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L’information et l’idéologie.

illustration : guido daniele.com

Idéologie : Un système d’idées, de croyances, de doctrines propres à un groupe social. Une vision bien précise du monde, de la réalité.

Nous sommes tous, qu’on le veuille ou non, à des degrés divers, d’une certaine façon, « idéologues ». C’est-à -dire que nous voyons les choses à travers nos perceptions, nos idées, nos convictions, bref nous avons tous des lunettes qui nous colorent la réalité.

L’objectivité dans l’analyse des événements est un but à atteindre. Nous devons être conscients que nos opinions peuvent teinter notre perception des choses et de la réalité.
Le journalisme est un métier qui, lorsqu’on le fait professionnellement, est une lutte constante pour parvenir à livrer des faits, à décrire des événements d’une façon à rendre le plus fidèlement possible leur couleur réelle en s’efforçant d’éliminer toutes opinions personnelles, toutes convictions individuelles, tous choix politiques, comme si on voulait rendre l’Être Humain en une machine neutre d’information.

C’est un métier bien difficile. Les grands journalistes sont généralement ceux qui ont su atteindre et maintenir pendant toute leur carrière ce niveau de neutralité.

On peut penser à ce regretté Louis Martin de Radio Canada. Ses proches collaborateurs disaient de lui que bien qu’il l’ait côtoyé professionnellement "intimement", ils n’ont jamais pu savoir ses "préférences" politiques. Louis Martin interviewait tous les gens de la même façon et tentait d’analyser les événements avec toujours la même rigueur sans jamais privilégier une vision plutôt qu’une autre.

Radio Canada fut, à une époque, un chef de file exemplaire pour la qualité de son information grâce à la qualité professionnelle de ses journalistes et de ses communicateurs hors pair. Éthique, rigueur et professionnalisme balisaient la livraison des nouvelles. Une information complète qui nous présentait les événements en profondeur en nous les expliquant pour rendre les dossiers les plus complexes à la portée de tous. Pensons à « Point de mire », où, comme un maître de classe, M. Lévesque, devant son tableau noir, vulgarisait et détaillait les événements.

L’information était "non-éditoriale".

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Radio Canada, comme bien d’autres, semble avoir perdu de sa rigueur. On a l’impression que notre société d’État, jadis exemplaire, transpire maintenant d’idéologie.

Il est devenu régulier d’avoir, non plus de l’information, mais plutôt le verdict d’un jugement. Le choix des mots, l’ampleur des titres… on nous offre le jugement des événements. On nous suggère, et même, on nous impose le verdict que nous devons avoir face aux situations.

Prenons le cas iranien. Quelques minutes seulement après le résultat controversé de l’élection présidentielle, on condamnait sévèrement. Sans même attendre le déroulement des événements sans même prendre le recul pour décrire l’ensemble des éléments, la condamnation « sans appel » et soutenue contre ce résultat « catégoriquement frauduleux » (sic) était mise de l’avant. Le travail journalistique s’est résumé en une sorte de propagande boule de neige anti Ahmadinejad. (Il faut préciser que cette remarque (parce que sûrement certains peuvent l’interpréter ainsi) n’est aucunement une prise de position en faveur d’Ahmadinejad ou du régime dictatorial religieux iranien. Il s’agit plutôt d’un simple constat servant à illustrer l’absence d’objectivité des médias. On nous a imposé le jugement sans pour autant nous livrer une information nous permettant de comprendre et connaître les acteurs, les enjeux, les forces et les déchirements de cette société en évolution.)

Très peu d’Histoire, très peu d’analyses sérieuses (rien d’autre que des démonstrations soutenant "la justesse" (sic) de la condamnation), très peu de visibilité et d’entrevues de partisans du condamné [Ahmadinejad]. On nous a offert la vision d’un seul et unique côté de la médaille. On a même été jusqu’à utiliser l’image-choc de cette femme qui meurt sous la caméra avec son sang lui sortant de la bouche. Les assassins ont été rapidement identifiés (sic) malgré l’absence de preuve et le manque d’information sur les circonstances du drame. De simplement se demander d’où pouvait provenir cette balle mortelle est interdit. Nos journalistes ne présument pas, ils nous assurent que Neda est une victime du régime répressif. Être au mauvais endroit au mauvais moment peut arriver dans n’importe quelle manifestation où la violence est au rendez-vous et « l’utilisation démagogique » de cette mort en direct a été à la limite de la décence journalistique.

Le rôle du journaliste n’est pas de condamner ni de juger. Le rôle du journaliste est de rendre les faits. Qui donc a assassiné JFK ? On tergiverse encore. Qui donc a tué Neda ? On n’a pas tergiversé une seconde. Comme s’il n’était pas nécessaire d’enquêter sur cet assassinat. C’est le retour au Far West où la justice se faisait rapidement en pleine rue. On lynchait illico presto le présumé assassin avant que celui-ci n’ait le temps de la moindre défense.

