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Régler le sort des travailleurs pauvres... Chiche ! par Jacques Cotta.








Mercredi 17 janvier 2007.


Depuis quelques semaines, « la pauvreté » a fait irruption dans le débat public. L’association « les enfants de Don Quichotte », planteurs de tentes quai de Jemmapes à Paris, semble avoir fait l’unanimité au nom de la solidarité avec les mal logés.


Même si en coulisse la plupart des candidats aux élections présidentielles de 2007 trouvent cette initiative « un brin démagogique », ils se sont pratiquement tous précipités pour se plier aux impératifs médiatiques. Après la nouvelle porte parole des verts venue passer une nuit, ce sont Christine Boutin et Arno Klarsfeld au nom de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal en personne, François Bayrou, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot ou encore Arlette Laguiller qui ont exprimé leur « sympathie avec ce projecteur fixé sur les SDF et les plus démunis ». Jusqu’au président de la République qui dans ses traditionnels voeux s’est prononcé pour « mettre en place un véritable droit au logement opposable ». A suivre le mouvement consensuel général, charité et compassion deviendraient des notions obligées.

Du caritatif au politique, la pauvreté ferait donc recette. Alors que nos compatriotes indiquent dans un sondage récent que la précarité, le chômage et le pouvoir d’achat sont les thèmes qui pèseront le plus dans leur choix pour la présidentielle [1] , les principaux prétendants à l’Elysée ne font plus une sortie sans évoquer la question.

Dans les Ardennes, Nicolas Sarkozy s’est engagé s’il était élu « à faire reculer le chômage de masse et la précarité », plaidant pour « la France des travailleurs pauvres, la France du respect » [2] . Sur un plateau de télévision, Ségolène Royal s’est quant à elle penché sur « la France qui souffre », « la précarité », « les travailleurs jetables », « les milliers de jeunes qualifiés qui sont au chômage » [3]. Et sur les pares brises parisien, les automobilistes découvrent un tract de soutien à Jean-Marie Le Pen se prononçant « contre la misère et la précarité » qui réclame « justice sociale pour nos compatriotes »...

Mais à la veille d’échéances électorales majeures, nos hommes et femmes politiques ont-ils pris la mesure exacte de la réalité dont ils parlent sur les estrades électorales ? Sont-ils en mesure de s’extraire du seul champ caritatif pour apporter des réponses à la hauteur de l’urgence ? De répondre en termes réels qui concentrent de véritables choix de société et non de simples appels à la charité ? Le sujet dépasse en effet de loin l’existence de SDF qui n’en sont que la face la plus visible.

La pauvreté concerne dans notre pays « 7 millions de travailleurs pauvres », c’est-à -dire de nos concitoyens qui ont un emploi ou qui en sont privés [4]. Il faut bien évidemment prendre en compte à côté des travailleurs en activité les chômeurs ou rmistes. Le tri opéré par une partie de la presse spécialisée ou par quelques associations caritatives entre ceux qui travaillent et ceux qui chôment -« les assistés »- entre les « travailleurs privilégiés » et les « travailleurs exposés », est en effet aussi éloigné de la réalité qu’il est utile à une société qui se veut consensuelle. Une telle vision tendant à jouer la division au sein du monde du travail défie toute enquête sérieuse. Les chômeurs qui profiteraient par choix de quelques allocations généreuses au détriment d’un travail leur permettant de vivre dignement ne sont qu’une infime minorité. Ils sont en réalité pour la plupart les victimes d’une situation qui leur ôte le droit au travail, les exclut de toute relation sociale après un licenciement, une fermeture d’entreprise, ou un drame familial. « 7 millions de travailleurs pauvres » qu’on trouve dans les foyers d’urgence, les hôtels à la journée, les fins de marchés, les restos du coeurs ou les dispensaires, dont les revenus ne dépassent pas 788 euros par mois, les 12 millions qui mensuellement « touchent » moins de 888 euros ? Cela concerne toutes les activités, toutes les formes de contrat de travail, même si dans les dernières années l’intérim a explosé, augmentant de plus de 130%, les CDD de 60% alors que les CDI n’ont augmenté dans le même temps que de 2% seulement. Au quotidien, ce sont les millions qui ne peuvent se loger décemment, se nourrir, se soigner, s’habiller, apporter le minimum à leurs enfants, s’éduquer, se divertir...

Quelle valeur ont donc les remèdes que veulent porter les principaux candidats à cette situation qui dépasse la seule pauvreté monétaire ?

Nicolas Sarkozy nuance son engagement européen et libéral. Il fustige les 35 heures qui « ont freiné les salaires et le pouvoir d’achat » tout en condamnant « les dérives de la finance qui ne sont pas acceptables ». Il refuse « le dumping fiscal, social, environnemental qui est pratiqué par certains pays, y compris à l’intérieur de l’Europe » et s’engage à « ce qu’il n’y ait plus de SDF dans les deux ans » s’il était élu. Ségolène Royal, entourée à Strasbourg des employés de Milka où 123 emplois doivent être supprimés, fustige "les licenciements de confort parce que la mode est à la concentration industrielle, y compris dans des filières qui font des bénéfices ». Elle dénonce « le chantage insupportable » à l’emploi et annonce refuser « ce renoncement ».

