L’expansion rapide de l’économie informelle aux Etats-Unis introduit des éléments nouveaux dans les comportements habituels d’exploitation. Même si l’économie des Etats-Unis a traditionnellement été nourrie du travail des immigrés, l’actuelle dépendance de la main d’oeuvre sans-papiers est sans précédent. Alors que les masses d’Européens de l’Ouest et de l’Est qui dans le passé immigrèrent pour faire le sale boulot de l’Amérique furent récompensés pour leur sacrifice par l’octroi de la citoyenneté, rien n’indique que les actuels travailleurs Mexicains et d’Amérique centrale puissent escompter la même récompense. La naturalisation ne fait pas partie du contrat. Le sale boulot sous-payé, dans l’économie informelle contemporaine, n’est pas l’antichambre de l’intégration à la classe ouvrière formelle des Etats-Unis. Il est plus que probable que la vague actuelle des immigrés sans-papiers qui travaillent dans l’économie informelle des Etats-Unis vont y rester aussi longtemps qu’on en aura besoin.
Monthly Review, juillet août 2006.
De nombreuses économies informelles opérant dans le monde aujourd’hui sont la progéniture de la globalisation et doivent être comprises comme telles. Les débouchés économiques et sociaux pour les personnes occupant un emploi informel — parfois dit "précaire" ou "emploi hors comptabilité" — ainsi que pour leur familles et communautés, sont substantiellement inférieurs à ceux des travailleurs du secteur formel, et le boom actuel de l’activités économique informelle est de mauvais augure pour tout le monde du travail.
Désignées aussi diversement qu’ économies "souterraines", "parallèles", "invisibles", et "black" (comme dans "marché noir"), beaucoup d’économies informelles se sont développées autour des activités économiques de survie de travailleurs exclus de l’économie formelle de leur nation ou région et exploités par des entrepreneurs voulant tirer profit de leur désespoir. Initialement considérées comme un phénomène du tiers-monde et des nations en développement, les économies informelles sont maintenant en expansion rapide dans les économies de marché des nations du monde occidental, y compris aux Etats-Unis.
Le travail dans l’économie informelle contraste nettement avec l’emploi formel : salaires et conditions de travail sont d’un niveau inférieur ; il n’y a pas de garantie du minimum ou du maximum d’heures de travail, ni de jours fériés chômés et payés ou de congés payés ; les discriminations de genre, ethniques et raciales sont incontrôlées et systématiquement exploitées ; il n’y a pas d’obligation en matière de santé ou de règles de sécurité qui protègent les travailleurs des blessures ou décès au travail et ils n’ont pas droit aux traditionnels avantages de l’emploi dans l’économie formelle : indemnisation des accidents du travail, assurance maladie, chômage et vie, retraites. Inutile de dire que peu de travailleurs rejoignent le monde du travail informel volontairement - l’immense majorité est recrutée essentiellement à cause du désespoir économique - qui n’est pas atténué par même un filet de sécurité sociale minimal.
La participation des travailleurs à l’économie informelle est un phénomène complexe. Bien que les travailleurs immigrés jouent un rôle très important dans l’économie informelle étatsunienne, les travailleurs natifs du pays y contribuent aussi. Ces travailleurs du secteur informel comprennent des groupes aussi radicalement différents que des professionnels qui font des jobs non déclarés à côté, des travailleurs qualifiés qui se font payer en nature, et des travailleurs natifs du pays qui, à cause des réductions dans les programmes sociaux, doivent accepter le premier travail venu.