Neda a servi instantanément les opposants au régime iranien. La caméra qui n’a rien raté de son agonie et de sa mort sera la meilleure bombe médiatique pour tenter de donner le coup de grâce à l’ennemi.

En temps "normal", on ne voit jamais, les Neda qui meurent. Il y en a pourtant quotidiennement depuis 2001. Des jeunes femmes, jolies et leurs enfants charmants qui sont morts en ayant du sang leur sortant de la bouche ou avec les membres arrachés par des bombes « légales ». Imaginez si chaque Neda avait eu la chance d’avoir un téléphone-caméraman enregistrant sa mort pour une diffusion internet rapide. Peut-être qu’on aurait empêché les 500 000 morts irakiennes ou les milliers de morts à Gaza ou encore tous ces Afghans et Afghanes qui n’ont pas eu la chance de vivre leur nuit de noces.

Mon propos dérive dans l’émotion, dans la condamnation, dans l’idéologie. On tombe facilement dans l’émotion, surtout lorsqu’on voit la mort sous nos yeux. On peut rapidement condamner celui qu’on croit l’assassin et le pendre sur le champ, sans jugement. Notre émotion remplace le procès, notre justice devient expéditive. Expéditive, mais pas du tout infaillible. Combien de gens furent lynchés injustement, haut et court, trop rapidement par des populations sous le coup de l’émotion ?

Imaginez un juge émotif…

Imaginez un journaliste qui conclut sans être sur place et sans recouper sa source.

(Je tiens encore une fois à préciser que ces propos ne sont en rien pour suggérer une quelconque banalisation de cette mort horrible qu’a eue Neda. Il s’agit plutôt de mettre en lumière l’utilisation (peu journalistique) qu’on a faite de sa mort.)

Notre perception de la réalité est fonction de ce l’on voit ou de ce que l’on ne voit pas.

Plusieurs ont découvert la violence à travers Neda. Plusieurs ont eu l’impression que jamais avant Neda il n’y avait eu de Neda. Toutes les Neda précédentes n’existent tout simplement pas. Tant qu’on ne nous les montre pas, elles demeurent inexistantes. Comme la violence de la guerre n’existe pas. On ne voit jamais de corps éventrés, démembrés, décapités, comme si la guerre, les armes, les bombes ne causaient pas ces sévices. Pourtant…

En choisissant ce que l’on montre ou ce que l’on cache, on peut ainsi forger une vision de la réalité. On nous a montré en boucle et avec tous les moyens techniques disponibles (cellulaires, internet) la violence iranienne, la contestation. On a même énergisé d’une certaine façon, ces opposants qui manifestaient dans bien des cas de concert avec la presse étrangère en arborant des affiches en anglais. Leur message n’était visiblement pas pour les ayatollahs, mais pour la communauté internationale.

Cette crise iranienne fut « en bonne partie » fabriquée par les médias. Cet acharnement médiatique (d’ailleurs toujours actif) nous a profondément atteints et le cas iranien est devenu NOTRE cas. La lutte de ces Iraniens et de ces Iraniennes est devenue NOTRE lutte comme si nous-mêmes étions devenus iraniens. On nous a exposé la lutte d’une population totalement (sic) homogène, qui nous ressemble complètement (!) contre ces dirigeants totalement (sic) infâmes qui sont fous (sic).

Pourtant, la population iranienne est bien loin d’être homogène (aucune population n’est homogène. Imaginez qu’on présente au monde le Québec comme étant une population homogène luttant pour obtenir son indépendance). Cette population est sérieusement divisée et ladite fraude si sévèrement condamnée, n’en était peut-être pas une, plusieurs éléments "objectifs" peuvent étayer la validité du résultat. [1]

Pour le Honduras, c’est une tout autre histoire. Ici, l’accent est mis, non pas sur l’homogénéité de la population, mais sur sa division. On présente les manifestants honduriens comme, non pas la majorité de la population, mais comme un groupuscule de fidèles au président dit « déchu ».

Dans le cas hondurien, nous n’avons vu que très peu de manifestations. Les manifestants au Honduras semblent être quelques groupes isolés de paysans frustrés et de pauvres manipulés. Pas de caméra, pas de reporter sur place, le Honduras subi un "black-out" télévisuel et journalistique presque complet. Ici, l’utilisation de Twitter, des cellulaires et d’internet ne semble pas fonctionner. La dictature qui s’est installée a mieux réussi que les ayatollahs pour couper le Honduras du reste du monde. Autant pour l’information qui entre que pour celle qui en sort.

