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Amérique latine : la lutte vient juste de débuter.

illustration : "Marti" de Dausell Valdés, Cuba 2004.

Les gouvernements peuvent bien changer, les instruments par lesquels ils ont fait de nous une colonie restent.

Pour un président étasunien ayant le sens de la morale, nous avons eu droit durant les vingt-huit années suivantes à trois qui ont commis des génocides et à un quatrième qui a internationalisé le blocus.

L’Organisation des États américains (OEA) a été l’instrument de ces crimes. Seul son coûteux appareil bureaucratique prend au sérieux les accords de sa Commission interaméricains des droits de l’homme (CIDH).

Notre nation a été la dernière colonie espagnole au terme de quatre siècles d’occupation et la première à se libérer de la domination des États-Unis au terme de plus de six décennies.

« La liberté coûte très cher, et il faut soit se résigner à vivre sans elle, soit se décider à la payer à son prix », nous a appris l’Apôtre de notre indépendance (José Marti - NDR).

Cuba respecte les vues des gouvernements des pays frères d’Amérique latine et des Caraïbes qui pensent autrement, mais elle ne souhaite pas faire partie de cette organisation.

Daniel Ortega (président du Nicaragua - NDR), qui a prononcé un discours courageux et historique à Port-of-Spain, a expliqué au peuple cubain que les pays indépendants d’Afrique n’avaient pas invité les anciennes puissances coloniales européennes à faire partie de l’Unité africaine. C’est là une position digne dont il faut tenir compte.

L’OEA n’a pas pu empêcher Reagan de déclencher sa sale guerre contre le peuple nicaraguayen, de miner les ports, de recourir au trafic de drogues pour acheter des armes et financer la mort, l’invalidité ou les lésions graves de dizaines de milliers de jeunes dans un si petit pays.

Qu’a fait l’OEA pour le protéger ? Qu’a-t-elle fait pour empêcher l’invasion de Saint-Domingue ; les assassinats ou les disparitions de centaines de milliers de personnes au Guatemala ; les attaques de l’aviation, les assassinats de figures ecclésiastiques éminentes, les répressions massives contre le peuple ; les invasions de la Grenade et du Panama ; le coup d’État au Chili, les tortures et les disparitions dans ce pays, mais aussi en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et ailleurs ? A-t-elle accusé une seule fois les États-Unis ? Comment évalue-t-elle ces faits sur le plan historique ?

Granma a publié hier mes Réflexions sur l’accord de la CDHI contre Cuba. J’ai eu ensuite la curiosité de connaître celui qu’elle a adopté contre le Venezuela. A peu près la même ordure.

La Révolution bolivarienne n’a pas accédé au pouvoir comme à Cuba. Dans notre pays, le processus politique avait été brusquement interrompu par un putsch militaire, promu par le gouvernement étasunien, le 10 mars 1952, à quelques semaines des élections générales prévues le 1er juin. Une fois de plus, le peuple cubain n’avait d’autre choix que la résignation. Mais les Cubains luttèrent de nouveau et cette fois-là le dénouement fut différent. Presque sept ans plus tard, la Révolution était victorieuse pour la première fois dans l’histoire du pays.

Les combattants révolutionnaires, équipés d’un minimum de ressources militaires dont ils arrachèrent plus de 90 p. 100 à l’ennemi pendant vingt-cinq mois de guerre, soutenus par le peuple et, lors de l’offensive finale, par une grève générale révolutionnaire, liquidèrent la tyrannie et contrôlèrent toutes ses forces et tous ses centres de pouvoir. La Révolution victorieuse devint source de droit, comme à n’importe quelle autre époque de l’Histoire.

Au Venezuela, ça a été différent. Chávez, un militaire révolutionnaire comme il en est d’autres sur notre continent, s’est installé à la présidence selon les normes de la Constitution bourgeoise en place, en tant que leader du Mouvement Ve République allié à d’autres forces de gauche. La Révolution et ses instruments restaient à créer. Si le soulèvement militaire qu’il dirigeait avait triomphé, la Révolution aurait peut-être suivi un autre cours au Venezuela. Chávez a été toutefois fidèle aux normes légales en place qui étaient désormais à sa portée comme voie de lutte principale. Il a développé l’habitude des consultations populaires chaque fois que de besoin.

Il a soumis la nouvelle Constitution à un référendum populaire. Il n’a pas tardé à faire l’expérience des méthodes de l’impérialisme et de ses alliés de l’oligarchie pour récupérer et conserver le pouvoir.

Le putsch du 11 avril 2002 a été la riposte de la contre-révolution.

Le peuple a réagi et l’a de nouveau porté au pouvoir alors que, isolé et coupé de tout, il était sur le point d’être liquidé par la droite qui le poussait à signer sa démission.

Chávez n’a pas plié, il a résisté jusqu’à ce que les marins vénézuéliens eux-mêmes le libèrent et que des pilotes d’hélicoptères des forces de l’air le ramènent au palais de Miraflores, alors occupé par le peuple et les soldats du fort Tiuna qui s’étaient soulevés contre les hauts gradés putschistes.

J’ai pensé ces jours-là que Chávez radicaliserait sa politique. Or, soucieux de l’unité et de la paix, il se montra généreux alors qu’il avait le plus de force et d’appui et engagea des conversations avec ses adversaires, en quête de coopération.

La réplique de l’impérialisme et de ses complices à cette attitude a été le putsch pétrolier. L’une des batailles les plus brillantes qu’il a menée durant cette période a sans doute été pour fournir des carburants au peuple vénézuélien.

Nous avions conversé bien des fois depuis sa première visite à Cuba en 1994 et sa conférence à l’Université de La Havane.

