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ANNEE DU RAT , ANNEE DE TOUS LES DANGERS.

Je suis allé à la poste acheter des timbres. Le panneau offrait les planches de l’édition 2008 en hommage au Nouvel an chinois : « L’année du rat ». Un sympathique rongeur grignotait quelques fruits d’une grappe mal identifiée, allégorie mystérieuse peut-être de cette année ou la Chine investit ses « fonds souverains » partout dans le monde, en même temps que dans l’inconscient collectif elle alimente une crainte de l’occident de se faire croquer par elle…J’ai acheté deux plaques.

« L’année du rat » m’interpelle, elle succède à l’année du cochon qui illustrait bien l’extension de la pornographie dans nos moeurs, je veux ici parler de nos moeurs politiques, médiatiques et philosophiques occidentales…Ces moeurs qui m’avaient fait écrire « Avec lui (et avec nous ?) tout devient possible » (1)

Je me suis demandé ce qu’évoquait pour moi « le rat » ? Chacun peut se poser cette même question, vous comprendrez vers la fin pourquoi. Cette interrogation à peine posée a explosé dans mon esprit l’évidence de la conjonction du choc de plusieurs images. Ces images qui font notre « subjectivité » et jouent un si grand rôle dans ce que nous pensons encore être notre « objectivité ».

J’ai donc posé cette réflexion sur « changement de société » (2) , voulant faire le lien entre la subjectivité qui nous gouverne et les périls qui s’annoncent dans une tension mondiale croissante. Parlons d’abord de « ma » subjectivité, mais chacun construira « la sienne », envisageons ensuite les périls évoqués.

MON « RAT » A MOI :

La première image forte, très forte, inscrite depuis mon enfance est littéraire et c’est celle-ci : « Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier… »

Ainsi débutait « LA PESTE » d’Albert CAMUS, qui depuis ma première lecture adolescente me fit lier cette image du « rat mort » au péril qui s’annonce et que personne ne veut identifier… « Ils sortent, on en voit dans toutes les poubelles, c’est la faim ! » dit un passant dans le premier chapitre…

En quelques jours l’horreur couvre la ville et deviendra révélatrice de l’immense diversité des comportements humains ; grandeur ou misère, héroïsme ou lâcheté, tourbillon de nos imprévisibles attitudes…

La « peste noire » d’Oran était bien sur aussi l’allégorie de la « peste brune » qui ravageait l’Europe. Le « rat mort » de Camus signait déjà la venue de la « bête immonde » de BRECHT, celle que l’on combat ou que l’on flatte selon son courage et selon sa perception du péril…Depuis cette lecture je savais que la vision du « rat mort » recense nos conduites et qu’il ne suffit pas de pousser la bête vers l’égout, sauf à consentir y sombrer un jour aussi. Sale rat !

J’ai bien sur croisé d’autres rats dans ma vie, si j’ose m’exprimer ainsi, aucun n’a éffacé cette image primitive de l’indice du mal, image aveuglante dans son évidence, décrite par CAMUS :

 Il y eut pendant mes années de jeunesse marseillaise et vers la fin de la guerre d’Algérie cette insupportable contamination du langage de certains pieds noirs ou militaires qui réduisaient un peuple à quelques invectives infâmes ; les « fels » (fellaghas), mais aussi les « bougnouls » ou les… « ratons ». J’avais déjà lu Camus et Frantz Fanon et ces mots me donnaient la nausée…J’y pensais encore récemment lorsque le maire socialiste de Montpellier parlait des « sous-hommes » que représentaient à ses yeux les « harkis »…(3) Ce raton là était le « rat » de notre mémoire coloniale, miroir de notre abjection qui ronge encore les esprits dérangés d’une partie de notre classe politique.