Los Angeles : Une étude de cas qui fait autorité
Bien qu’aucune étude nationale d’ensemble n’ait été publiée à ce jour sur l’économie informelle aux Etats-Unis, une étude du travail dans l’économie informelle de la ville de Los Angeles par l’Economic Roundable, une organisation à but non-lucratif sur les politiques de recherche publique, propose un regard en profondeur sur une économie informelle locale. L’étude complète, Hopeful Workers, Marginal Jobs : LA’s Off-the-Books Labor Force (Heureux Travailleurs, Emplois Marginaux : La Main d’Oeuvre Hors Comptabilité) est disponible en ligne à www.economicrt.org
Etant donné que l’étude de cas récemment publiée sur l’économie informelle de Los Angeles constitue la meilleure évaluation sur l’emploi informel et son impact, elle est valable pour toute zone précise du pays, et mérite une attention particulière.
Le tableau 1 fournit une étude détaillée de l’emploi informel. La courbe CPS du tableau 1 est basée sur les situations d’emploi déclarées par les personnes sondées par le Current Population Survey [1]résidant dans le comté de Los Angeles.
La courbe ES6202 du tableau 1, basée sur les données du California Employment Development Department, est spécifique à la Californie. Elle représente la totalité de l’emploi salarié et des salaires mentionnés par les employeurs du comté de Los Angeles sur leurs déclarations de taxes sur les salaires à l’Etat. L’écart entre les deux courbes du tableau 1 peut être considéré comme un bon indicateur de l’activité économique informelle.
Le tableau révèle un écart croissant entre les déclarations d’emplois des travailleurs et celle des employeurs indiquant que l’informalisation actuelle de l’économie du comté de Los Angeles s’est faite de manière ininterrompue au cours des dix-huit dernières années, en période de boom comme de récession.
La caractéristique la plus remarquable du tableau 1 est dans la période qui a suivi la récession économique de 2001. Les données indiquent qu’en 2004 la reprise économique n’était toujours pas en vue. En dépit de cela, l’économie informelle est restée relativement stable durant cette période où l’économie formelle poursuivait un sérieux déclin. Les données de 2005, qui ne sont pas incluses dans l’étude de l’Economic Roundtable, indiquent la persistance de la même tendance. La conclusion des chercheurs de l’Economic Roundtable, à savoir que la stagnation économique en Californie du Sud, qui a été provoquée par la récession de 2001, aurait été pire sans les progrès de l’économie informelle, semble parfaitement justifiée.
En plus de donner une image réelle des tendances générales de l’activité économique informelle, l’étude de l’Economic Roundtable propose des estimations crédibles sur la taille actuelle de l’économie informelle dans le comté de Los Angeles. Ces chercheurs ont calculé des estimations basses, moyennes et hautes du nombre de travailleurs du comté formant la main d’oeuvre informelle, et après une prudente réflexion, ils ont choisi l’hypothèse intermédiaire de 679.000 travailleurs en 2004. Ce nombre a représenté cette année-là le chiffre important de 15% de la main d’oeuvre totale du comté de Los Angeles.
Les chercheurs de l’Economic Roundtable prennent ce chiffre afin de déterminer le coût de l’emploi informel pour le filet de sécurité sociale publique du comté de Los Angeles. Déterminant que le salaire annuel moyen des emplois hors comptabilité était légèrement supérieur à 12.000 $ en 2004, ils ont calculé que l’économie informelle a produit une masse salariale de 8,1 milliards. Ces salaires non déclarés ni soumis à la taxe sur les salaires ont volé le secteur public du comté de Los Angeles des montants suivants :
.1 milliard de dollars de contributions à l’Aide Sociale (payées par les employeurs et travailleurs)
. 236 millions de dollars de cotisations au régime d’Assurance Maladie (réglées par les employeurs et les travailleurs)
.96 millions de dollars de primes à la Caisse d’Assurance Invalidité de l’Etat de Californie (à charge des seuls travailleurs)
.220 millions de dollars de redevances à l’Assurance Chômage (acquittés par les employeurs)
.513 millions de dollars d’indemnisations à l’Assurance contre les Accidents du Travail (dues par les employeurs).
