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Un autre acte de résistance

La lettre d’Alain Refalo a été lue par des milliers d’internautes et reproduites, pour le moment, par une bonne vingtaine de sites.

Il ne tient qu’à nous de faire en sorte que cette lettre soit une bombe.

J’en profite pour diffuser une prise de parole tout aussi courageuse, antérieure à celle de Refalo : la lettre d’un directeur d’école de Colmar, en octobre 2008.

La désespérance de cette profession est grande, son désarroi inquiétant.

C’est décidé, j’entre en résistance !! Lettre d’un directeur de Colmar

C’est décidé, j’entre en résistance !! Roland BRAUN Directeur de l’école Saint Exupéry à Colmar le 16 octobre 2008

Document envoyé à tous les directeurs d’école du Haut Rhin, à mes collègues de l’école, à quelques IEN ainsi qu’à quelques amis militants dans différentes associations d’Education.

Je ne supporte plus l’hypocrisie des discours officiels qui se gargarisent de grandes phrases sur l’intérêt des élèves, sur l’égalité des chances, …, alors que les seuls critères sont comptables avec un arrière fond idéologique pour le moins inquiétant.

Qui peut croire que l’intérêt des enfants a compté dans la suppression du samedi matin ? Qui peut croire que les deux heures de travail personnalisé pourront compenser le travail des maîtres spécialisés des RASED qu’on est en train de supprimer ? Je ne supporte plus la malhonnêteté des effets d’annonce alors que j’assiste, chaque jour un peu plus à une entreprise systématique et planifiée de démantèlement de l’école publique. Je ne supporte plus le harcèlement administratif des courriels qui arrivent par vagues. Lorsqu’ils ne sont pas accompagnés de pièces jointes (jusqu’à 20 dans un seul envoi !) ou de documents à aller chercher soi-même sur le site de l’académie, il s’agit en général d’injonctions (« merci de me transmettre - toujours dans l’urgence - telle information ») ou de rappels à l’ordre (« Sauf erreur ou omission je n’ai pas été destinataire de tel document »). Et je suis déchargé totalement ! J’imagine ce que doivent ressentir la grande majorité des directeurs, ceux qui n’ont qu’une journée ou pas de décharge du tout, lorsqu’ils ouvrent leur boite aux lettres électronique.

Je ne supporte plus le « flicage institutionnel », les multiples tableaux à compléter pour vérifier que nous faisons correctement notre travail, que nous ne tirons pas au flanc pour l’aide personnalisée, que nous participons bien à toutes les animations pédagogiques. J’ai eu la chance de vivre des stages de formation continue (pas beaucoup, il est vrai - mais quand même !) passionnants, stimulants, qui interrogeaient la réflexion et les pratiques, dont je suis sorti avec le sentiment d’avoir progressé.

Que nous propose-t-on aujourd’hui ? Des grand-messes où l’on paraphrase du « PowerPoint » durant des heures, du formatage au nouveau discours officiel, de l’endoctrinement ! Pas étonnant dans ces conditions que les seules animations pédagogiques qui fassent le plein soient les animations sportives. Pas étonnant dans ces conditions que les IEN doivent demander aux directeurs de « susciter des candidatures ». Pas étonnant qu’il faille « fliquer » pour que les gens viennent ! Je ne supporte plus cette forme d’infantilisation et ce manque de confiance qui consistent à nous faire rédiger des projets (projet d’école, projet d’organisation de l’accompagnement éducatif, …) à corriger (pardon « à valider ») par les IEN. Au mieux, ils nous reviennent « validés » avec une remarque du style « Le projet, dans sa formalisation et dans son contenu, est conforme aux attentes ». Bon élève ! Au pire, on nous demande de revoir notre copie.

Ou l’administration fait confiance à notre professionnalisme et je ne vois pas alors la nécessité de valider a priori notre travail ou alors nos supérieurs estiment que nous ne sommes pas capables de construire nous-mêmes nos projets, mais dans ce cas, qu’ils soient cohérents et qu’ils les rédigent eux-mêmes ! Par ailleurs, quelle illusion de contrôle et de toute puissance dans ce formalisme !! Je ne supporte plus la répression rampante, les atteintes au droit de grève, la restriction du droit à l’information syndicale, …. Je me refuse à terminer ma carrière dans la dépression, en plaignant les étudiants que je croise à l’école ou mes jeunes collègues qui ont encore quelques dizaines d’années à passer dans cette galère. Le découragement conduit à la résignation et à l’inaction, la colère conduit à l’action et à la résistance. Je choisis donc la colère et l’action !

