depuis longtemps que sur le front de la crise économique mondiale se profile le spectre du fascisme/nazisme sous sa forme la plus accomplie, le capitalisme le plus morbide.

Le paradoxe c’est que l’Europe est paralysée par une espèce de peur phobique de voir la guerre civile se transformer en révolution sociale. L’Europe est prête à nourrir le mal qui se répand en elle par la brèche ouverte de ses propres contradictions. Ce qui donna place à une incommensurable aberration qui fit dire à des collaborationnistes de la première heure « plutôt Hitler que le communisme, plutôt mort que rouge »

L’issue, nous la connaissons. Vaincue par la coalition fasciste/nazie, trahie par les pays amis, l’Espagne antifasciste s’effondre. En janvier 1939, la France dépêche un représentant de l’Etat, connu alors pour ses sympathies franquistes. Léon Bérard sera agréé par Franco qui le considère comme un ami sûr de l’Espagne nationaliste Il se dépensera, poussé par Daladier, afin d’obtenir la reconnaissance par la France du gouvernement du général Franco.

L’historien Hugh Thomas considère que le gouvernement Français donnait satisfaction aux nationalistes sur tous les points…

Léon Bérard, un français au service de vichy

Léon Bérard, avocat, se distingua en politique. Né à Salies de Béarn, il fut tour à tour député, sénateur, président du conseil général, ministre de l’instruction publique, ministre de la justice, au sein de gouvernements de gauche et droite. Son ascension lui ouvrit les portes de l’Académie Française. Une personnalité, certes, qui s’illustra dans la sauvegarde de la culture classique, puis qui sombra dans la collaboration. Il fut nommé auprès du Saint Siège à Rome comme ambassadeur du régime de Vichy. Le camp de concentration de Gurs, qui relève de la zone contrôlée par Vichy, est de ce fait représenté par Léon Bérard. Pourtant, 4 convois, 2212 hommes et femmes juifs surveillés par la Gendarmerie Nationale partiront en novembre 42 pour l’extermination. Au Saint Siège il plaide pour que soit signé le statut des juifs. Dans un rapport remis le 2 septembre 1941 à Pétain, Léon Bérard conclut. « Il ne nous sera intenté nulle querelle pour le statut des juifs, il est légitime de leur interdire l’accès des fonctions publiques, légitime également de ne les admettre que dans une proportion déterminée dans les universités…

François Mauriac écrira de lui « mais qu’il devait être malin, ce Béarnais, de droite au fond et qui fit carrière sous la république radicale et jusqu’à régner sur l’instruction publique. » A la libération, Léon Bérard s’est caché durant quatre années. Il revient en Béarn en1948 quand il aura la certitude qu’il ne sera pas inquiété. « Quand les choses se gâtèrent,il attendit sagement sous le porche de Saint Pierre la fin de la grêle » (François Mauriac.)

Le « respectable » Léon Bérard, et le non moins serviteur zélé des théories nazies, est quand même à l’origine d’un rapport sur le statut des juifs. Il atteste par ces mesures discriminatoires et antisémites la réalité du régime de Vichy qu’il représente. Un comportement qui illustre bien les responsabilités de la France sur la déportation vers les camps d’extermination. Et ce qui pour un personnage lambda relève du crime contre l’humanité, pour Léon Bérard il se trouve toujours des voix pour « implorer » la clémence, puisqu un collège à Saint Palais dans les Pyrénées atlantiques porte son nom. Et sur les lieux même de la capitale béarnaise, une très belle avenue arborée s’appelle « cours Léon Bérard », une percée dans un parcours verdoyant qui se profile jusqu’aux portes de l’Université de Pau, point de rencontre avec le boulevard Jean Sarraihl. C’est le parcours que des milliers de véhicules empruntent chaque jour. Le point noir cependant, c’est la rencontre sur son trajet du rond point des « droits de l’homme » (paradoxe, provocation, ignorance ou plus simplement bêtise... allez savoir). Et aussi un médaillon, Place de la Déportation (sic), face au château sur sa façade ouest du parlement de Navarre, présente Léon Bérard académicien et homme politique de la troisième République, né en Béarn. Le texte gravé dans la pierre révèle aux passants Léon Bérard humaniste. (sic)

Les plus curieux remarqueront une faute de goût : le pendant de cette représentation n’est autre que le Béarnais de qui nous n’avons pas honte et qui ne démérite pas sa nomination d’humaniste, lui ! Louis Barthou, natif d’Oloron et ami du père de François.