 En 1972 dans le Nord du Cambodge ravagé par le napalm et les cratères géants causés par les B 52 US j’ai vu une meute de rats dévorer un cadavre d’enfant sur le bord d’une rizière ; cela ne s’oublie pas…Je me souviens d’avoir eu la pensée que les « rats » de Camus avaient le dernier mot lorsque ce sont les hommes qui répandent la peste. C’était quelques semaines à peine après avoir entendu sur radio Pékin que nous écoutions dans le bloc opératoire en permanence à Phnom Penh la retransmission et la traduction du général en chef US Westmoreland annoncent la reprise des bombardements sur Hanoï et Haïphong qui devaient « Renvoyer le Viet Nam à l’âge de pierre… », les infirmiers pleuraient…Les rats volaient à douze mille mètres d’altitude…

 Plus tard il y a eu la bande dessinée de Art Spiegelman « Maus », superbe travail ou le « rat persécuté » incarnait un peuple exterminé par des « chats bourreaux » dans l’indifférence ou la complicité de « porcs » qui ressemblaient à nous tous même si certains voulurent croire qu’il ne s’agissait « que » de polonais. Le « rat » remontait comme la face la plus obscure de notre récent passé, révélatrice du regard que nous avions osé porter sur des hommes et sur des femmes…

 Il y eut aussi cette autre BD dans Charlie Hebdo ou le « rat » pendant des mois représentait le nabot de l’extrême droite (4). Ces caricatures ne resteront pas dans la postérité, ce rat qui était censé nous faire rire nous empêchait de voir que les matins bruns s’annonçaient et que le score de 2002 était devenu possible, avant que les idées de l’infamie soient reprises par le futur candidat qui nous gouverne désormais. Ce rat là nous indique qu’il aurait mieux valu ne pas en rire…

 Tout récemment un candidat UMP à la mairie du XIX arrondissement de Paris mène campagne sur le thème de « La peur des rats », son tract distribué à 90.000 exemplaires reprend des témoignages : « Les rats prolifèrent »…Sans prétendre faire une psychanalyse à deux balles il est permis de s’interroger pour savoir si la santé publique est en cause ou l’allégorie d’un fantasme plus grave…(5) Mais on peut sourire en pensant à la maladresse de ce valet de l’UMP, peu après la parution du livre de Badiou qui reprend la figure du « rat » pour une démonstration singulière…

 Le dernier « rat » de ma mémoire est en effet celui décrit par Badiou et seuls peuvent comprendre ceux qui ont lu son dernier livre (De quoi Sarkozy est-il le nom ? ) …Toujours en librairie pour les retardataires, ils ne le regretteront pas. De ce rat là nous avons déjà beaucoup parlé et une vidéo est disponible consacrée à l’auteur (6)

 Mais ce rat là a su trouver la dérisoire parade censée le protéger du regard que nous porterions sur lui après avoir lu Badiou ; ce fut l’épisode Mickey et Minnie dans un parc d’attraction…Le Mickey emblème d’un univers factice n’est qu’un petit rat sympathique, il nous invite à regarder battre les cils de Minnie pour oublier l’ombre de Picsou qui dirige le monde…De cela aussi Danielle nous a parlé sur son blog (7). Ce « rat Mickey » est une insulte faite au peuple qui croyait avoir élu un président et retrouve un animateur de parc d’attraction ; mais attention on visite désormais aussi les abords de Guantanamo comme un parc d’attraction comme les autres…

Alors, après tout ce remue-méninges dans les abysses de ma subjectivité, je crois encore que « l’année du rat » sera une année déterminante pour notre univers collectif, omniprésente image de nos noirceurs.

L’ANNEE DU RAT ? ANNEE DE TOUS LES DANGERS ?

Peut-être que le « RAT » sera « homme de l’année » en UNE de quelque prestigieux magazine…Pourquoi pas, si « Tout devient possible » ? Nous risquerions alors d’oublier qu’il peut aussi propager la peste, noire ou brune, comme dans le siècle tragique dont nous ne sommes sortis que pour oublier ce qu’il aurait pu nous enseigner…

Certains objecteront que toute cette digression est malvenue car l’année du rat est celle de la Chine et rien que de la Chine ; et que notre subjectivité ne saurait être influencée par quelque fantasme que ce soit…Voilà qui est rassurant !