Ces pertes (supérieures à 2 milliards de dollars) s’ajoutent aux plus de 2 milliards d’ impôts et cotisations qui étaient nécessaires pour financer une sécurité sociale minimale pour les travailleurs. Le déficit fiscal est ininterrompu et les contribuables de Californie n’étant pas disposé à financer des mesures de secours, il en est résulté une détérioration générale des services sociaux aux travailleurs informels et à leurs familles dans l’Etat.
Bien que l’étude de l’Economic Roundtable soit centrée essentiellement sur le travail dans l’économie informelle, les chercheurs font remarquer que les travailleurs informels du comté de Los Angeles dépensent environ 4,1 milliards par an qui devraient donner lieu à 440 millions $ de TVA. Néanmoins ces travailleurs achètent de nombreux biens et services à des détaillants et prestataires informels qui ne facturent pas de TVA, d’où un manque à gagner pour l’Etat qui aggrave l’érosion des ressources du secteur public.
Les crises sociales et politiques de la région sont alimentées par le fait que l’expansion de l’économie informelle en Californie du Sud est basée sur une très vaste exploitation des travailleurs sans-papiers du Mexique et d’Amérique centrale. La situation a projeté la question de l’immigration illégale en Californie (et, bien sûr, nationalement) au centre de la scène.
L’exploitation des travailleurs sans-papiers
Le problème de l’exploitation des travailleurs sans-papiers est fondamental à la compréhension de l’économie informelle à Los Angeles. Quoiqu’il soit exact que beaucoup de travailleurs natifs et d’immigrés légaux participent à l’économie informelle de Los Angeles, les immigrés sans-papiers constituent la majorité des travailleurs hors comptabilité. En même temps, alors que beaucoup d’individus, à la fois des natifs et des immigrés, participent aux deux économies, ce double rôle ne devrait pas permettre d’obscurcir le rôle dominant des travailleurs immigrés sans-papiers dans l’économie informelle de Los Angeles.
L’étude de l’Economic Roundtable fournit des preuves à l’appui du rôle dominant des travailleurs sans-papiers du comté de Los Angeles quand elle pose la question du nombre de travailleurs qui sont des immigrés sans-papiers dans l’économie informelle et des secteurs qui les emploient. L’Economic Roundtable, en s’appuyant sur les données du Service de l’Immigration et de la Naturalisation US (INS) et sur celles du Recensement de l’année 2000, estime que ces travailleurs immigrés sans-papiers constituent 61% de la main d’oeuvre informelle du comté de Los Angeles et 65% dans la ville. Les données du Recensement 2000 établissent aussi que s’il s’agit dans une proportion non négligeable d’immigrés d’Asie et du Moyen Orient en Californie, la grande majorité des immigrés résidant et travaillant dans le Sud de la Californie viennent d’Amérique latine.
Si le pourcentage de travailleurs sans-papiers dans l’économie informelle de Los Angeles est tout à fait remarquable, la question de savoir qui les emploient réserve bien des surprises. Les vingt premières activités employant des travailleurs immigrés sans-papiers dans le comté de Los Angeles sont classées dans le tableau 2. La représentation de la main d’oeuvre informelle présentée par le tableau 2 contraste vivement avec la perception populaire des travailleurs immigrés fondée sur des visions passagères de journaliers sollicitant au coin des rues, de travailleurs familiaux attendant à l’arrêt de bus, et sur des groupes aperçus entassés dans des camions à l’arrêt. Tiré des données de l’INS et du Recensement 2000, ce tableau indique qu’un grand nombre d’activités du comté de Los Angeles exploitent systématiquement la main d’oeuvre immigrée sans-papiers. L’étude de l’Economic Roundtable révèle, en fait, que la majorité des travailleurs sont utilisés régulièrement et sans être vus du public dans des usines, des fabriques, des restaurants, des entrepôts, des cliniques, des immeubles de bureaux et des domiciles privés. Les chercheurs de l’ERT estiment que les 20 activités du comté de Los Angeles qui ont le plus recours aux travailleurs sans-papiers en emploient en réalité, à elles seules, au moins 180.000.
