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Qu’il n’y a pas de problème de financement de la protection sociale.








Regards Croisés sur l’Économie, décembre 2006.


Le débat sur le financement de la protection sociale part d’un diagnostic partagé : les dépenses pour les retraites et la santé sont appelées à augmenter plus vite que le PIB. On en conclut le plus souvent à la nécessité de réformes de la protection sociale. Mais pourquoi ? D’autres dépenses (tourisme, culture, loisirs électroniques) augmentent plus vite que le PIB. En déduit-on pour autant qu’il faut absolument « réformer » les secteurs correspondants ? A-t-on le droit de déclarer qu’en matière de loisirs les Français « vivent au dessus de leurs moyens » comme on le fait pour la santé ? Si l’on se retourne pour mesurer le chemin parcouru, on s’aperçoit que la part du PIB consacrée aux retraites et aux dépenses de santé a régulièrement augmenté depuis un demi-siècle, passant de 5% au début des années 1950 à environ 23 % aujourd’hui. Pourquoi cette progression est-elle jugée aujourd’hui insoutenable ?


Le plafond de verre des dépenses publiques

On ne peut répondre à ces questions qu’en remarquant que ces dépenses sont principalement financées par la cotisation et l’impôt, autrement dit qu’elles sont socialisées. Le postulat qui permet de comprendre la philosophie des réformes est au fond le suivant : le poids de ces dépenses socialisées a atteint un maximum, et il faut empêcher sa progression ultérieure.

Mais comment expliquer la présence d’un tel « plafond de verre » ? Dans le cas des retraites, tout a été fait pour décrire les perspectives sous un jour catastrophique en suggérant que la part croissante du revenu national consacré aux pensions pourrait augmenter si vite qu’elle assécherait les gains de pouvoir d’achat disponibles pour les actifs. Heureusement, nous sommes très loin de ce scénario. On peut en effet traduire en équivalent-productivité [1]
l’évolution du ratio démographique retraités/actifs. Dans les projections les plus pessimistes, il conduit à affecter chaque année un demi-point de productivité qui correspond à l’augmentation plus rapide du nombre de retraités. Cette évaluation fait consensus depuis longtemps et elle représente une limite haute qui ne prend pas en compte les effets en retour plausibles du vieillissement sur l’emploi, et notamment un recul du temps partiel, un recours accru à l’immigration, et le retour au plein-emploi. Cette évaluation laisse donc toute sa place à un « scénario de compromis » [2] où la part totale des salaires (y compris cotisations) resterait constante : on consacrerait un demi-point de productivité au flux de nouveaux retraités, et le reste des gains de productivité assurerait une évolution parallèle des salaires et des pensions. Leur pouvoir d’achat augmenterait par exemple de 1,5 % pour une productivité progressant de 2 % chaque année. La hausse progressive des taux de cotisation permettrait d’obtenir ce glissement dans la répartition de la masse salariale entre retraités et actifs, sans même avoir besoin de modifier le partage de la valeur ajoutée, pourtant aujourd’hui très défavorable aux salariés. Un tel scénario met en oeuvre ce principe simple : si la part des retraités dans la population augmente, leur part dans le revenu national doit elle aussi augmenter. Or le discours sur les réformes exclut a priori ce scénario au nom d’une règle selon laquelle le taux de cotisation devrait être durablement bloqué au niveau qui est le sien aujourd’hui. C’est bien ce principe que défend avec vigueur le Medef en France et qui inspire explicitement les réformes menées en Allemagne [3].

Encore une fois, ce n’est pas l’ensemble des dépenses de santé et des pensions qu’il faut empêcher d’augmenter plus vite que le PIB, c’est seulement la partie socialisée. Toutes les réformes comportent en effet un volet incitatif visant à compenser par une dépense privée ce qui ne pourra plus passer par un supplément de dépense socialisée. Le recours aux assurances privées comme substitut au régime public est partout mis en avant comme forme de financement complémentaire. Leur traitement n’est absolument pas le même : aucune limite n’est mise à leur progression ultérieure à laquelle les intervenants sur ce nouveau marché ont directement intérêt.