Les sociétés démocratiques se construisent en se libérant de l’hypocrisie et de l’ignorance et ce n’est surtout pas à la morale du pardon d’arbitrer les défaillances de la raison.

Premier Epilogue

Il est légitime que l’on s’arrête un moment pour préserver la dignité de François Mazou. Nous ne sommes tout de même pas pressés au point d’en négliger l’histoire locale, surtout quand des peaux de banane viennent se glisser subrepticement sous les pieds de son histoire.

C’est arrivé quelquefois, au hasard de discussions impromptues, où le nom de François Mazou était cité. On venait me dire - tu parles de Mazou, il n’a jamais été communiste, il paraît même qu’il était Anarchiste, ou socialiste. Ou encore : en Espagne il n’est jamais monté au Front, ni au feu ; il était planqué à l’arrière, Mazou il ne s’est jamais battu… Ces grandes critiques ne sont que des petites dérives qui datent du retour de François de la guerre d’Espagne et de son départ alors du Parti Communiste. « A mon retour, rapatrié sanitaire, le Parti est resté silencieux, m’a tourné le dos et moi je l’ai quitté sans faire de bruit. » Les ressentiments ont la vie dure, ils sautent parfois une génération et ils reviennent têtus comme le flux et le reflux avec la récurrence tenace des marées. L’histoire de François tracasse, il était difficile à contrer, son verbe savait être tranchant, exercé et pugnace.

Retour arrière : c’est le livre de Michel Martin « Résistances en Haut -Béarn » publié à Atlantica qui m’offre la première clarification.

Ce livre arrive à point nommé pour donner à Oloron et au Béarn des pages écrites de leur histoire. Il se trouve que Michel Martin est le fils du capitaine Valmy, chef du maquis FTPF du Bager. Il est donc issu d’une famille « intentionnellement » de gauche et « intrinsèquement » communiste. Il est important pour l’objectivité de l’histoire que les faits soient respectés. Michel Martin écrit (…) « François Mazou avait fondé une cellule communiste et une section CGTU dans les années 1932/1934. En désaccord avec certaines positions du PCF, il quittera ce parti à la fin de la guerre d’Espagne ».

Michel Martin écrit (…) « En 1935 à Oloron un débat anima la vie politique locale. Fallait-il ou non créer une caisse de chômage ? »

« Au cinéma Gannel eut lieu, le 7 mars 1935,un meeting rassemblant un millier de participants au cours duquel prirent la parole MM. Bertrucq et Chaze de la CGT. Barroumes de la CGTU, Reau de la CFTC. Syndicalistes et travailleurs réclamaient dans l’unité la création immédiate par la Municipalité d’une Caisse de Chômage. La crise indéniable qui frappait l’économie oloronaise laissant dans le plus complet dénuement 200 familles, ce qui représentait 700 personnes. C’est d’ailleurs à l’occasion de ces événements qu’un militant communiste, François Mazou, se retrouva incarcéré pour avoir pris la défense des sans emploi. »

« L’affaire prit d’énormes proportions et joua un grand rôle lors des élections municipales du mois de mai : la liste Mendiondou de centre gauche battit la municipalité sortante libérale de M. Vignau. » Plus tard, François Mazou fera la guerre au sein d’un réseau gaulliste rattaché au BCRA. Il sera le chef de la « Base Espagne » (réseau Fernandibel). (tiré du livre de Michel Martin cité plus haut)

Il suffirait de consulter le MAITRON (le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français), Tome 36, éditions ouvrières. Et la polémique qui va suivre deviendrait caduque. Mais une mémoire s’expose toujours ou presque à une contre-mémoire. Comme l’occasion m’est donnée, je vais essayer d’être le plus persuasif possible. Après, à chacun de se faire une opinion.