La plupart de ces travailleurs sans-papiers ne sont manifestement pas des journaliers occasionnels. La nature de la majorité des emplois listés dans le tableau 2 impose des relations stables entre les employeurs et les travailleurs et nécessite de considérables réseaux communautaires pour recruter et soutenir ces travailleurs.
Même si les salaires des travailleurs immigrés sont dans l’économie informelle systématiquement inférieurs à ceux des natifs du pays, l’exploitation ne s’arrête pas là . L’analyse des salaires en fonction du sexe faite par l’Economic Roundtable révèle la gravité de la surexploitation des femmes sans-papiers dans l’économie informelle de Los Angeles.
Comme cette surexploitation des travailleuses sans-papiers est presque exclusivement invisible, elle échappe pratiquement à l’attention publique. Cependant l’Economic Roundtable apporte la preuve de l’emploi de nombreuses travailleuses sans-papiers par les 20 activités qui emploient le plus de travailleurs informels. En général, ces femmes ont tendance à travailler chez des particuliers, dans des services aux personnes et dans l’industrie légère, tous emplois traditionnellement mal payés, alors que les hommes occupent la majorité des emplois dans les transports, la construction et d’autres secteurs où les emplois de cols bleus sont relativement mieux payés.
Les chercheurs de l’Economic Roundtable font ressortir la surexploitation des travailleuses sans-papiers de l’économie informelle de Los Angeles en comparant les salaires par sexe dans des catégories précises d’emplois pour l’année 1999. Par exemple, dans la catégorie des services aux immeubles, où les deux sexes sont également présents, les hommes sont payés en moyenne 13.308 $ alors que la moyenne pour les femmes est de 6.869 $ (51% du salaire des hommes). Même chez les particuliers, dans les instituts de beauté, les grands magasins, les services médicaux, où les emplois sont de toute évidence tenus très majoritairement par des travailleuses, les hommes sont mieux payés. Alors que les femmes occupent 75% des emplois dans ces secteurs, elles gagnent seulement 66% des salaires des hommes faisant le même travail. Dans l’ensemble, le salaire moyen des travailleuses sans-papiers de l’économie informelle du comté de Los Angeles était de 7.630 $, contre 16.553 $ pour les hommes. Ces montants signifient que les travailleuses sans-papiers ne perçoivent que 46% du salaire moyen annuel de leurs homologues masculins.
Les bases de l’économie informelle de Los Angeles, pour les récapituler succintement, sont :
-Les travailleuses sans-papiers sont payées moins que la moitié (46%) que les travailleurs sans-papiers, à travail égal.
-La paye moyenne de l’ensemble des travailleurs masculins sans-papiers est inférieure à la moitié (41%) du salaire des travailleurs natifs dans les mêmes catégories d’emplois de l’économie formelle. Bien que ces inégalités flagrantes sous-estiment la surexploitation des travailleurs informels dans la mesure où les indemnités et avantages qui s’ajoutent au salaire des travailleurs de l’économie formelle ne sont pas inclus, or ils représentent de 27 à 30% de leur rémunération totale. [2]
L’étude de l’Economic Roundtable indique que le secteur informel de l’économie de Los Angeles, qui repose sur l’exploitation des travailleurs sans-papiers, fait partie intégrante de l’économie régionale. Les implications de cette extraordinaire étude de cas laissent supposer que les tendances de l’économie informelle nationale méritent un réexamen minutieux.
Les tendances nationales
A l’évidence les économies de Los Angeles et de son comté sont uniques. La proximité de la Californie du Sud avec le Mexique et la disponibilité de la main d’oeuvre du Mexique et de l’Amérique centrale ont historiquement façonné l’économie, la structure sociale et la culture de la région. Le fait que Los Angeles reste la principale destination de l’immigration mexicaine, légale et sans-papiers, est reconnu officiellement.
