RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Partage des richesses.





Contribution au livre L’autre campagne.

Octobre 2006.


Introduction

Répartition et chômage

Tout projet cohérent de transformation sociale doit partir d’une analyse de l’un des traits les plus sinistres du capitalisme contemporain, à savoir le chômage de masse. Il faut, pour commencer, réfuter les fausses explications qui renvoient au coût du travail excessif et aux nouvelles technologies. C’est assez simple, puisque tout au long des « Trente glorieuses » - pendant lesquelles le taux de chômage n’a jamais dépassé 2 % - le salaire progressait en phase avec une productivité qui augmentait bien plus vite qu’aujourd’hui.

Fondamentalement, la montée du chômage est liée à la déformation dans la répartition du revenu depuis 20 ans : la part des salaires dans le revenu national a baissé au profit des revenus financiers, tandis que la part de l’investissement restait à peu près constante. Cet énorme transfert des salaires vers les « rentes » (10 points de PIB, soit 160 milliards d’euros) a pesé sur la situation de l’emploi de deux manières. Le gel des salaires a bloqué la demande. Tout pouvoir d’achat supplémentaire est consommé à peu près intégralement par les salariés, mais il est en grande partie épargné par les « rentiers » et c’est d’ailleurs pour cette raison que les baisses d’impôts ciblées sur les hauts revenus n’ont pas relancé la consommation. Et surtout, la rétention des gains de productivité par la finance a bloqué le processus de réduction du temps de travail.


Répartition et durée du travail

La non redistribution des gains de productivité aux salariés - que ce soit sous forme de pouvoir d’achat ou de baisse du temps de travail - est donc au fondement des deux processus jumeaux mis en oeuvre par le néo-libéralisme : précarisation d’un côté, financiarisation de l’autre. On ne peut donc viser à la résorption du chômage sans toucher à la répartition des richesses. La réduction du temps de travail est ici un levier essentiel : c’est non seulement un instrument de création d’emplois mais aussi un moyen de modifier le partage des richesses et de réduire les inégalités. On connaît bien aujourd’hui les travers de l’expérience du passage aux 35 heures dont le potentiel en emplois a été en grande partie annulé par une nouvelle intensification du travail et une extension de la flexibilité sous toutes ses formes. L’exigence d’embauches proportionnelles et des mesures anti-précarité pourraient permettre de neutraliser ces effets pervers. Pour conduire ce mouvement, il faudra un double contrôle venant à la fois d’en haut - par exemple l’encadrement des heures supplémentaires - et d’en bas : ce sont les salariés et leurs représentants qui devront valider la réalité des embauches. Mais il y plus : la réduction du temps de travail doit être aussi l’occasion de changer le contenu du travail et d’en repenser les finalités : l’emploi pour toutes et tous doit être un emploi de qualité, à la fois du point de vue des conditions de travail et de la nature de la production.


Répartition et demande sociale

La validité d’un tel projet ne repose pas sur accélération non soutenable de la croissance mais implique une modification substantielle de son contenu. En premier lieu, la priorité à la réduction du temps de travail équivaut en effet à un arbitrage entre production et temps libre qui privilégie cette dernière utilisation des gains de productivité. Mais tout changement dans la répartition des richesses induit un changement dans le contenu de la croissance. Il ne s’agit pas en effet de deux phénomènes indépendants : un PIB à 70 % de la part salariale croît de manière plus régulière et égalitaire qu’à 60 %. Tout dépend ensuite du mode de repérage et de satisfaction de la demande sociale. Le partage des richesses ne doit pas seulement évoluer en faveur des salaires (au sens large, autrement dit y compris la protection sociale) mais de manière plus générale en faveur d’une offre socialisée de biens et services. C’est l’articulation entre le partage primaire des revenus (au niveau des entreprises) et la socialisation des dépenses via la fiscalité et les transferts sociaux qui peut contribuer à la fois à une meilleure satisfaction des besoins et à une réorientation de la croissance. Le PIB peut en effet augmenter de plusieurs manières : l’achat d’une troisième voiture augmente le PIB, mais la création d’emplois dans les services publics aussi.

La priorité aux besoins sociaux permet alors d’envisager un nouveau type de développement. Il faut ici combiner la critique du productivisme et celle du capitalisme. Pour ce système, le chômage et la non reconnaissance des besoins sociaux ne sont pas des symptômes d’inefficacité, mais des moyens de réguler la répartition des revenus en faveur des possédants. Un autre partage des richesses n’a de sens, et de chance de réussite, que s’il vise à renverser cette priorité, en privilégiant la création d’emplois socialement et écologiquement utiles fondés sur la satisfaction des besoins sociaux, notamment dans les services publics.

L’hypothèse fondamentale est ici que les plus urgents de ces besoins (santé, logement, éducation, transports collectifs, crèches et accueil des personnes âgées, économies d’énergie, recherche, etc.) correspondent, ou peuvent le faire, à ce type d’« offre ». Ce sont autant d’occasions de créer des emplois autrement que par une croissance productiviste, et de réduire en même temps la part des activités écologiquement nuisibles. Cette priorité à la satisfaction des besoins sociaux doit conduire ensuite à rééquilibrer l’orientation de l’investissement, par l’intervention des pouvoirs publics et des salariés dotés de droits nouveaux.

La critique de la croissance productiviste et celle du chômage capitaliste doivent donc être combinées de manière à dépasser le stade de la dénonciation culpabilisante et à affirmer une double priorité : priorité au temps libre plutôt qu’à la recherche - vaine et dangereuse - de la croissance pour la croissance, et priorité aux modes de satisfaction socialisés des besoins plutôt qu’aux mécanismes marchands. Cette double priorité permet de déboucher sur des revendications concrètes et légitimes et de donner un point d’appui majoritaire à un projet de transformation sociale. Le nouveau partage des richesses apparaît alors comme le moyen, et la condition, pour avancer vers une société du bien-être et du temps libre.

Pour aller plus loin : Fondation Copernic, Propositions pour sortir du libéralisme, Syllepse, 2006.

Michel Husson (économiste, Fondation Copernic)


- Source : Hussonet http://hussonet.free.fr



Sécurité sociale professionnelle : Attention aux contrefaçons ! par Michel Husson.


Hirondelle présidentielle, par Michel Husson.

Les retraites des régimes spéciaux dans le collimateur de la droite, par Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche.




- Photo : © Serge Canasse


Documents joints
JPEG 90.5 ko
URL de cet article 4179
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
Les caisses noires du patronat
Gérard FILOCHE
A quoi servent les 600 millions d’euros des caisses noires du patronat, et où vont les 2 millions d’euros distribués chaque année en liquide par l’UIMM et le Medef ? Gérard Filoche dénonce ce scandale du siècle au coeur du patronat français. Il soulève toutes les questions posées par ce trafic d’argent liquide qui circule depuis si longtemps au Medef et montre comment le patronat se servait de cette caisse anti-grève pour briser la fameuse concurrence libre et non faussée. Denis Gautier-Sauvagnac, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.