Les excès de la santé

Les arguments pour justifier le contrôle des dépenses de santé sont d’une autre nature. Les pensions sont des transferts de revenus permettant d’assurer un niveau de vie décent aux retraités et ces derniers peuvent employer ce revenu à leur guise. En revanche, les dépenses de santé relèvent d’une autre logique qui consiste à assurer le droit à la santé et il est nécessaire de délimiter concrètement l’extension de ce droit. Trois grandes questions se posent : comment juguler la sur-consommation ? Quelle part doit revenir aux contributions individuelles ? Comment affecter les ressources rares en matière de recherche et d’accueil ? Sur ces trois points, la société doit « révéler ses préférences » et il s’agit d’un débat absolument légitime. Mais ce débat est obscurci par la rhétorique de la réforme : elle prend appui sur l’existence patente de sur-consommation pour décréter que les dépenses de santé ne doivent plus croître. C’est oublier qu’existent aujourd’hui des poches de sous-consommation créées par les réformes successives (ticket modérateur, forfait hospitalier, etc.) qui ont largement écorné la réalité du droit à la santé.

Et surtout, les réformes libérales n’apportent pas une réponse socialement optimale aux questions posées : elles instituent une santé à péage qui aura pour effet de restreindre encore l’accès aux soins pour les plus démunis, tout en laissant ouverte, voire en stimulant, l’essor des consommations de santé marchandes (assurances et cliniques privées, etc.). Au bout d’une telle trajectoire, se profile le modèle des Etats-Unis où les dépenses de santé - majoritairement privées - représentent plus de 14 % du PIB, contre moins de 11 % en France. Une privatisation des dépenses de santé n’est donc en rien un moyen de contrôler les dépenses de santé. Son véritable objectif est de légitimer le blocage des dépenses publiques. Les réformes libérales font passer subrepticement d’une logique des besoins à une logique purement budgétaire pour ce qui est du financement public et s’en remettent au marché pour le reste.


Travailler plus longtemps et jouer sa retraite en Bourse

Les solutions mises en oeuvre pour les retraites contournent elles aussi un nécessaire débat public. Le recul de l’âge de la retraite se retrouve dans de nombreuses réformes : Allemagne, Espagne, Danemark, France, Royaume-Uni, etc. Elle semble frappée au coin du bon sens : puisque c’est le ratio démographique (retraités/actifs) qui déséquilibre les régimes, il suffit d’infléchir sa trajectoire en accroissant la durée de la vie active. Dans le scénario du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), la réforme Fillon fait ainsi gagner 0,9 % de PIB à l’horizon 2020 et 1,2 % à l’horizon 2050.

Mais cette économie (assez modique) ne pourra être dégagée que si les emplois de seniors plus longtemps actifs s’ajoutent à ceux créés pour les jeunes. Autrement dit, il faut supposer que le nombre d’emplois s’adapte à celui des demandeurs d’emplois. En pratique, compte tenu de l’état du marché du travail, les salariés devront prendre leur retraite à peu près au même âge qu’avant, mais avec une pension réduite en fonction d’un système de « décote » semblable à celui que la réforme Fillon a introduit en France. Le but de la manoeuvre n’est donc pas de faire travailler les gens plus longtemps mais bien de baisser le niveau de leur pension. L’allongement de la durée de vie active suppose que l’on soit revenu au plein emploi, parce qu’il serait absurde de vouloir faire travailler plus longtemps ceux qui ont un emploi alors que tant d’autres en sont privés. Quant à l’argument selon lequel l’allongement de la durée de vie en bonne santé devrait permettre de travailler plus longtemps, il suppose un autre préalable, celui de réduire la durée et l’intensité du travail, sinon on verra dans dix ou vingt ans les salariés arriver à la cinquantaine dans le même état d’usure que les générations précédentes.

La capitalisation est souvent présentée comme un autre moyen de gérer la contrainte démographique. L’argument essentiel est celui du différentiel de rendement entre les deux systèmes. On nous explique par exemple qu’un franc « immobilisé pendant trente ans devient 1,8 franc ou 4,3 francs selon qu’il est placé à 2 % (rendement du régime par répartition) ou 5 % (ordre de grandeur raisonnable pour le rendement sur longue période d’un portefeuille diversifié) » [4] Cet argument est faux théoriquement : tous les retraités ne peuvent durablement faire du 5 % pour une croissance de 2 %. Il a été invalidé par le retournement de la Bourse au début des années 2000 et par la baisse des taux d’intérêts. Dans tous les pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Amérique latine) qui ont misé sur les fonds de pension, les régimes par capitalisation sont en quasi-faillite [5]. Sur le fond, un régime par capitalisation est tout aussi sensible qu’un régime par répartition au ratio démographique qui vient peser sur la valeur de liquidation des titres représentatifs de l’épargne-retraite [6] Il s’agit donc d’un véritable miroir aux alouettes qui combine l’incertitude sur la valeur réelle de la pension et l’inégalité, dans la mesure où tous les salariés n’ont pas accès à cette forme d’épargne.


