Le Courrier, mardi 28 novembre 2006.
En promettant des investissements publics, la renégociation de la dette et une réforme constitutionnelle, l’économiste Rafael Correa a été facilement élu dimanche à la présidence de l’Equateur.
Il n’y a pas eu photo, dimanche, en Equateur, entre l’entrepreneur néolibéral Alvaro Noboa et l’économiste socialiste Rafael Correa. Selon des résultats partiels, le candidat de la gauche à la présidentielle se serait imposé avec plus de quinze points d’avance. Un net succès qui ouvre la voie à l’Assemblée constituante, principale proposition de M.Correa et de son jeune parti Alianza Paàs, chargée de démocratiser en profondeur ce petit Etat sud-américain.
Moins d’un an après la victoire d’Evo Morales en Bolivie, et quelques mois après les fortes poussées de la gauche au Pérou et en Colombie, ce succès vient confirmer l’enracinement du courant progressiste dans les Andes sud-américaines. Bien que non-indigène, le futur chef de l’Etat a été soutenu par l’immense majorité des Amérindiens, preuve en sont ses scores quasi soviétiques obtenus en Amazonie, sur la Sierra et dans la capitale. Différent de la gauche « européanisée » qui domine au Brésil, en Uruguay et même au Venezuela, le pôle andin apporte sa richesse millénaire et communautaire au processus d’émancipation latino-américain.
Oublier Gutiérrez
Pour le mouvement social équatorien -l’un des premiers à s’être révolté avec force contre les politiques néolibérales- cette élection remet l’histoire sur ses rails. Déjà trois ans avant l’élection d’Evo Morales, la Confédération des nationalités indigènes (CONAIE) avait facilement porté son candidat favori à la présidence. Mais son choix avait été malheureux, puisque l’ex-officier Lucio Gutiérrez s’était rapidement rallié aux dogmes du FMI.
Economiste sérieux, entouré d’une équipe qu’on dit solide et compétente, Rafael Correa paraît mieux armé pour tenir ses promesses. Cet « ami personnel » d’Hugo Chávez pourrait même devenir l’allié-clé du Venezuela et de la Bolivie dans la construction d’un bloc régional autonome, capable de résister ensemble aux diktats de Washington et des transnationales.
Suspendre le service de la dette ?
Dimanche, il a réaffirmé sans ambiguïté son refus d’un Traité de libre-échange avec les Etats-Unis et son intention de renégocier la dette extérieure (11 milliards de dollars pour 12 millions d’habitants). Son futur ministre de l’Economie Ricardo Patiño est d’ailleurs un chaud partisan de la suspension des remboursements, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé avec les créanciers.
Rafael Correa, un chrétien-social qui aime à se définir « socialiste », s’est également engagé à renforcer la société pétrolière d’Etat Ecopetrol et à rejoindre l’OPEP (abandonnée en 1992). Il a en outre promis de ne pas renouveler la concession accordée jusqu’en 2009 aux Etats-Unis pour leur base militaire de Manta, point stratégique du Plan Colombie [1]...
On le voit, plus que la tiède élection du Nicaraguayen Daniel Ortega, le succès de M.Correa est riche de promesses internationales.
Urgente Constituante
Au niveau interne, l’effort devrait d’abord porter sur l’instauration d’une Assemblée constituante, dont les contours demeurent encore flous. Or le temps presse : estimant le parlement décrédibilisé par la « partitocratie », M.Correa avait refusé de présenter des candidats aux législatives et ne dispose donc d’aucune assise parlementaire.
Plus grave encore, dans un pays où neuf citoyens sur dix affirment n’avoir aucune confiance dans leurs institutions [2], la réforme de l’Etat s’impose comme un préalable incontournable à tout projet de transformation sociale.
Tout aussi cruciale sera la réforme de la politique pétrolière à laquelle devra s’atteler le nouveau gouvernement. Avec le double souci, apparemment contradictoire, d’augmenter les royalties de l’Etat, tout en freinant les dégâts causés par l’extraction de l’or noir.
Pour ce qui est du premier volet, le gouvernement provisoire d’Alfredo Palacio, en place depuis la révolte de 2005, avait su montrer la voie. Sous l’impulsion de Carlos Pareja (le futur patron d’Ecopetrol), il s’était attiré les foudres de Washington, en cassant un contrat avec la multinationale Oxy et en relevant les prélèvements publics. En revanche, la dette environnementale et sociale reste entière. On ne compte plus les communautés indigènes détruites par les chercheurs d’or noir. Il n’y a malheureusement aucun paradoxe au fait que les deux régions pétrolières du pays soient aussi les plus pauvres.
72% de pauvres
Avec des institutions légitimées et de nouveaux revenus, Rafael Correa pourra alors s’attaquer à la principale industrie du pays : l’exportation d’immigrants ! Plus d’une centaine d’Equatoriens quittent quotidiennement leur pays pour fuir la pauvreté. Septante-deux pour-cent [3] de ses habitants vivent avec moins de deux dollars par jour contre moins d’un sur deux dans les années 1970 !
Un « cauchemar néolibéral », selon les mots de M.Correa, auquel il ne sera pas aisé de mettre un terme. Depuis la « dollarisation » de 2000, l’Equateur ne dispose même plus du principal levier d’un Etat sur son économie : la monnaie. Conscient du risque d’attaques monétaires s’il revenait au « sucre », le leader d’Alianza Paàs ne s’y hasardera pas « durant les quatre prochaines années ».
Saigné à blanc
Pour l’heure, sa stratégie devrait se centrer sur la fiscalisation des matières premières et la ré-allocation de ressources -aujourd’hui destinées au paiement de la dette- vers les secteurs productifs et sociaux. Ce n’est pas rien. Près de la moitié du budget de l’Etat -2,8 milliards de dollars- est aujourd’hui consacré au service de la dette externe...
Le mandat de M.Correa s’annonce aussi prometteur que périlleux. Après la calamiteuse trahison de Lucio Gutiérrez, la gauche équatorienne ne se relèverait pas d’un nouvelle déception.
Benito Perez
– Source : Le Courrier de Genève www.lecourrier.ch
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