Le tableau 3 s’appuie sur l’importante étude du Bureau de Politique et de Planification du Service de l’Immigration et de la Naturalisation (INS), Estimates of the Unauthorized Immigrant Population Resident in the United States : 1990-2000, (http://uscis.gov).
Les statisitiques de l’INS attestent de la concentration des travailleurs immigrés en Californie mais révèle aussi que le Texas, New York et l’Illinois (principalement les villes de New York et de Chicago) sont aussi des concentrations considérables.
Les grosses surprises de l’étude de l’INS viennent des récentes tendances de l’immigration des travailleurs de Mexico et d’Amérique centrale vers d’autres destinations des Etats-Unis. Ces tendances nationales sont rapportées dans le tableau 4, basé sur la même étude de l’INS que le tableau 3. Il montre que six des dix Etats qui ont connu le taux de croissance le plus élévé d’immigrants sans-papiers au cours de la dernière décennie du 20e siècle sont situés dans le Sud-Est des Etats-Unis et trois autres non loin, dans le Centre. La phénoménale hausse de l’immigration dans le Sud-Est vient du boom des zones métropolitaines où les constructions nouvelles et les services commerciaux ont créé une énorme demande de main d’oeuvre à bas coût. Pour la période 1990-2000 le nombre d’immigrés sans-papiers a doublé de 3,5 à 7 millions pour l’ensemble des Etats-Unis. Les évaluations actuelles indiquent que ces tendances de l’immigration se sont accélérées et que le total national se situe entre 11,5 et 12 milions (www.pewhispanic.org).
Les comportements actuels de l’immigration des travailleurs sans-papiers vers les Etats-Unis indiquent une rapide expansion de l’économie informelle nationale. L’habitude de fonder l’économie informelle sur l’exploitation des travailleurs sans-papiers, bien établie en Californie et au Texas, est en train de se répandre rapidement à travers la nation. Le Pew Hispanic Center estime qu’en mars 2005, environ 7,2 millions des 12 millions d’immigrés sans-papiers des Etats-Unis travaillaient, constituant de l’ordre de 4,9% de la force de travail totale. Si on applique le même facteur correctif à l’estimation du Pew Hispanic Center que celui utilisé par les chercheurs de l’Economic Roundtable pour les données de l’emploi du Current Population Survey (CPS) concernant le comté de L.A., il en résulte que 8 à 10 pour cent du total général des travailleurs pourraient être employés dans l’économie informelle de toute la nation.
Ce développement de l’économie informelle révèle que la dure situation perpétuelle des travailleurs sans-papiers empire et qu’on est dans une guerre d’usure permanente contre la classe ouvrière étatsunienne dans son ensemble.
De Mal Empire à la sauce étasunienne
La théorie économique Globale parle des économies informelles comme de conditions de "restructuration". Cette théorie néoclassique et néolibérale soutient que tous les travailleurs du monde sont en concurrence entre eux dans un jeu à somme nulle. Les économies informelles surgissent quand les travailleurs d’une région économique du monde perdent au bénéfice des travailleurs d’une autre région et que l’économie formelle de la région perdante se contracte ou s’effondre. Selon cette théorie, les économies informelles surviennent pour occuper le vide économique en résultant, et le mécanisme du libre-marché va déterminer l’issue.
Les économistes néolibéraux assurent que les travailleurs migrants déplacés, essentiellement du Mexique et d’Amérique centrale, émigrent aux Etats-Unis et font concurrence aux travailleurs natifs pour les rares emplois de l’économie post-industrielle, sous l’injonction de la "main invisible" du "libre-marché". La couverture idéologique à faire avaler à l’opinion publique, à cet effet, consiste à dire que les travailleurs immigrés prennent les emplois que les travailleurs natifs refusent.