Financement ou modèle social

De très nombreux projets fleurissent, à gauche et à droite, qui proposent un changement du financement de la sécurité sociale : fiscalisation (CSG ou TVA sociale) ou extension de l’assiette au-delà de la masse salariale [7] La discussion est souvent confuse parce qu’elle mélange la question du mode de prélèvement et de son taux global. Il devrait pourtant être clair qu’une réforme du mode de prélèvement ne peut par miracle procurer des ressources nouvelles.

Les arguments en faveur d’un basculement vers une TVA sociale ou d’un élargissement de l’assiette font référence à des bénéfices collatéraux qui ne concernent pas au premier chef la Sécurité sociale : pour aller vite, la TVA sociale améliore la compétitivité et l’élargissement de l’assiette allège le poids relatif des « charges » pesant sur le facteur travail. Ces mérites supposés sont d’ailleurs sujets à caution, mais c’est une autre discussion. Il faut ici introduire un second point de méthode qui consiste à discuter de la supposée neutralité de ces transformations. En statique comparative, la fiscalité peut être strictement équivalente à la cotisation : le Danemark, où la protection sociale est principalement financée par l’impôt, ne dispose pas d’un modèle social de moins bonne qualité que celui de la France où la cotisation est (encore) prépondérante. Il faut donc raisonner en dynamique et se demander ce qu’implique le passage d’un système à l’autre. La fiscalisation prend alors une autre signification, qui consiste à dédouaner l’entreprise de toute responsabilité ultérieure dans la recherche de nouvelles sources de financement qui en fin de compte viendront principalement peser, via le recours à la fiscalité, sur les ménages.

La conclusion de ces trop rapides considérations pourrait être la suivante : il n’y a pas de problème de financement de la protection sociale. Il n’y a qu’un arbitrage à effectuer : entre financements public et privé ou, ce qui revient au même, entre égalité et marchandisation. Faire passer un choix de société fondamental pour un ajustement aux contraintes économiques est l’une de ces perversion dont l’économie dominante est coutumière.

Michel Husson


 Source : Hussonet http://hussonet.free.fr

Michel Husson, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales).
Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social" La Découverte.
Autres ouvrages en lignes ICI.




Le contrat doit il se substituer à la loi ? par Gérard Filoche.

Sécurité sociale professionnelle : Attention aux contrefaçons ! par Michel Husson.

Au programme des présidentielles, par Michel Husson.




 Source : CGT Isère, affiches politiques françaises 1950-1995 http://lettres-histoire.info


[1Michel Husson, « Viabilité de la répartition » in Fondation Copernic, Les retraites au péril du libéralisme, Syllepse, 3ème édition remaniée, 2002, http://hussonet.free.fr/fp3-ch4.pdf.

[2Samia Benallah, Pierre Concialdi, Michel Husson, Antoine Math, « Retraites : les scénarios de la réforme », La Revue de l’IRES n°44, 2004, http://reparti.free.fr/scenario.pdf.

[3Odile Chagny et Paola Monperrus-Veroni, « Les paramètres de la réforme : une comparaison France-Allemagne », à paraître dans Retraites et société, 2007.

[4Olivier Davanne, in Conseil d’analyse économique, Retraites et Epargne, 1998, http://reparti.free.fr/davanne.pdf.

[5Michel Husson, « Et la finance ruinera les retraités », Politis n°829, 9 décembre 2004, http://reparti.free.fr/etlafin.pdf.

[6Michel Husson, « La capitalisation, non merci ! » in Fondation Copernic, Les retraites au péril du libéralisme, Syllepse, 3ème édition remaniée, 2002, http://hussonet.free.fr/fp3-ch2.pdf.

[7pour des contributions à ce débat, voir la page « Financement de la Sécu » du site Marchandise : http://hussonet.free.fr/finasecu.htm ; notamment : Michel Husson, Les mirages du financement de la sécu, http://hussonet.free.fr/mirasecu.pdf.


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Les éditocrates - Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle, Aude Langelin
Vous les connaissez bien. Leur visage et leur voix vous sont familiers. Ils signent tous les jours un éditorial dans la presse écrite ; ils livrent une chronique chaque matin sur une antenne de radio ; ils occupent les plateaux des grandes - et des petites - chaînes de télévision ; chaque année, voire plusieurs fois par an, leur nouveau livre envahit les tables des librairies. « Ils », ce sont les « éditocrates ». Ils ne sont experts de rien mais ils ont des choses à dire sur (presque) (…)
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Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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