![Médias alternatifs : Bonne nouvelle, mauvaise nouvelle (consortiumnews)](local/cache-vignettes/L250xH166/arton8255-502de.jpg?1683636604)
[ Le Grand Soir : le site consortiumnews.com rencontre de sérieuses difficultés financières. Dans cet article/appel, son responsable Robert Parry explique leurs difficultés à trouver les sommes nécessaires pour maintenir le site et l’équipe à flot. Puis il se lance dans des considérations plus générales. Evidemment, comme toujours, un parallèle est assez facile à faire avec la France. Si le coeur vous en dit de venir en aide à l’un des sites les plus sérieux et utiles du Websphère, rendez-vous sur leur site où vous pourrez contribuer via vos cartes de crédit. La « bonne nouvelle » du titre, c’est qu’ils ont reçu un paiement de 2000 dollars. La mauvaise, c’est que c’est insuffisant. Et l’autre mauvaise nouvelle, c’est ceci : ]
(…)
Il est triste de voir s’arrêter une émission de radio de grande qualité comme « The Peter B. Collins Show » sur la côte ouest. Collins est un interviewer talentueux et son émission offrait une programmation quotidienne intelligente d’une durée de trois heures.
Il y a quelques temps, j’étais régulièrement invité à l’émission du vendredi. Il était devenu clair pour moi que c’était exactement le genre d’émission dont les Etats-Unis avaient besoin.
Mais Collins a rencontré le même désintérêt de la part des progressistes fortunés que le reste des média indépendants.
On pourrait même comparer l’écart entre les sommes investies par les conservateurs dans les médias de droite et la timidité des progressistes qui ont laissé les médias progressistes et indépendants mourir par manque de moyens - ce qui explique en partie la pagaille financière, politique et stratégique dans laquelle se trouvent les Etats-Unis aujourd’hui.
Il est difficile d’analyser les huit années désastreuses de George W. Bush et les six années de guerre sanglante en Irak sans prendre en compte la puissante infrastructure médiatique de la Droite, l’obséquiosité des média commerciaux et l’absence de sources alternatives d’information qui puissent les rivaliser.
Les leçons du Watergate
Alors que faisais des recherches sur le déclin du Washington Post, je suis tombé sur un article que j’avais écrit en juin 2005, intitulé « les véritables leçons du Watergate ». Une des leçons apprises par la droite a été que les Républicains avaient besoin d’un système de protection médiatique pour se prémunir d’un nouveau catastrophe comme celui de la destitution de Richard Nixon pour abus de pouvoir.
A la fin des années 70, l’ancien Secrétaire au Trésor de Nixon, William Simon, qui dirigeait à l’époque la Fondation Olin, a commencé à rameuter les conservateurs pour les faire investir dans les médias de droite. Ils ont aussi investi dans des groupes de réflexion et des groupes chargés de faire pression sur les journalistes récalcitrants des grands média.
Au cours des années, d’autres fortunés de droite se sont joints à eux, comme le théocrate Sud Coréen Sun Myung Moon et le baron de la presse australien Rupert Murdoch. Un appareil médiatique intégré a finit par prendre forme composé de magazines, journaux, maisons d’édition, radios, télévision et Internet.
Les groupes de pression de la droite ont attaqué aussi les journalistes des grands médias, comme moi, qui ont révélé des affaires qui ne cadraient pas avec la propagande que les administrations Républicaines dispensaient au public américain. Nombre d’entre nous ont vu leurs carrières brisées.
Dans l’article de 2005, je citais un membre du personnel du Congrès, Spencer Olivier, qui était un des Démocrates dont le téléphone à Watergate avait été mis sur écoute par les hommes de main de Nixon. Olivier a dit :
« Ce que (les Républicains) ont appris du Watergate n’est pas « il ne faut pas faire ça » mais « il ne faut pas se faire prendre ». Ils ont appris qu’ils devaient décourager les enquêtes du Congrès et de la presse s’ils voulaient éviter de nouveaux scandales. »
Tandis que le droite américaine apprenait sa leçon du Watergate, et prenait les mesures qui s’imposaient, la gauche américaine a baissé la garde, s’attendant apparemment à ce que les grands média US continuent de surveiller les agissements du gouvernement et que leur argent pouvait servir ailleurs.