Mais ce sont des politiques économiques et non les libres-marchés, qui déterminent les économies globales, nationales et locales. Le mouvement de délocalisation de la production industrielle et des services pour profiter d’une main d’oeuvre bon marché nécessite la docilité, ou la coopération totale des gouvernements, le sien et les locaux, et est donc essentiellement un acte politique. La subversion généralisée des lois du travail et de l’immigration aussi est politique. Ces intrigues politiques — non quelque mythique "main invisible" — sont les moteurs de l’économie informelle des Etats-Unis.
L’expansion rapide de l’économie informelle aux Etats-Unis introduit des éléments nouveaux dans les comportements habituels d’exploitation. Même si l’économie des Etats-Unis a traditionnellement été nourrie du travail des immigrés, l’actuelle dépendance de la main d’oeuvre sans-papiers est sans précédent. Alors que les masses d’Européens de l’Ouest et de l’Est qui dans le passé immigrèrent pour faire le sale boulot de l’Amérique furent récompensés pour leur sacrifice par l’octroi de la citoyenneté, rien n’indique que les actuels travailleurs Mexicains et d’Amérique centrale puissent escompter la même récompense. La naturalisation ne fait pas partie du contrat. Le sale boulot sous-payé, dans l’économie informelle contemporaine, n’est pas l’antichambre de l’intégration à la classe ouvrière formelle des Etats-Unis. Il est plus que probable que la vague actuelle des immigrés sans-papiers qui travaillent dans l’économie informelle des Etats-Unis vont y rester aussi longtemps qu’on en aura besoin.
L’économie des Etats-Unis est redevable aux travailleurs sans-papiers, mais rien ne laisse à penser que cette dette va être payée. Les programmes envisagés de "travailleurs invités", actuellement en discussion au Congrès, ne sont rien de plus que la reprise du Programme Bracero, qui fut en vigueur de 1942 à 1964, et les dettes dues aux travailleurs en vertu de ce programme sont toujours impayées. La stratégie contemporaine est d’utiliser les travailleurs Mexicains et Américains centraux déplacés le plus longtemps possible. Mais dès qu’on n’en n’aura plus besoin, ils seront rapatriés. C’est ce qui est arrivé à leurs compatriotes arrachés de leurs maisons et communautés et conduits de l’autre côté de la frontière au début de la Grande Dépression et à nouveau durant la campagne paramilitaire de rapatriement dénommée "Opération Wetback" [3]lors de la récession qui suivit la seconde guerre mondiale.
Le boom actuel de l’économie informelle est de mauvais augure pour les travailleurs natifs, que ce soit dans le secteur informel ou dans les secteurs formels de l’économie des Etats-Unis. Les salaires réels, les avantages et les niveaux de vie continuent à décliner et le mouvement ouvrier tarde à réagir. Réaliser le Rêve Américain en travaillant dur, dans un emploi prometteur, est devenu une éventualité lointaine plutôt qu’une opportunité accessible. Et rien ne vaut le spectre nu de l’esclavage salarial pour maintenir sous contrôle les attentes de tous les travailleurs. La révolution des espérances montantes qui s’empara des travailleurs et des minorités dans les années 1960 a été éclipsée par la perspective de paupérisation.
Tant que le mouvement ouvrier n’aura pas développé la solidarité nécessaire pour affronter les attaques actuelles du capitalisme, l’expansion des économies informelles continuera à appauvrir la vie de chaque travailleur. L’appel à l’unité de tous les travailleurs du monde n’a jamais été aussi urgent qu’aujourd’hui.
Richard D. Vogel
Richard D. Vogel, écrivain socialiste indépendant, est l’auteur du livre (non traduit en français) Stolen Birthright : The U.S. Conquest of the Mexican People (Droit Volé : La Conquête par les Etats-Unis du Peuple Mexicain).
– Source : Monthly Review.Volume 58, numéro 3, juillet-août 2006. www.monthlyreview.org/0706vogel.htm
– Traduit de l’ anglais en français par Gérard Jugant.
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