François aimait raconter cette période espagnole. Parfois sa voix passait du ton tonitruant à une indicible tendresse que les bons et les mauvais souvenirs réveillaient pour donner à son discours plus de profondeur. Là , sa voix modulait comme une complainte lointaine dans laquelle il puisait une musique chargée de larmes à peine perceptible, mais suffisamment présente pour être perçue par son public attentif et respectueux. « Il fallait participer à la guerre. Ca ne suffisait pas de crier dans les rues « des avions et des canons pour l’Espagne ». Il n’y avait plus le mythe de la guerre : c’était la guerre. »

Comment ne pas reconnaître François dans la phrase ci-dessus. Peut-on voir ici autre chose dans ces deux lignes qu’il a écrites alors en exergue de sa première bataille ou il fut déclaré mort.

Mazou planqué à l’arrière ?

Non seulement c’est de la pure calomnie mais c’est vraiment mal le connaître. Quand il s’engage, il a une idée assez précise de la guerre, comme son frère aîné Jean qui est parti bien avant les Brigades. Aux tous premiers bruits de guerre, il franchira les Pyrénées avec les 400 aragonais qui s’étaient réfugiés de ce côté des Pyrénées. Ils furent recueillis à Oloron ce groupe s’intègrera par la suite dans la 43ème division de l’armée Républicaine espagnole. Antonio Beltran, celui qui deviendra le commandant de cette division, les accompagne. Jean Mazou restera avec eux plus de deux ans. Il servira comme capitaine d’une compagnie de mitrailleuses de l’armée républicaine. François, lui, partira dès son retour du service militaire et lui aussi restera près de deux ans à défendre la République contre les factieux et les nazis/fascistes.

« La guerre d’Espagne ne fut pas l’épopée romantique de l’Espoir ou de Pour Qui Sonne le Glas. C’est, toutes proportions gardées, dans l’enfer de Verdun que les volontaires furent plongés. Mais ces Mazou, ces Maigrot, ces Loeillet, ces Landrieux que nous avons croisés au fil des pages, sont-ils représentatifs de leurs milliers de camarades ? (Remy Skoutelsky, L’Espoir guidait leurs pas » les volontaires français dans les brigades internationales 1936-1939)

En 1936, François est un jeune homme militant depuis quelques années déjà avec une conscience politique solide. A aucun moment sa décision de s’engager pour l’Espagne n’a fait l’objet de sa part d’une quelconque fanfaronnade. Et puis le père de Jean et de François avait fait carrière comme Capitaine dans l’armée française. Héros de 14/18, il mort des suites d’une mauvaise blessure quelques années après la terrible guerre. Quant à l’explication du courage des frères Mazou, comme dit le dicton populaire, un « chien » ne fait pas des chats.

Le MAITRON

« François Mazou est né le 20 avril 1914. Militant syndical de la région Béarnaise il partit en Espagne, comme son frère Jean Mazou à 22 ans à son retour de son service militaire. Il y arriva le 23 décembre 1936 et combattit dans le bataillon Franco-Belge « Bataillon six février » de la 15éme Brigade Internationale… Participa aux combats du Jarama et fut grièvement blessé à la tête le 14 février 1937. Rétabli, il devint commissaire politique du corps de santé du 5éme corps d’armée, il fut ensuite commissaire de compagnie à la 14éme Brigade et blessé au combat de l’Ebre. » Pendant l’occupation, fondateur des réseaux de la « base-Espagne » (avec son frère Jean) rattachés au Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA) de Londres. Il s’occupa des passages de la frontière, de renseignements et liaisons. Membre de l’AVER il habitait à Pau Pyrénées-Atlantiques. (Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier « le Maitron », tome 36 aux éditions ouvrières)

Tiens, pour celui qui ne sait pas, François ne prend pas de vacances : il remet ça dès juin 1940, jusqu’en 1945, cette fois-ci dans la résistance. La rumeur aurai donc oublié ça aussi .

Dans son livre « Les Fougères de la Liberté », Eychenne Emilienne présente une fiche de renseignements, un document photographié qui présente les états de services de François Mazou dans la résistance à partir de juin 1940 .

