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“Donnons de la force au processus démocratique participatif vénézuélien”

Interview du Ministre des Communes du Venezuela, Guy Vernáez

Alors que les démocraties libérales en Occident tendent de plus en plus vers l’autoritarisme au fur et à mesure de leur perte d’influence dans le monde multipolaire, de nouvelles expériences nous viennent du Sud. Depuis des années, le Venezuela expérimente et construit une démocratie participative et protagonique.

Sur tout le territoire national, des millions de citoyens se réunissent en assemblées populaires et décident de leur modèle de développement, de leurs priorités, redéfinissant les contours de la démocratie populaire où les participants ne délèguent plus leur souveraineté à des représentants mais agissent en tant que sujet collectif.

L’approfondissement de ce modèle va vite, très vite. Pour ne rien perdre de l’interview qui suit, nous conseillons la lecture d’une précédente interview qui retrace la genèse et le fonctionnement des Communes et des Conseils communaux.

Le 21 avril 2024, une consultation nationale avait lieu au Venezuela pour que les conseils communaux déterminent les projets prioritaires sur leur territoire afin que le gouvernement central leur transfère directement les fonds nécessaires à leur réalisation. Le modèle vénézuélien est sui generis, directement issu de la culture et de l’histoire du peuple bolivarien. En cela, il n’est pas calcable pour un autre pays. Néanmoins, il est nécessaire pour chacun de l’étudier afin de réfléchir collectivement aux tares de nos démocraties libérales en ces temps de raidissement.

Il ne fait aucun doute que si cette effervescence populaire démocratique au Venezuela est un mauvais exemple pour ceux qui prétendent maintenir les peuples sous le joug des oligarchies. C’est pourquoi il est important de s’y intéresser et de divulguer les avancées, les errances, et l’audace de ce nouveau modèle de démocratie offerte par un Peuple en résistance contre l’impérialisme étatsunien et son caduque modèle de société.

Pour cela, je suis allé discuter avec Guy Vernáez, ministre des communes du Venezuela. S’il vient à peine d’être nommé à ce poste (février 2024), cet universitaire n’est en rien étranger au système de démocratie populaire à la vénézuélienne. Durant 10 ans, il a été le secrétaire exécutif du Conseil Fédéral de Gouvernement, une institution chargée du développement des territoires. Il y a quelques années, nous nous étions déjà rencontrés alors qu’il occupait ces fonctions, afin qu’il m’explique le système de financement et de suivi informatique des projets communaux. L’explication qui était censé être courte s’était étendue en raison de la fougue et du verbe de Guy, peu avare de temps ni de mots pour explorer les méandres de la démocratie participative vénézuélienne. C’est donc comme ministre que je le retrouve désormais pour l’écouter me faire un point sur les nouvelles étapes de la construction d’une autre forme de démocratie. La passion est toujours au rendez-vous. Et ça reste fascinant.

Comment le modèle de démocratie participative que la révolution bolivarienne construit depuis plus de deux décennies coexiste-t-il avec l’héritage du modèle de démocratie représentative libérale ?

Le système de démocratie représentative au niveau mondial est si fort qu’il nous est même arrivé que des porte-paroles et des dirigeants d’organisations populaires finissent par concentrer tellement de pouvoir ou par être tellement visualisés en tant qu’individus, qu’ils terminent par devenir maires, et les expériences que nous avons eues à cet égard n’ont pas été positives. Pourquoi ? Parce qu’ils croient qu’à travers la représentation, ils vont pouvoir renforcer l’exercice collectif des communautés, et ce n’est pas le cas. et je le dis avec raison parce que j’ai passé 10 ans dans le domaine de la relation entre les gouverneurs, les maires et les conseils communaux.

Lorsque vous parlez à ceux qui étaient avant des dirigeants communaux, des communards, ils commencent à croire que la structure de l’État peut aider la commune, ce qui n’est pas le cas.

Nous devons comprendre et être capables de faire la différence entre la démocratie représentative et la démocratie participative, même si elles ne s’opposent pas, ce n’est pas que celle-ci veuille supplanter celle-là, non, il y a un parallélisme et une logique différente. Dans la dynamique participative, la voix collective est essentielle et il n’y a donc pas de représentant.

Et parfois, l’État s’est trompé dans sa pratique. Lorsque des leaders très représentatifs ont émergé, nous leur avons donné du pouvoir en tant qu’État et nous leur avons dit « nous allons parler aux communes, alors amenez telle ou telle représentant », mais cette personne n’était représentative que dans la mesure où l’État la validait en tant qu’acteur individuel, ce qui la sépare de la logique communale.

Comment essayer de corriger cela ? En cessant de promouvoir un représentant et en ayant cinq porte-paroles comme outil de construction, de communication collective. Parce que ce qui fait la différence dans l’exercice participatif, c’est l’assemblée, et l’assemblée est ce qui définit la forme de participation à l’exercice démocratique.

Ce que je veux dire par là, c’est que lorsque vous commencez à interagir, vous devez interagir directement avec la base, vous ne pouvez pas générer d’intermédiation. Même l’État en tant qu’institution, en l’occurrence le ministère des communes, s’est développé pendant de nombreuses années de manière tellement bureaucratique que nous avions un interlocuteur pour chaque base populaire. Il arrivait donc que l’on prononce un discours dans une base populaire, que l’on débatte dans une assemblée et que, au final, un fonctionnaire finisse par imposer son interprétation à la structure collective.

