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Sur le développement durable

Il y a tout juste vingt ans, une commission créée par l"˜O.N.U et baptisée « Commission mondiale sur l’environnement et le développement » publiait le « Rapport Brundtland ». Ce document restera connu comme celui qui allait populariser la notion de développement durable. Aurélien Bernier, auteur de plusieurs livres aux éditions mille et une nuit (1), collaborateur du Monde Diplomatique et militant altermondialiste, donne son point de vue sur cette notion que tout le monde s’approprie aujourd’hui.

Développement durable : Interview dans le magazine CRASH

Quelle est l’origine du développement durable ?

L’expression « développement durable » (sustainable development), voit discrètement le jour dans les années 80. Lorsque la commission Bruntland décide de la reprendre à son compte, elle lui donne la définition suivante : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Pour la première fois, on se soucie de transmettre aux prochaines générations suffisamment de ressources pour qu’elles puissent vivre correctement. En tout cas en théorie. Et on entérine quasiment aussitôt ce concept, lors de la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement qui a lieu à Rio en 1992.

Cette définition est-elle satisfaisante ?

Il existe en fait un problème avec la notion de développement durable telle que la formalise le Rapport Bruntland. Comme il n’est pas question pour les rédacteurs de remettre en cause la croissance telle que nous la connaissons, ces derniers posent comme axiome le principe d’une compensation des atteintes à l’environnement par des développements technologiques. La technologie guérira tout pour peu qu’on y mette les moyens. L’essentiel sera donc maintenant de découpler croissance et pollution (dit autrement, peu importe que la pollution augmente si elle augmente moins vite que la croissance)… et de le faire savoir à grand renfort de communication.

Concrètement que risque-t-il de se passer ?

Comme chacun le sait, les entreprises s’engouffreront dans la brèche et seront promptes à se repeindre aux couleurs du développement durable à peu de frais. L’électricien EDF, par exemple, puisque le nucléaire permet de limiter les rejets directs de gaz à effet de serre. L’agrochimiste Monsanto, puisque certaines de leurs plantes transgéniques permettent d’éviter des épandages de pesticides… Et les cas similaires se multiplient à l’infini.

Comment une telle supercherie est-elle possible, alors que dans le même temps, tout le monde ou presque s’accorde sur le constat d’une dégradation alarmante de l’environnement ?

Le développement durable est censé s’intéresser aux interactions entre l’économique, le social et l’environnemental pour y rechercher un optimum.

Or, les profits de l’économie néolibérale s’engraissent de spéculation sur les marchés financiers, mais aussi d’externalités. C’est-à -dire de la différence entre le coût global et le coût supporté par le producteur. Une paire de chaussure fabriquée en Chine coûtera une somme dérisoire à la multinationale qui la fabrique. Les ouvriers de l’usine sont traités et payés comme on le sait : mal. L’usine rejette des quantités importantes de polluants. L’activité génère des millions de kilomètres de transport. Tout ceci est au final payé par quelqu’un. Puisqu’il ne s’agit pas de la multinationale, il s’agit de la collectivité, qui dépollue ou se protège de la pollution, qui fournit plus ou moins d’aides sociales pour compenser la précarité des salariés, qui soigne les maladies professionnelles…

Comment entrevoir une solution ?

Une façon sérieuse de traiter le développement durable aurait été de poser la question suivante : comment réintégrer progressivement les externalités dans le coût de production ? Comment faire en sorte que le prix de la tonne de maïs cultivé en intensif contienne le coût social de l’irrigation, de l’épandage de pesticides, du séchage fortement consommateur d’énergies fossiles, etc. ? La réponse est évidemment complexe, mais une chose est certaine. De tels changements ne pourront jamais s’effectuer en conservant des règles de libre échange qui mettent en concurrence des Etats aux législations sociales et environnementales totalement disparates. C’est pourquoi le développement durable restera une décoration offerte aux entreprises tant qu’il ne s’attaquera pas à la mondialisation néolibérale. Encourager les bonnes pratiques sur la base du volontariat sans rien changer aux lois du commerce international relève de l’arnaque pure et simple.