Comment expliquer autrement que par des visées idéologiques, ce gouffre de différences dans le traitement de ces deux événements ?

Autant les médias ont soutenu et même favorisé les manifestations iraniennes, autant ils ont "négligé" le Coup d’État hondurien.

Il est flagrant que dans les deux cas, la coloration idéologique des événements est éclatante.

Nos médias "officiels", "classiques", "mainstreams", semblent au service de l’idéologie néolibérale. C’est "normal", ce sont des médias financés et entretenus par les riches corporations néolibérales. Il devient donc "normal" (sic) que ce journalisme fasse preuve d’un manque d’éthique et d’objectivité flagrante. Comme il est "normal" (sic) que notre information « limite » notre compréhension pour conserver la docilité de la masse.

Pourtant, l’événement d’Amérique latine était d’une importance bien équivalente et même sur certains aspects, nettement supérieure à celui du Moyen-Orient.

Au niveau démocratique, il est incontestable que l’événement du Honduras est une atteinte flagrante au plus élémentaire de la démocratie.

Tandis que celui du Moyen-Orient est très discutable. Autant la condamnation, sans équivoque, de ladite fraude de l’élection présidentielle iranienne était douteuse, autant le Coup d’État, l’arrestation, l’expulsion et le renversement par les armes d’un président ÉLU étaient une atteinte incontestable aux plus élémentaires fondements de la démocratie. Cependant, cet événement d’une flagrante dérive autoritaire est passé presque sous silence et sans grande indignation médiatique.

L’idéologie qui guide nos (sic) médias crève les yeux.

Les faucons du libre-échange qui ont pour mission de mettre les ressources globales au service qu’une riche oligarchie mondiale, luttent à l’aide de leur puissant outil (arme) médiatique, à prendre le contrôle de l’Iran tout comme de reprendre le contrôle de leur (jadis) arrière-cour, l’Amérique latine.

Comment expliquer autrement cette différence de traitement de ces deux événements ?

Nos médias ont supporté les manifestations favorables à la prise de contrôle de l’Iran et ont évité de nuire au Coup d’État permettant de mieux contrôler le Honduras même si ce Coup opprime la population hondurienne et bafoue les règles élémentaires de la démocratie.

On nous a expliqué le "bien-fondé" du Coup d’État dit "démocratique" (sic) du Honduras et on s’est indigné de ladite fraude électorale au Moyen-Orient au point qu’on aurait dit un Coup d’État.

La situation iranienne perdure depuis 1979. Cet événement iranien, tout de même assez terne du point de vue démocratique, a été monté en épingle par nos médias ayant tant à coeur (sic) la démocratie.

Pour nos médias-moraux, la lutte des opposants iraniens est noble et courageuse, tandis que celle du peuple hondurien est maladive et subjuguée.

Pour le Honduras, nos mêmes médias-moraux au service de la "démocratie" (sic), ont expliqué de leur mieux le « bien-fondé » de ce renversement par les armes d’un président ÉLU. On a été jusqu’à nous expliquer que la dictature hondurienne est ce qu’il y a de mieux pour le bien-être de la population.

Nous savons, mais oublions facilement que toutes les dictatures ont été ce qu’il y avait de mieux pour l’exploitation. L’Histoire et les indécentes inégalités des classes en Amérique latine sont là pour en témoigner.

Il est à espérer que nos professionnels de l’information mettent de côté l’idéologie pour retrouver l’éthique et l’objectivité afin de mieux nous présenter le monde qui est en lutte pour le changement.

Serge Charbonneau
Québec

[1] Présidentielles iraniennes 2009 - Les raisons d’une victoire controversée
http://www.ledevoir.com/2009/06/17/255396.html

« Un sondage pré-électoral montrait un fort soutien à Ahmadinejad »
http://www.lemonde.fr/international/article/2009/06/15/un-sondage-pre-electoral-montrait-un-fort-soutien-a-ahmadinejad_1207178_3210.html

« The Iranian People Speak »
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/06/14/AR2009061401757.html

version française
Le Peuple iranien s’exprime
http://www.legrandsoir.info/Le-peuple-iranien-s-exprime-Washington-Post.html

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L’Histoire m’acquittera
Fidel CASTRO, Jacques-François BONALDI
L’Histoire m’acquittera (en espagnol : La Historia me absolvera) est un manifeste d’auto-défense écrit par Fidel Castro en octobre 1953, à la veille de son procès (il est jugé pour avoir attaqué la caserne de Moncada le 26 juillet 1953, en réaction au coup d’état de Batista). Fidel Castro est diplômé en droit, il manie la plaidoirie, exercice qu’il connaît bien, avec aisance : il y explique ses actes et son implication dans le soulèvement contre Batista mais surtout, il y développe ses (…)
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