C’est quelqu’un de vraiment révolutionnaire, mais à mesure qu’il a pris conscience de l’injustice qui régnait dans la société vénézuélienne, sa pensée s’est approfondie jusqu’au moment où il s’est convaincu qu’il n’y avait pas d’autre choix au Venezuela qu’un changement radical et total.

Chávez connaît dans ses moindres détails les idées de Simón Bolà­var qu’il admire profondément.

Ses ennemis intérieurs et extérieurs comprennent qu’il n’est pas aisé de vaincre un combattant tenace qui ne prend pas une minute de repos. Ils peuvent décider de le priver de la vie, mais ils savent ce que cela signifierait pour leurs intérêts. Il peut exister des fous et des fanatiques irresponsables, certes, mais les leaders, les peuples et même l’humanité en soi ne sont pas à l’abri de ces dangers.

Quand on y pense la tête froide, on constate que Chávez est aujourd’hui un formidable adversaire du système de production capitaliste et de l’impérialisme. Il est devenu un véritable expert au sujet de bien des nombreux problèmes fondamentaux de la société humaine. Je l’ai suivi ces jours-ci tandis qu’il inaugurait des dizaines de services de santé. Il est impressionnant. Il critique durement ce qu’il se passait dans des services vitaux comme l’hémodialyse qui étaient en des mains privées mais payées par l’État. Les pauvres étaient condamnés à mort s’ils n’avaient pas d’argent. C’était pareil dans de nombreux autres services dont disposent aujourd’hui les nouvelles installations dans des centres hospitaliers dotés des équipements les plus modernes.

Chávez maîtrise avec brio jusqu’aux moindres détails de la production nationale et des services sociaux. Il domine la théorie et la pratique du socialisme dont son pays a besoin et il s’efforce de matérialiser ses plus profondes convictions. Il définit le capitalisme tel qu’il est ; il ne peint pas des caricatures, il montre des radiographies et des images du système.

Il analyse un ensemble particulier et odieux de formes d’exploitation du travail humain, injuste, inégal, arbitraire. Il ne parle pas seulement des travailleurs : il les montre à la télévision en train de produire de leurs mains, de déployer leur énergie, leurs connaissances, leur intelligence, de créer des biens ou des services indispensables aux êtres humains ; il leur pose des questions sur leurs enfants, leur famille, leurs femmes ou leurs maris, leurs proches ; il veut savoir où ils vivent, ce qu’ils étudient, ce qu’ils font pour élever leurs connaissances ; il veut connaître leur âge, leurs salaires, leur prochaine retraite ; il dément les mensonges grotesque que les impérialistes et les capitalistes répandent au sujet de la propriété. Il montre des hôpitaux, des écoles, des usines, des garçons et des filles ; il fournit des données sur les usines en chantier au Venezuela, sur les machines, sur la croissance de l’emploi, sur les ressources naturelles ; il montre des graphiques et des cartes ; il donne des nouvelles sur la dernière découverte de gaz. La toute récente loi adoptée par le Congrès a porté nationalisation des soixante principales entreprises prestataires de services à PDVSA, la société publique de pétrole, pour plus de huit milliards de dollars annuels ; elles n’étaient pas de propriété privée, elles avaient été créées par les gouvernements néolibéraux avec les ressources de PDVSA.

Je n’avais jamais vu une idée transformée si clairement en images et transmise par la télévision. Chávez n’a pas seulement un talent spécial pour saisir et transmettre l’essence des processus ; doté d’une mémoire privilégiée, il oublie difficilement une phrase, un mot, un vers, une intonation musicale ; il combine des mots qui expriment des concepts nouveaux. Il parle d’un socialisme qui cherche la justice et l’égalité ; « tant que le colonialisme culturel persistera dans les esprits, le vieux n’en finira pas de mourir et le neuf n’en finira pas de naître ». Il combine des vers et des phrases éloquentes dans des articles et des lettres. Il a surtout fait la preuve qu’il était le leader politique vénézuélien capable de créer un parti, de transmettre sans cesse des idées révolutionnaires à ses militants et de les éduquer politiquement.

J’ai surtout observé les visages des capitaines et des membres d’équipage des bateaux des entreprises nationalisées : quand ils ont pris la parole, ils ont exprimé leur orgueil intérieur, leur gratitude pour être reconnus à leur juste valeur, leur sécurité en l’avenir ; les étudiants d’économie en fin d’études, pleins de joie, ont nommé Chávez parrain de leur promotion quand celui-ci leur a dit qu’on avait besoin de plus de quatre cents d’entre eux pour travailler en Argentine, une fois le cours fini, dans les plus de deux cents usines qui verront le jour dans le cadre du programme souscrit avec ce pays et où ils familiariseront avec les procès de production.

Ramonet était aux côtés de Chávez, étonné de son travail. Quand, voilà à peu près huit ans, Cuba a débuté sa coopération révolutionnaire avec le Venezuela, Ramonet me posait des tas de questions au palais de la Révolution. Bien informé, il se triture les méninges pour tenter de deviner ce qui se substituera au système de production capitaliste. L’expérience vénézuélienne l’étonne assurément. J’ai été témoin d’un effort singulier dans ce sens.

C’est un bataille d’idées que l’adversaire a perdue d’avance parce qu’il n’a rien à offrir à l’humanité.

Ce n’est pas pour rien que l’OEA s’efforce hypocritement de présenter Chávez en ennemi de la liberté d’expression et de la démocratie. Presque un demi-siècle s’est écoulé depuis que ces armes émoussées et retorses se sont brisées contre la fermeté du peuple cubain. Aujourd’hui, le Venezuela n’est pas seul, et il peut aussi faire fond sur l’expérience de deux cents ans d’une histoire patriotique exceptionnelle.

C’est une lutte qui vient de juste de débuter sur notre continent.

Fidel Castro Ruz
Le 10 mai 2009

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