Et tandis que la Droite bâtissait sont empire médiatique - influençant les américains de tous ages et régions - la Gauche agissait selon le slogan « penser global, agir local » en se concentrant sur les « organisations de base » et tentait de régler des problèmes que la politique de la Droite amplifiait, comme le nombre de chômeurs et de sans abris.
Pour une raison que je n’ai jamais comprise, les rares médias encore entre les mains de la gauche sont concentrés à San Francisco, une ville agréable à vivre mais dont l’influence en termes d’information est l’une des plus faibles de toutes les grandes villes américaines. En un mot comme en cent, la gauche n’a jamais pris au sérieux la crise des médias.
« Comprendre le truc »
Au début des années 90, j’ai commencé à contacter des progressistes fortunés et des fondations de gauche pour leur expliquer les dangereux développements dans les médias qui étaient en cours. La plupart du temps je me heurtais à un mur d’incompréhension. Un responsable d’une fondation a ri et m’a dit « mais nous n’intervenons pas dans le domaine des médias ».
Néanmoins, en 1995, j’ai pensé que la meilleure façon de procéder était de mettre en application le fameux dicton journalistique « montrez, ne racontez pas ». Alors j’ai liquidé mon plan de retraite de Newsweek (deuxième hebdomadaire d’information des Etats-Unis - ndt) et avec l’aide de mon fils aîné, Sam, j’ai lancé un site Internet, Consortiumnews.com.
J’avais espéré qu’en montrant comment on pouvait produire et diffuser du journalisme de qualité à moindre coût à travers l’Internet, quelques financiers potentiels se bougeraient pour entrer dans le jeu. Mais ils n’ont pas bougé.
Ensuite, avec la pagaille de la campagne menée par la droite pour tenter de faire destituer Clinton, j’ai pensé encore une fois que les gens finiraient par comprendre l’importance des médias. Une fois de plus, je me suis trompé.
Après le fiasco de l’élection de 2000 - où Al Gore était régulièrement ridiculisé par la droite et les grands médias, qui ont ensuite accepté (ou salué) le vol des élections par George W. Bush - j’ai cru une fois de plus que la nécessité de médias honnêtes deviendait évidente. Je me suis trompé, encore une fois.
Puis on a assisté à la complicité des médias avec les mensonges des armes de destruction massive et l’invasion de l’Irak, suivi par les coups bas portés contre Kerry puis le deuxième mandant de Bush. Les financiers allaient sûrement finir par saisir l’urgence qu’il y avait à créer des médias honnêtes avec des journalistes honnêtes.
C’est à ce moment-là que j’ai écrit mon article, en 2005, avec un ton d’espoir - mais aussi de scepticisme. J’ai écrit :
« De nos jours, lorsqu’on leur pose la question des médias, les progressistes bien placés répondent "ça y est, on a compris" . Mais il reste encore tout à faire, parce que la nécessité de créer des médias indépendants ne fait que leur traverser l’esprit ».
Quatre ans plus tard, alors que les grands médias et les médias de droite sont en train de s’en prendre au Président Barack Obama - comme ils l’ont fait avec le Président Bill Clinton - les financiers progressistes investissent toujours aussi peu dans les médias.
On dirait qu’ils espèrent que le problème se réglera de lui même d’une façon ou d’une autre, qu’une sorte de retour de balancier se produira, qu’une sorte de régulation naturelle s’imposera. Mais ce ne sont là que des voeux pieux faisant appel à une puissance surnaturelle qui interviendrait avant qu’il ne soit trop tard.
La vérité est qu’il n’y a pas d’autre solution que de s’atteler à la tâche et d’y investir sérieusement. Tant que les financiers progressistes ne réalisent pas qu’ils doivent s’engager corps et âme dans ce que la Droite appelle "le combat des idées" , il y aura beaucoup plus de victimes parmi ceux qui tentent de faire ce qui est juste mais échouent par manque de moyens.
Des gens comme Peter B. Collins, par exemple, qui a crée une excellente émission de radio à force de talent et de volonté - pour finalement voir son rêve se briser.
Robert Parry
http://www.consortiumnews.com/2009/032009.html
traduction avec une pointe de tristesse par VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info