- Vidéo, photos : 26 novembre, marée rouge pour Chavez à Caracas.
L’ Humanité, 25 novembre 2006.
Où en est la révolution bolivarienne au Vénézuela ?
Le 3 décembre prochain aura lieu au Venezuela une élection présidentielle opposant principalement le président en exercice depuis huit ans, Hugo Chavez Frias, à Manuel Rosales, gouverneur de l’État pétrolier de Zulia et représentant de l’opposition au gouvernement actuel.
Ce scrutin constitue un enjeu particulièrement important pour le Venezuela et le reste de l’Amérique latine, qui ne peut être compris qu’en rappelant ce que signifie Chavez dans l’histoire récente du pays. L’accession de Chavez à la présidence de la République du Venezuela, en décembre 1998, peut être comprise comme l’émergence de la parole et de la représentation des exclus sur une scène politique historiquement et structurellement ségrégative.
Fréquemment citée en exemple dans les années 1970, tandis que l’Amérique latine vivait sous la coupe de régimes militaires violemment répressifs, la démocratie vénézuélienne - administrée alternativement par le parti social-démocrate Accion Democratica et le parti social-chrétien COPEI depuis 1958 - s’est chroniquement montrée incapable de promouvoir une redistribution des richesses pétrolières et d’élaborer une véritable politique de promotion sociale. Mieux que tout autre, le secteur de l’enseignement supérieur - vivier des élites s’il en est - témoigne de cette incurie. Malgré l’inscription dans la Constitution de 1961 du principe d’une éducation gratuite à tous les niveaux, les conditions d’accès au savoir et à la formation sont restées radicalement inégalitaires. Ainsi, à l’Universidad Central de Venezuela (Caracas) entre 1981 et 2000, la part des étudiants issus des classes les plus favorisées (représentant environ 7,5 % de la population nationale) est passée de 32,58% à 53,29 % du total des inscrits, tandis que la proportion de ceux venant des couches les plus défavorisées (81 % de la population nationale) passait de 21,87 % à 6,59 %. En d’autres termes, le système universitaire vénézuélien n’a pas seulement reproduit les inégalités dans un pays encore profondément marqué par la hiérarchie socio-raciale héritée de l’époque coloniale, mais a contribué à les aggraver au cours des deux dernières décennies du XXe siècle.
De la même manière, la Fundacion Ayacucho - créée en 1974 afin de démocratiser l’enseignement supérieur - a distribué 10649 bourses durant ses deux premières années d’existence, mais s’est progressivement transformée en une agence de prêts bancaires pour étudiants nécessiteux et ne dispensait plus que 436 bourses en 1994 et 112 en 1995. Jamais, dans ces conditions, l’université vénézuélienne n’a su rompre avec ce que Bourdieu et Passeron, évoquant le cas français, nommaient « un enseignement traditionnel orienté vers la formation et la sélection d’une élite de gens bien nés ».
A défaut d’avoir résorbé toutes les inégalités au Venezuela, Chavez incarne la remise en cause de ce système excluant. Dans la pratique d’une part, la réorganisation de la Fundacion Ayacucho en 2005 a permis d’attribuer plus de 14 000 bourses d’ensei- gnement supérieur pour l’année 2006 ; la part du produit intérieur brut consacrée à l’éducation, qui était de 1,7 % en 1993 et de 1,6 % en 1998, est passée à 4,3 % en 2005 - augmentation d’autant plus significative que le PIB a connu une forte croissance dans le même temps.
Symboliquement d’autre part, Chavez se situe aux antipodes de la classe politique traditionnelle issue du monde académique, puisqu’il n’est à l’origine qu’un simple officier métis de l’armée régulière. Il n’est donc pas illogique qu’une grande majorité des élites, menacée dans certaines de ses prérogatives, se soit opposée en bloc et sans réel projet alternatif au pouvoir issu des élections de 1998, au point de soutenir un coup d’État en 2002.
Dans la perspective des élections de décembre 2006, ces élites portent un appui sans faille à Rosales ; il reste à savoir si elles parviendront à fédérer autour de leur antichavisme une part substantielle de l’électorat vénézuélien.
Olivier Compagnon, Julien Rebotier et Sandrine Revet, (historien, géographe et anthropologue à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine/Université Paris-III - Sorbonne Nouvelle)
– Source : L’ Humanité www.humanite.presse.fr
- Vidéo, photos : 26 novembre, marée rouge pour Chavez à Caracas.
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