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Anne-Marie Le Pourhiet : « L’Europe de Sarkozy est antidémocratique », par Silvia Cattori.








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Le Courrier, jeudi 20 décembre 2007


La volonté du président français de faire ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire suscite la réaction de la constitutionnaliste française Anne-Marie Le Pourhiet.



Le traité de Lisbonne, sorte de Constitution européenne « light », a été signé le 13 décembre dernier par les vingt-sept pays membres de l’Union européenne. En France, le président Nicolas Sarkozy est déterminé à faire ratifier le texte par voie parlementaire. La volonté des Français, opposés au projet constitutionnel en 2005, serait « bafouée », dénonce Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes. Elle est l’un des premiers constitutionnalistes français à monter au front contre ce qu’elle qualifie de « déni démocratique ». Entretien.


Vous avez qualifié de « haute trahison », de « coup d’Etat » le fait que Nicolas Sarkozy veuille ratifier le traité par voie parlementaire. Pourquoi ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Il s’agit d’un acte très grave qui prouve bien que les références incessantes des traités européens aux valeurs démocratiques sont une tartufferie. L’Europe est antidémocratique, en ce sens qu’on veut nous l’imposer de gré ou de force, contre la volonté des peuple. La volonté des Français ne sera pas la première à avoir été bafouée : les Irlandais et les Danois ont aussi été et seront contraints à revoter jusqu’à ce qu’ils disent « oui ». Mais, chez nous, le cynisme est bien pire puisqu’on nous refuse même le droit de revoter en nous imposant une ratification parlementaire. Tout démocrate, qu’il soit souverainiste ou fédéraliste, devrait s’insurger contre une telle forfaiture.


Le 29 mai 2005, le peuple français avait rejeté le projet de Constitution européenne. Qu’a-t-il été modifié dans le texte ?

On a seulement enlevé les termes « Constitution » et « Loi » ainsi que les symboles, hymne, drapeau, etc. Ce n’est pas anodin car cela prouve que les eurocrates ont compris la motivation antifédéraliste des citoyens français, mais tout le reste du traité constitutionnel se trouve dans le nouveau texte. Le procédé consistant à ne plus intégrer la Charte des droits fondamentaux dans le traité lui-même mais à lui conférer une valeur contraignante ou encore le remplacement de la référence expresse à la primauté du droit européen par une mention de la jurisprudence de la Cour qui pose cette primauté, constituent autant de supercheries destinées à tromper les citoyens et à se moquer d’eux.


Quels sont les dispositions imposées aux Français contre la volonté qu’ils avaient exprimée ?

Dans ce traité, tout est très important. Le président de l’Union européenne désigné pour deux ans, comme la politique étrangère et son ministre désormais déguisé en « haut représentant », la Charte des droits fondamentaux, si éloignée de l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et surtout l’extension sans précédent de la règle de la majorité qualifiée accompagnant la suppression des « piliers ». Le transfert de souveraineté est colossal, et tout cela n’est pas soumis à la décision populaire.


N’est-il pas vrai que le parlement verrait ses pouvoirs renforcés ?

C’est un bien mince avantage dans un système où une commission indépendante des gouvernements, et donc des parlements devant lesquels ces gouvernements sont responsables, monopolise l’initiative législative. Le Conseil constitutionnel français ne s’y est pas trompé, en affirmant que le parlement de Strasbourg n’est pas « l’émanation de la souveraineté nationale ».


Comment expliquer que cette majorité de Français qui avaient voté « non » au projet de Constitution en 2005 aient voté « oui » à l’élection de M. Sarkozy, tout en sachant qu’il ne prendrait pas en compte le « non » de ceux qui avaient rejeté ce projet ?

D’une part, M. Sarkozy avait simplement annoncé un « minitraité » qui se bornerait à « permettre à l’Union de fonctionner », de telle sorte qu’on pouvait imaginer une simple amélioration des règles de vote au Conseil. D’autre part, on ne peut pas confondre la réponse à une question référendaire et le choix d’un candidat à une élection.


Ségolène Royal et François Bayrou auraient-ils mérité davantage de confiance sur ce thème ?

Comment voulez-vous qu’un électeur puisse voter pour Ségolène Royal simplement parce qu’elle promet du bout des lèvres un nouveau référendum et alors qu’elle a aussi prôné le « oui » à la Constitution européenne ? Les socialistes français ont fait depuis longtemps de l’Europe leur fonds de commerce, et le moins qu’on puisse dire est que ni Ségolène Royal ni François Bayrou ne pouvaient constituer une alternative crédible sur ce point. Le vote pour Nicolas Sarkozy a été pour beaucoup un vote par défaut.


M. Sarkozy est déterminé à faire ratifier par voie parlementaire avant la fin février. Qu’est-ce qui pourrait encore déjouer, d’après-vous, ce « coup d’Etat » ?

Aucun recours juridique n’est possible car la Constitution française n’interdit pas, comme la Constitution californienne, de modifier une loi référendaire par une loi parlementaire. Le Conseil constitutionnel français n’a pas non plus fait sienne la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, qui impose un nouveau référendum pour contourner la volonté populaire. Le Conseil constitutionnel pourrait éventuellement « constater » que les deux traités sont quasiment identiques et « regretter » la méconnaissance de la volonté populaire, mais il ne peut pas la sanctionner. Il ne reste donc qu’à compter soit sur la mobilisation populaire, soit sur un rejet parlementaire de la révision constitutionnelle préalable à la ratification. Le projet de révision doit, en effet, être adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès, soit à la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat à Versailles.


Si la révision constitutionnelle est approuvée par les trois cinquièmes des suffrages exprimés, plus rien ne pourra s’opposer à la mise en oeuvre de ce traité ?

Soixante députés ou soixante sénateurs pourront encore déférer au Conseil constitutionnel la loi autorisant la ratification du traité, mais il n’y a aucune chance pour que le recours aboutisse.

Silvia Cattori


 Source : Le Courrier www.lecourrier.ch




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