Le blog « changement de société » a beaucoup contribué déjà à nous faire mieux comprendre cet « Empire du Milieu » dont « Les ancêtres construisaient déjà des palais, quand les nôtres cherchaient encore des glands dans la forêt », pour citer maître Vergès dans une de ses plaidoiries en défense de militants asiatiques anticolonialistes…
Tout ce qui a été écrit ici sur la Chine est accessible (8) Nous voici avec un programme de lecture d’une richesse incroyable ; mais ces textes ne nous diront pas tout.
La Chine traverse une période de son histoire faite d’accélération et d’une confrontation avec le monde global dont aucune page n’est encore sûrement écrite.

C’est dans nos « représentations » de la Chine que se joue aussi l’avenir de nos relations .et peut-être la paix du monde :

 Pour une large part de l’occident populaire 2008 sera l’année des « jeux olympiques en Chine » ; et le pire est déjà à prévoir en ce qui concerne l’éclairage que nos médias porteront sur la Chine et sur son peuple.

 Pour l’occident de la finance, 2008 est l’année de l’injection massive de « fonds souverains » dans nos économies avec une vague crainte d’arrières pensées encore inavouées.

 Pour les « maîtres du monde » et du capitalisme international sous hégémonie US, la Chine est clairement un péril qu’il conviendra un jour de contenir en le rattachant explicitement à « l’axe du mal » pour justifier peut-être un jour le pire ; sont dénoncés déjà les relations avec le Soudan et avec l’Iran qui préparent cette étape que la crise financière oblige à retarder un peu.

 De la Chine réelle nous savons bien peu. Mais nous percevons les défis relevés par ce géant confronté à l’exigence de son développement, à des préoccupations environnementales à des échelles inconnues chez nous, à des besoins énergétiques insatiables, à des migrations internes immenses secondaires aux contraintes économiques ou à la construction du barrage des trois gorges qui est aussi le plus grand de l’histoire de l’humanité. Nous savons aussi la maturité d’un peuple qui atteint désormais la perception claire des inégalités et des phénomènes d’exploitation avec la pression sociale qui en découle nécessairement. Nous savons aussi que ce milliard d’êtres sait les gigantesques efforts effectués et sacrifices consentis pour sortir de la féodalité en moins d’un demi-siècle. Nous savons aussi l’emprise d’un régime sécuritaire impitoyable pour ses opposants. Le contrôle d’Internet et des blogueurs arrêtés en nombre signent la crainte d’une révolte populaire facilitée par l’information diffusée sur ces réseaux. Nul ne sait encore dans ce peuple encore majoritairement précaire l’incidence que pourra avoir le caractère désormais public de la constitution de ces fonds souverains gigantesques qui sont une masse énorme de richesse accumulée et donc non investie dans l’amélioration du sort du plus grand nombre ? Dans les années 90 certaines grèves en Mandchourie touchaient plus de dix millions de prolétaires…Chiffre vertigineux pour nous. Dans la province de Guangdong autour de Canton des intempéries majeures isolent en janvier 2008 des centaines de millions d’habitants et font imposer une restriction au déplacement de vingt-six millions d’ouvriers qui souhaitaient retourner dans leur famille fêter le nouvel an chinois (le 7 février)…

L’année du rat commence sous le signe de la grogne populaire et peut-être la proximité des « jeux » imposera des mesures disciplinaires dont la tolérance peut s’avérer difficile pour le peuple. De nombreux militants ouvriers ou intellectuels sont déjà en détention. L’écrivain Lû Geng Song a été arrêté l’été 2007 pour avoir réclamé la dépolitisation de l’armée. Un manifeste a déclenché l’arrestation de l’un de ses auteurs Hu Jia qui s’adressait aux occidentaux « La vraie Chine avant les jeux » incluant « Lorsque vous viendrez à Pékin pour le JO vous verrez des gratte-ciel, des avenues dégagées…une foule de gens enthousiaste. Vous n’apprendrez probablement pas que les fleurs, les sourires, l’harmonie et la prospérité poussent sur l’injustice, les pleurs, les emprisonnements, la torture et le sang…Nous croyons que la connaissance de la vérité est la première étape pour résoudre le problème »