MEDAILLE DE LA RESISTANCE (OFFICIER)
Mazou François Pierre Victor 20 avril 1914
à Chambost- Allieres ( Rhône )
Infanterie
Commandant à titre fictif
5 ans
dont 2ans et 6 mois dans les F.F.C
Une citation à l’ordre de l’armée
Décision du 23/3/44
Ordre n° 406D
E ;M.G.G. Direction du
personnel n°10143/EMGG/P/CH

Authentique modèle de résistant s’est entièrement consacré à sa patrie depuis Juin 40. A parcouru tout le pays réalisant toujours avec succès les missions de la plus haute importance. A été à l’origine de plus de 500 évasions. A clandestinement franchi à 18 reprises la frontière franco-espagnole et 2 fois la frontière franco- italienne. A fait l’objet d’une décision d’internement par Vichy en 1941 pour activités gaulliste ; recherché par la Gestapo et la Seguridad Espagnole a toujours échappé, souvent de justesse. Aux griffes de l’ennemi, a joue un rôle prépondérant dans l’organisation des réseaux base Espagne » (Coll. P.VUILLET)

Deuxième épilogue

François, avant de mourir, a fait le point sur son retour d’Espagne et sur les zones d’ombre qui ont persisté malgré tout à le maintenir en dehors de l’histoire locale. Cependant, il ne tire aucun ombrage de sont passé avec le Parti : ils se sont quittés tour à tour sans se prononcer, sans se défier, un seul instant. François n’a jamais eu de ressentiment anticommuniste alors que l’on ne pourra pas dire la même chose pour certains de ses camarades a son égard. C’est tout de même incroyable que dans ce contexte il soit à tel point rédhibitoire de se parler et de s’expliquer avec ses camarades et amis. Les choses se sont atténués et le voile c’est levé sur la fin de sa vie. Le Parti l’a invité à animer des conférences dans des réunions publiques sur les Brigades.

Quand à l’ingérence du PCF dans l’organisation des Brigades Internationales, François pense avec le recul que le parti a eu là une idée merveilleuse, dont il lui reconnaît la paternité et le rôle moteur dans cette « entreprise ». Il se dit reconnaissant qu’il lui ait permis de vivre cette épopée alors que le monde semblait anesthésié. François dit aussi que si c’était à refaire, il serait prêt à recommencer. Mais souhaiterait que les apparatchiks soviétiques ne soient plus de la partie. Ce n’est pas sans émotion que François évoque « les moissonneurs du ciel », ces courageux aviateurs soviétiques qui, dit-il, balayaient le ciel avec une dextérité qui n’avait d’égal que leur courage. Il en est de même pour les tankistes qui déstabilisaient l’adversaire par leur « culot. » « Oui ! Les soldats soviétiques n’avaient rien de commun avec la bande de crapules du Politburo. »

« J’étais alors nommé Lieutenant Colonel à 24 ans, Commandant Général de santé du 3eme corps d’armée. J’avais fait transformer les ambulances en mini blocs opératoires… » Quand Marty me dit « tu vas commander la Forteresse de Figureras », je ne sens obligé de lui répondre « je suis trop jeune pour cette charge » « non ! insiste Marty tu es à la hauteur, tes blessures sont apparentes et elles sont autant de preuves ». « Pour Marty, j’étais celui qui avait combattu. »

Le non voyage de François Mazou

« Marty voulait que je parte à Paris pour quelques jours de repos en prévision d’un voyage à Moscou dont l’objectif était mon perfectionnent. J’avais 24 ans et les yeux grands ouverts : l’idéal des Brigades, oui ! Les niveaux de conscience des Brigades, oui ! Les erreurs soviétiques et la manipulation, non ! J’étais trop bien placé à Figueras pour ne pas m’en rendre compte.