Est-il vraiment crédible de vouloir faire coexister croissance économique et préservation de l’environnement ?

Tout dépend de ce que l’on met dans le terme « croissance économique ». S’il s’agit d’une croissance des services de santé, d’aide aux personnes âgées, du service public de la petite enfance... il n’y a aucun problème à soutenir cette croissance-là . Mais quand les gouvernements parlent de croissance aujourd’hui, ils défendent une production de biens de consommation qui impacte lourdement l’environnement. Et ces biens sont souvent fabriqués dans des conditions sociales très critiquables. La croissance est une notion fourre-tout qu’il faut absolument redéfinir. A l’heure actuelle, consommer du pétrole crée de la croissance, et dépolluer les plages après une marée noire également. Nous avons besoin d’autres indicateurs que le seul PIB.

Y-a-t-il des voies concrètes déjà ouvertes ? (décroissance douce… ?)

Il faut prendre les choses dans l’ordre. La première question à se poser est comment mieux répartir les richesses entre les Etats. Le système néo-libéral repose sur une logique finalement très simple : en autorisant les entreprises à produire où elles veulent et à vendre comme elles le veulent, on favorise les pays les plus attractifs pour les firmes, avec le coût du travail le plus faible, les réglementations environnementales les plus laxistes et les régimes fiscaux les moins contraignants. Cette concurrence tire tous les pays vers le bas. Il faut absolument casser ce cercle vicieux, par exemple en instaurant des droits de douane en fonction de critères sociaux et environnementaux. A partir de là , on peut reconstruire un système plus durable, en choisissant collectivement les priorités économiques. Il faut donner la priorité à la satisfaction des besoins sociaux, favoriser les productions locales et les circuits courts, et arrêter la production de biens inutiles qui impactent fortement l’environnement.

Difficile pour le consommateur, aujourd’hui, d’y voir clair.

Le développement durable est une notion tellement floue qu’elle est récupérée par tous les grands groupes, y compris ceux qui polluent le plus. Dans ce contexte, la meilleure garantie reste les labels officiels, comme le label Agriculture Biologique dans l’alimentation. Mais il faut aussi être vigilants à ce que les cahiers des charges de ces labels ne soient pas progressivement revus à la baisse, comme c’est aujourd’hui la tendance. Il faut donc une implication des citoyens dans leur mise en place et leur suivi, implication d’autant plus efficace que les circuits de production et de distribution sont des circuits courts.

Quel rôle peut-il jouer ?

Le consommateur a du poids lorsqu’il consomme puisque c’est lui qui tient en mains le carnet de chèques. Mais le citoyen a un rôle à mon avis encore plus important, car il peut obliger le politique à prendre des décisions de véritable rupture. Si un grand mouvement citoyen réclamait une taxe sur l’importation de biens produits dans des conditions sociales et environnementales désastreuses, comme par exemple les textiles asiatiques ou les OGM du continent américain, on obtiendrait un changement radical. Avec un effet multiple : on oriente la production vers des solutions plus durables, on favorise la relocalisation de l’économie, et on limite fortement les intérêts que peuvent avoir les entreprises à délocaliser.

Quelle serait votre définition du développement durable ?

Un problème de la définition du développement durable est qu’on n’a fait aucune hiérarchie entre le social, l’environnemental et l’économique. Dans la pratique, c’est donc toujours l’économique qui domine, et les entreprises font un peu d’environnement pour donner le change, le social passant à la trappe. Il faut redéfinir le développement durable en mettant des priorités : l’objectif ultime, c’est le bien-être social et rien d’autre. Mais ce bien-être doit devenir transmissible d’une génération à l’autre, et donc la contrainte environnementale doit absolument être prise en compte. Alors, l’économique doit se mettre au service du social et se plier à la contrainte environnementale. Dans ce cas seulement, on peut parler de développement durable.

Propos recueillis par Amandine Geers et Olivier Degorce
www.whats-for-dinner.info

http://abernier.vefblog.net/5.html#Developpement_durable__Interview_dans_le

(1)
"Les OGM en guerre contre la société" (Attac, 2005, éd. Mille et une nuits")
"Transgénial !" (Attac, 2006, éd. Mille et une nuits)

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