Là bas aussi la diversion tente sa chance, le Disneyland de Hongkong voudrait transformer « l’année du rat » en « year of the Mouse » pour la promotion de Mickey qui de Paris à Pékin a bien vocation à endormir les foules…Pour les Chinois le « rat » est travailleur, ambitieux et énergique, il surmonte les obstacles, c’est aussi lui qui amenait les animaux au banquet de l’empereur de jade…

Toute la Chine fête l’année du rat dans la tension d’un monde en crise qui aura eu aussi pour effet de révéler à un milliard de chinois l’étendue de la « dépossession » qui a permis la constitution des « fonds souverains »…Qui peut prédire une année paisible ? Qui peut prédire aussi le jugement que porteront de telles masses humaines sur « les lois du marché » et sur « l’économie capitaliste » qui les inspire ?

L’année du rat nous indiquera à la plus grande échelle qui ait été jamais observée si le modèle économique si bien décrypté par Samir Amin dans ses ambiguïtés (voir 8 ) peut entraîner l’adhésion d’un peuple ou son rejet. Ceci n’est que l’affaire des Chinois eux-mêmes.

Ce qui nous concerne nous c’est le risque d’une diabolisation de la Chine, l’émergence d’un nouveau « péril jaune » qui, usant comme toujours de la dénonciation d’atteintes aux droits de l’homme ou de collusion avec d’autres « état- voyou », tenterait de nous entraîner dans la stigmatisation d’un peuple entier rattaché déjà par certains stratèges néoconservateurs à l’axe du mal. Soyons vigilants à déceler la propagande qui va se déchaîner, passé peut-être le temps de la « trêve olympique », contre le plus puissant des pays émergents qui aurait même l’arrogance de se réconcilier avec l’éternel allié des USA que représentait l’île de Taiwan, faisant perdre à l’empire US peut-être demain sa tête de pont aux frontières du continent.

Alors oui, l’année du rat sera bien l’année de la Chine. Mais elle peut devenir celle des manipulations et de tous les dangers. Un peuple de paysans et de prolétaires construit son avenir au prix de sacrifices immenses, ne demandant qu’à s’émanciper sur sa propre terre. Conservons du « rat » l’image positive et non-malveillante que les Chinois eux-mêmes lui donnent, la paix peut en dépendre.
Jacques Richaud 1 février 2008

(1) Avec lui (Et avec nous ?) tout devient possible ?

(2) http://socio13.wordpress.com/2008/0...

(3) Georges Frêche, depuis exclu du PS mais dont l’investiture pour les prochaines élections sénatoriales est en débat.

(4) Bruno Mégret était le « modèle » de ces caricatures virulentes.

(5) L’actuel maire PS Roger Madec se déclare atterré. Il est rappelé que l’utilisation politique des « rats » fut au coeur du vocabulaire de la propagande antisémite, sur les deux rives du Rhin.

(6) Vidéo d’Alain Badiou

(7) Nicolas et Pimprenelle, dormez bien les petits.

(8) Articles consacrés à la Chine :

Quand la Chine renfloue Wall Street

Comment pouvons nous analyser le monde qui nous entoure…

Quelques nouvelles crédibles de la Chine

La Chine bloque un porte avion américain, tension dans le pacifique

Est-ce que les Chinois sont des menteurs ?

L’organisation de coopération de Shangai et la crise du capitalisme.

Le parti communiste chinois.
Chine, le syndicalisme et les droits syndicaux.

La Chine reste un pays sous-développé, les problèmes dans les zones rurales.

La réforme chinoise dans l’industrie.

La Chine s’est mise aux fonds souverains.

La guerre sans règles développée par les théoriciens militaires chinois contre la puissance étasunienne.

Samir Amin : LaChine, le socialisme de marché, étape dans la longue transition socialiste ou raccourci vers le capitalisme ?

VOIR AUSSI POURSUITE DU DEBAT SUR :

http://socio13.wordpress.com/2008/0...

LE TIMBRE EVOQUE AU DEBUT : http://www.chine-informations.com/a...


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Eugenio Balari
in Medea Benjamin, "Soul Searching," NACLA Report on the Americas 24, 2 (August 1990) : 23-31.

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