« On m’a donc envoyé en France pour un voyage que je ne voulais pas faire, alors je suis revenu - on était en 1938 - avec la ferme intention de continuer ce pourquoi j’étais venu en Espagne : me battre contre le fascisme et défendre la République espagnole. »


photo : extrait de "Regard sur la seconde guerre mondiale en pays Basque" de Marcel Esteban, editions Elkar

Dans son livre « L’espoir guidait leurs pas » Rémy Skoutelsky écrit :

« (...) Dans le chapitre précédent, j’ai précisé qu’un divorce avec le Comintern directement lié à sa politique en Espagne ne pouvait être le fait que de cadres ayant la possibilité matérielle de prendre pleinement connaissance de la situation régnant au sein du camp républicain. François Mazou était de ceux-là . Confronté aux soviétiques à plusieurs reprises, il a déjà refusé de partir suivre l’Ecole léniniste de Moscou à l’issue d’une mission en France - comme le lui demandait Marty - préférant revenir se battre en Espagne. »

Par sa position à Figueras, François Mazou a pu suivre la situation politique intérieure : il n’aurait pu le faire lorsqu’il se battait au Jarama. Il est donc déjà ébranlé si ce n’est dans ses convictions, du moins dans son engagement, lorsqu’il rentre à Oloron

Interview de François : ( L’espoir guidait leurs pas) Remy Skoutelsky :

« Mais moi, j’avais vu des tas de trucs là , le comportement de Gero, la valise de Nin, qui est passée par Figueras, pas quand j’y étais, mais des imbéciles me l’ont dit. Les Soviétiques de là -haut, autant j’aimais les tankistes qui me faisaient attraper une cuite et qui se battaient, ces gars-là c’étaient des copains mais les autres (…) je les détestais (…). Ils ont mené le PSUC et le Parti à prendre des positions désagréables et qui ne s’adaptaient pas à des situations que moi je cherchais à comprendre : pourquoi démolir le POUM, pourquoi démolir les anarchistes alors qu’une bonne partie des anarchistes étaient sur des bonnes positions ? Pourquoi rejeter les autres. Pourquoi faire un clan, pourquoi prendre tous les postes de commande, pourquoi créer une police parallèle. »

La dernière bataille de l’impossible

Eté 1938 : François revient en Espagne. Il est incorporé dans la 14ème « la Marseillaise ». De lieutenant colonel il redevient « Commissaire de Compagnie » et « fait » la bataille de l’Ebre. La dernière grande offensive est peut-être la plus meurtrière : d’après les historiens, plus de 10% des morts de cette guerre l’ont été dans ces derniers affrontements apocalyptiques.

« Ma brigade faisait partie du rideau de diversion. Nous avons traversé l’Ebre et de l’autre coté nous avons en une semaine regagné un territoire fabuleux ». « Après, ça été le recul, toujours à mon poste de Commissaire de Compagnie dans la Sierra del Cabails, le moral était très mauvais. Nous faisions des coups de mains la nuit et on ne voyait toujours pas arriver le matériel soviétique. (...) Là , sur le front de l’Ebre, je fus à nouveau blessé. (...) Si vous regardez le film « Mourir à Madrid », à la fin on y voit un camion transportant des blessés... Eh bien, je suis assis à l’arrière et c’est moi avec un grand pansement au bras qui fait un signe avec la main valide. (...) A mon retour, rapatrié sanitaire, le parti est resté silencieux ». (vidéo Bernard Sanders)

Le Parti s’était engagé au départ des volontaires en Espagne à les aider ainsi que leurs familles en cas de nécessité. François rentre blessé et c’est à peine s’ils font attention à lui. Après ce qu’il a vécu, il estime qu’il ne doit rien à personne puisque le Parti lui tourne le dos, il n’insiste pas.

« Alors, à ce moment-là c’était le contact avec le parti qui n’a rien fait pour moi, ni me donner une aide. J’ai pas touché un centime (…) Alors j’ai fait quelques réunions sur les Brigades Internationales, sur la guerre d’Espagne. J’y allais et j’en ai eu marre d’entendre les copains, orientés, chaque fois me dire : « Raconte-nous le comportement des hitléro-trotskistes ». Merde ! J’avais mon opinion là -dessus, hein, il y a eu peut -être, c’est vrai, des fascistes qui sont rentrés au Parti. Il y a eu Dupré qui est rentré dans les Brigades. Alors j’en ai eu marre, et sans donner de démission, sans faire de bruit, je n’ai plus remis les pieds à la cellule. » (François dans « l’espoir guidait leurs pas » de R. Skoutelsky)