Comment résister ? Un principe d’abord : la principale priorité, la seule, ce sont nos élèves ! Tout le reste est secondaire sinon accessoire ! Faisons comme nos IEN, examinons toutes leurs exigences à la lumière d’une grille d’analyse toute simple : Est-ce que cette demande va aider mes élèves ? Est-ce que cette demande me permettra de mieux faire fonctionner l’école ? Est-ce que cette demande va servir à mes collègues dans leur travail quotidien au bénéfice des élèves ? Si la réponse à ces questions est non, alors la demande n’est pas urgente, quels que puissent être les éventuels délais de réponse. Et si d’aventure, il n’y avait pas de réponse, il est au moins certain que cela ne portera préjudice ni aux élèves, ni aux collègues. Comment résister ? Soyons positifs, affirmons-nous, ne restons pas isolés et ne nous laissons pas culpabiliser ! Après tout, l’école, c’est nous qui la faisons vivre au quotidien, et elle ne fonctionne pas si mal finalement, quoi qu’on essaie de nous faire croire. Même les enquêtes PISA et PIRLS, utilisées comme prétexte pour tout changer ne sont pas aussi catastrophiques que certains le prétendent, - les ont-ils lues ? En tout cas, malheureusement, il est déjà certain, (ce n’est pas moi qui le dit mais la plupart des chercheurs en pédagogie) que ce ne sont pas les nouvelles orientations qui feront remonter le niveau de nos élèves.

Comment résister ? Ne nous laissons pas intimider. Retournons les agressions de l’administration contre elle : Il faut se déclarer gréviste 48 heures à l’avance ! Soit ! Alors déclarons-nous systématiquement grévistes. Cela ne nous engage à rien mais annule l’intérêt de la déclaration préalable et oblige les communes à se positionner sur le service minimum. Les réunions d’information syndicale doivent être prises sur le temps de travail hors présence élève (les fameux 48 heures) ! Qu’à cela ne tienne ; inscrivons nous massivement aux réunions d’information syndicale au lieu de participer aux animations pédagogiques. Elles seront certainement plus intéressantes et probablement aussi formatrices !

Comment résister ? Engageons-nous dans les mouvements pédagogiques. Ils sont en train d’être étouffés par une réduction dramatique des subventions publiques et la suppression des postes de mis à disposition ou de détachés. Pourtant ce sont des lieux extraordinaires de rencontres, de réflexion et de formation. L’ICEM (Pédagogie Freinet), l’OCCE, la Ligue de l’enseignement, les PEP, la JPA, les CEMEA et d’autres que j’oublie, ceux qu’on appelait il n’y a pas si longtemps, les oeuvres complémentaires de l’école sont peut être les derniers remparts de cette Ecole qui prend l’enfant dans sa globalité pour le faire avancer, pour en faire un citoyen, face au dogmatisme et au formatage de ce qu’on cherche à nous imposer. Les trois quarts de ce qui fait ma compétence professionnelle aujourd’hui, c’est à leur contact que je les ai acquis et non dans l’Institution.

Comment résister ? Syndiquons-nous J’entends trop souvent des collègues me dire que les syndicats ne servent à rien. Mais les syndicats, c’est nous ! Si nous voulons qu’ils agissent plus, mieux, qu’ils soient plus près du terrain, à nous de les faire bouger, de les interpeller, de nous engager. Ils n’existent que pour défendre nos droits et nos valeurs. Mais en même temps, ils n’existent que par nos adhésions et notre soutien. Je ne me suis jamais considéré comme un militant syndical, mais j’ai toujours été payé ma cotisation syndicale, pour une raison très simple : je n’oublie pas que des personnes sont mortes pour que nous ayons le droit, ce droit tout simple, d’être représentés et défendus face au pouvoir en place. Je n’oublie pas qu’aujourd’hui encore, dans certains pays pas éloignés, les syndicalistes sont menacés et assassinés. La démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !!

Un mot encore pour terminer. Une lecture rapide de mon texte pourrait faire croire que j’en veux à nos supérieurs hiérarchiques directs, les IEN. Il n’en est rien ! Je connais la plupart des inspecteurs du département. Il y en a que je compte parmi mes amis. J’ai suffisamment discuté ou milité avec certains d’entre eux pour savoir qu’ils ne sont pas plus emballés que moi par l’évolution actuelle de l’Ecole. Comme nous, plus que nous certainement, ils sont pris entre le marteau et l’enclume, entre l’inertie du monde enseignant et les pressions de leur hiérarchie. Je ne voudrais pas être à leur place, mais ils ont choisi et comme nous, ils ont la liberté ! La liberté d’être de simples courroies de transmission, d’essayer de nous convaincre que tout va bien, que les nouveaux programmes ne changent pas grand-chose par rapport aux anciens, que l’on peut faire dans les 24 heures qui nous restent tout ce qui est demandé par ces fameux programmes, même la religion et les trois heures d’allemand. Ou la liberté de parler vrai, de défendre leurs convictions, d’être des citoyens avant d’être des fonctionnaires ! Et peut être de résister !!!

Bon courage à vous tous.

Roland BRAUN Directeur de l’école Saint Exupéry à Colmar le 16 octobre 2008

Document envoyé à tous les directeurs d’école du Haut Rhin, à mes collègues de l’école, à quelques IEN ainsi qu’à quelques amis militants dans différentes associations d’Education.

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