Déclarations d’intention, réaction de mise en période électorale, et après ? Quelles mesures concrètes ? Comment atteindre ces objectifs pour en faire autre chose que des paroles de meetings qui n’engageraient que ceux qui auraient la naïveté de vouloir y croire ? Le souci réel des français exprimé dans plusieurs enquêtes d’opinion [5] appelle quelques réponses précises.

- La question du chômage : ne faudrait-il pas commencer par réaffirmer le pouvoir de l’Etat afin de prendre les mesures qui s’imposent face aux entreprises qui délocalisent et jettent périodiquement des milliers de travailleurs dans la précarité et la pauvreté. Lorsque des entreprises sont viables et ne partent que pour abaisser le coût du travail au profit d’actionnaires jamais rassasiés, l’état ne devrait-il pas tout simplement user de son droit de nationaliser ?

- La question du logement : Alors que des millions ne sont pas ou très mal logés, n’est-il pas urgent d’affirmer la nécessité d’un grand service public du logement ? Alors que des centaines de milliers de mètres carrés sont laissés vides par quelques propriétaires institutionnels, banques, compagnies d’assurance, fonds de pension, spéculateurs, ne faudrait-il pas tout simplement appliquer la loi de réquisition ? Hors de ces décisions que peuvent bien valoir tous les discours sur le « droit au logement opposable » ?

- Les questions de santé : Peut-on en même temps continuer à exonérer les entreprises de charges sociales et faire comme si le budget de la Sécurité Sociale devait être équilibré ?

- Les questions d’éducation, de sécurité, de transport : Est-il bien raisonnable de déplorer à l’unisson les carences d’un service public dont on restreint le périmètre et les moyens périodiquement ? Fonctionner mieux avec moins d’agents de l’état ? Absurde ! Est-il donc bien cohérent de s’obstiner à demeurer dans le cadre de la construction européenne de Maastricht qui interdit de franchir les 3% de déficit public et qui contraint donc, en toute logique, de diminuer toujours plus la sphère publique, les services, les personnels ?

Les nationalisations, la loi de réquisition, la préservation de la santé et la sécurité sociale, l’indépendance nationale et la souveraineté populaire, des mesures révolutionnaires, subversives ? Non, simplement quelques points mis en avant lorsque la France était à genoux par le Conseil National de la Résistance au sortir de la seconde guerre mondiale. La nécessité de rappeler ce que le général De Gaulle lui-même préconisait alors donne une idée du chemin parcouru à l’envers dans les décennies qui viennent de s’écouler. Le temps passé ne permet en rien de tirer un trait sur quelques points programmatiques qui demeurent d’une brûlante actualité. Non seulement les dispositifs créés par le Conseil National de la Résistance ne sont pas dépassés mais la mondialisation exige leur renforcement en France et les rend d’ailleurs souhaitables à d’autres nations dont la situation est bien comparable à la nôtre.

La situation qui s’ouvre est celle de tous les dangers. Si les mesures qui devraient aider à régler quelques problèmes cruciaux pour les travailleurs, salariés et employés en général, les travailleurs pauvres en particulier, et les couches moyennes qui inexorablement sont attirées vers le bas, n’étaient prises, nous risquerions alors les plus grands désordres. Comment en effet croire raisonnablement à la veille des échéances électorales qui s’annoncent, que notre société pourra continuer à fonctionner avec ces millions qui sont rejetés comme si de rien n’était ? Comment croire sérieusement qu’après s’être exprimés dans la rue à l’occasion des réformes des retraites ou du CPE, ou dans les urnes lors du référendum sur la constitution européenne, ces millions en resteront là , acceptant d’être ignorés, voire méprisés ?

Jacques Cotta
Journaliste, producteur de télévision, auteur de 7 millions de travailleurs pauvres : La face cachée des temps modernes, Fayard, 2006.


- Source : La Sociale www.la-sociale.net




La fable de la flexibilité, par Michel Husson.


Les chômages invisibles : note n° 1, par Collectif « Autres Chiffres Du Chômage ».

L’ UMP - Sarkozy pour la "liberté de travailler le dimanche", par Gérard Filoche.






[1Sondage BVA-Orange réalisé les 18 et 19 décembre.

[2Réunion publique à Charleville-Mézières lundi 18 décembre.

[3Interview réalisée sur France5 dimanche 17 décembre.

[4Voir « 7 millions de travailleurs pauvres, la face cachée des temps modernes », éditions Fayard.

[5Sofres en date des 6 et 7 décembre 2006 et BVA du 7 décembre.


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