« Ce n’est d’ailleurs pas la stratégie de front populaire du PCE, mais son attitude vis-à -vis des autres forces du mouvement ouvrier que condamne Mazou (…) ». (l’espoir guidait leurs pas - ce paragraphe est repris par Pascal Convert qui cite aussi Mazou dans « Bon pour la légende, lettre au fils » l’histoire de Joseph Epstein chez Atlantica)

Témoignage

« Je ne soupçonnais pas, ce que je sus trente ans plus tard, qu’une des formes d’aide de l’Union Soviétique à la République Espagnole avait été l’envoi de conseillers et d’agents de police politique expérimentés, ô combien. Je crois que c’est parce que tout comme moi-même l’opinion publique l’ignora longtemps que maintes de ces violences et fusillades furent attribuées à Marty. C’était simple logique, puisque cette répression semblait d’inspiration et de méthode soviétique, d’accuser le représentant le plus notoire de l’Internationale Communiste de Moscou. » (Jean Chaintron Brigadiste - autobiographie - dans « l’espoir guidait leurs pas »Remy Skoutelsky)

Le brigadiste Jean Chaintron fut Préfet de Limoges à la Libération, Directeur de cabinet de Maurice Thorez, permanent du parti, président de L’AVER (Association des Anciens Volontaires en Espagne Républicaine), sénateur et mis à l’écart du Comité Central en 1950. Vennent les exclusions du parti d’André Marty, d’Auguste Lecoeur, Puis de Charles Tillon. Marty et Tillon ? Ces deux hommes feraient-ils de l’ombre à Maurice Thorez et seraient-ils susceptibles de remettre en cause sa légitimité ? Marty reste le symbole révolutionnaire du Parti. Quant à Tillon, il a été le véritable chef de la résistance communiste intérieure.

Jean Chaintron sera finalement exclu en 1956. François Mazou, quant à lui, qui à eu pourtant de hautes responsabilités en Espagne est resté longtemps un anonyme inconnu au bataillon pour les publications de l’AVER et du PC. Dans une publication de 483 pages « historia politica y militar de las brigadas internationales » du parti communiste d’Espagne parue en 1996, son nom n’y figure pas. Pourtant, François Mazou, dans la période qui précède ce livre, a fait parler de lui et de son combat qui s’étale sur une période de 10 années (1987/1996) pour la réhabilitation de l’ossuaire de Morata de Tajuna où furent enfouis les corps des 5000 combattants de l’armée républicaine et des brigades internationales. (voir http://www.legrandsoir.info/Francois-Mazou-celui-par-qui-la.html)

Oui, tout ce que compte l’Espagne de sympathisants et de nostalgiques de la République peut être fier de ce Français qui à force d’obstinations et de nombreux voyages entre PAU et Morata de Tajuna a gagné cette deuxième bataille du Jarama.

L’ex-brigadiste Guillermo Rodriguez, interviewé dans ce livre, ne manque pas de le rappeler : « nous avons à Pau le camarade Mazou, ancien commissaire de mon bataillon et qui a fait tant pour Morata de Tajuna où il a combattu avec la 15eme brigade, et avec qui j’ai un contact quasi permanent . » Je pense même que Marty, qui lui a fait confiance, n’a jamais eu à le regretter, sinon sa clairvoyance, quand il préféra le front de l’Ebre aux écoles de Moscou. Ce n’est pas qu’il n’aimait pas les voyages, il n’en a jamais eu les moyens et pour l’avoir bien connu, ce qu’il aimait par dessus tout c’est l’Espagne et la liberté.

Je ne m’explique pas comment l’information préfère le pittoresque à la probité. François Mazou, ce pyrénéen Oloronnais, était un sujet de choix. René Laulheret de la « République des Pyrénées » l’a compris et a écrit les péripéties de François dans ses combats pour la mémoire.

Les frères Mazou, étaient des témoins providentiels d’une époque qui n’a pas encore tout révélé mais qui a favorisé un certain consensus historique tout en négligeant de gratter et de fouiller au coeur du patrimoine culturel et populaire de l’histoire régionale. Ce travail a cependant été entrepris par des associations qui ont en partie pallié à ce manque. Je pense en particulier à « Mémoire collective » et à Ariane Brunetton. Les associations d’anciens combattants de gauche restent à mon avis bien trop figées sur le « devoir de mémoire » qui a évolué dans un cercle trop restreint en « travail de mémoire » - et pourquoi pas « combat pour la mémoire » ?

Somme nous armés pour lutter contre l’oubli qui se nourrit de silence, quand ce n’est pas de rumeurs, pour détourner l’intérêt d’une mémoire qui résiste. La fiction est au roman ce que la réalité est à la mémoire. Nus pourrions dire aussi le roman sans fiction, c’est une mémoire dépourvue de réalité.

Pour François, les sept années et demie de guerre se terminent au Ministère des armées où pendant une année il accomplit un travail de régularisation afin d’établir des dossiers pour justifier les états de service et les faits de résistance, nominativement, de son réseau pour l’ouverture des droits qui, en temps voulu, deviendront des pensions ou des médailles. Sa vie « professionnelle » avait commencé après son renvoi disciplinaire de l’école à 16 ans pour des actions politiques entreprises à l’extérieur de l’établissement. Il s’ensuit.

« Commence une vie de petits métiers, liés toutefois à la culture : vente en plein vent et foules de bouquins et d’objets d’art, sans capitaux ni haute rentabilité, jusqu’au service militaire qui, achevé fin 36, lance ce pacifiste dans 27 mois de l’épopée espagnole et dans la foulée sur le front des Alpes en 1939, et enfin l’été 1940, dans la Résistance gaulliste. » (Bernard Barrère Professeur émérite d’Université à Pau, ami de François).

Le travail de François au ministère des armées n’est en rien transcendant. La guerre a fait un soldat du militant pacifiste, ça suffit. Cependant, ce travail qui dure un an lui permet de découvrir la capitale puis, après avoir couru les théâtres, les cinémas, les expositions d’Art plastique, avec un appétit de toujours plus de culture sans jamais atteindre la saturation ni l’indigestion, François refuse les propositions d’engagement.

« Avec son frère aîné, qui l’a précédé dans son engagement espagnol et de résistant, il vivra, une fois la paix retrouvée, ses passions : culture, art, pour lesquelles il montera des galeries… Epris avant tout de liberté, il la garantira par la précarité de ses ressources dans une « pauvreté lumineuse », selon l’expression d’un ami. » (Bernard Barrère)

La machine à écrire était un prolongement vital à la vie de François pour parsemer le monde de l’information qu’il jugeait nécessaire pour prévenir d’un problème, d’une initiative, d’une action, ses camarades brigadistes de par le monde.

La fin de son courrier fut sa mort annoncée. Non, Marty ne s’était pas trompé : François Mazou c’était celui qui savait ce qu’il voulait et il l’a montré jusqu’à la fin de sa vie. François appelait ça des ricochets : on jette un caillou dans l’eau, s’ensuivent des ronds en surface qui vont en croissant et en se multipliant dans un ballet exponentiel. C’est le chemin parcouru par les lettres de François Mazou qui a leur tour étaient recopiées et expédiées par les destinataires qui à leur tour et ainsi de suite…

« La terreur de l’imprévue voilà ce qu’occulte la science de l’histoire qui fait du désastre une épopée. » Philip Roth

Luis Lera

URL de cet article 8941
   
Même Thème
30 ans d’Humanité, ce que je n’ai pas eu le temps de vous dire
Michel TAUPIN
Quel plaisir de lire José Fort ! Je pose le livre sur mon bureau. Je ferme les yeux. Je viens de l’avaler d’une traite. Comme je le trouve trop court, je décide de le relire. Même à la seconde lecture, il est captivant. Cette fois, j’imagine ce qu’aurait été ce bouquin illustré par son compère Georges Wolinski comme c’était prévu. Ç’aurait été tout simplement génial. Des tarés fanatiques ne l’ont pas permis. La bêtise a fait la peau de l’intelligence et de l’élégance. De l’élégance, José (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.