C’est pourquoi je dis que la question de la communication dans l’exercice participatif est fondamentale. Si je dois communiquer avec une base, il ne peut pas y avoir d’intermédiaire dans ce processus.

Un maire est un intermédiaire de la démocratie, un gouverneur est un intermédiaire de la démocratie, parce que les mécanismes de communication étaient faibles à l’époque où nous n’avions que la démocratie libérale au Venezuela. Aujourd’hui nous avons des structures numériques, des outils qui ont rendu de plus en plus facile l’accès aux assemblées de base. L’expérience du budget participatif municipal, comme l’expérience de Porto Alegre, qui a été adoptée par plusieurs pays, est déjà dépassée, parce qu’en fin de compte, le maire finit par avoir un pouvoir discrétionnaire en tant qu’intermédiaire. En tant qu’organe supérieur, il peux déléguer ou décider que de ce que la communauté peut exposer comme problème et c’est lui qui décide comment il peut l’aider.

Ce n’est pas notre modèle au Venezuela.

Combien de personnes sont concernés par le modèle de démocratie participative au Venezuela ?

L’ancien ministre des communes, le camarade Jorge Arreaza, a lancé un processus de rénovation des conseils communaux afin de leur redonner de la force.

Dans ce renouvellement, 40 porte-paroles pour chaque Conseil Communal ont été élus par leur communauté de voisinage. 31000 conseils communaux ont désigné de nouveaux responsables. Sur ces 31 000 conseils communaux, nous avons 40 porte-paroles, soit 1 300 000 personnes, élus par environ 4 millions de personnes qui ont voté pour eux.

Et dans les communes ? Que se passe-t-il avec les communes ?

La commune doit être une sorte de fédération de conseils communaux et d’autres organisations, où ceux qui sont les porte-parole à la base devraient être les porte-parole de la commune et ne pas créer une structure rigide où une seule personne est celle qui décide. Pourquoi ? Pour éviter que les Communes ne commencent à se constituer comme une mairie parallèle, parce qu’ils veulent imiter le modèle représentatif.

Et ils peuvent même avoir plus de pouvoir territorial. Donc, cette dynamique a été et est en train d’être revue en permanence pour que la commune soit réellement le lieu de rencontre des porte-paroles pour prendre des décisions. La dernière consultation pour approuver le financement des projets, même s’il y a des communes très consolidées et d’autres en formation, a permis d’intégrer tous les conseils communaux et de les laisser décider, en consolidant le pouvoir communal et en définissant un espace d’articulation entre eux.

Pour vous donner une idée de l’ampleur de cette consultation, dans l’État de Zulia, le nombre de votants lors de la consultation communal a été supérieur à celui de l’élection du gouverneur. Il en a été de même dans l’État de Miranda, où il y a eu plus de participants que pour l’élection où le gouverneur Héctor Rodríguez l’a emporté.

Qu’est-il advenu des villes communales et comment ce projet a-t-il progressé ?

Le président Maduro avait ouvert la voie à la création de ces structures. Cependant, quand on les évalue aujourd’hui, malgré quelques initiatives positives, elles s’apparentent davantage à des logiques municipales, c’est-à-dire à une sorte de petite mairie, ce qui n’a pas de sens pour notre démocratie participative. Le président Maduro n’a donc pas accordé plus d’importance à ces initiatives, parce qu’elles ne vont pas dans le sens de l’organisation, elles ne vont pas dans le sens de l’autonomisation, mais plutôt dans le sens d’une tentative d’assimilation à la logique représentative de l’État. En fait, c’était plutôt un ballon d’essai.

C’est aussi l’une des caractéristiques du modèle participatif qui est en train de se mettre en place au Venezuela. Si vous voyez qu’il manque quelque chose, vous le changez, l’approfondissez, revenez en arrière ou même l’abandonnez s’il ne va pas dans la direction souhaitée. C’est un processus de construction créative permanente, à tâtons, pas à pas. Comment le ministère est-il structuré pour pouvoir répondre aux conseils communaux avec les limites que vous avez vous-mêmes fixées ? Quel est le rôle de l’institution dans ce modèle participatif ?

Comme je l’ai dit, il y a toujours eu un processus d’évolution. Je ne pense pas qu’il y ait eu une mauvaise gestion au sein du ministère des Communes. Nous avons fait des essais, nous avons affiné ce qui marchait bien, nous sommes revenus sur d’autres choses.

Au début, et c’est lié à la possibilité de s’occuper des dynamiques locales, le ministère a dû beaucoup grandir parce que lorsque les dynamiques locales étaient dans les assemblées, il fallait avoir un dialogue, être capable de rapporter de l’information à partir de ces assemblées. Dans un premier temps, le ministère s’est donc beaucoup développé. C’est un ministère qui compte de nombreux fonctionnaires.

Je pense, et c’est une discussion que nous avons en interne, que nous devons comprendre que en tant que ministère, nous ne faisons pas partie du pouvoir populaire. Nous ne sommes pas le pouvoir du peuple, nous sommes une structure de la bureaucratie d’État, et d’un État bourgeois encore, un État qui a toutes les limites et les faiblesses de n’importe quel État dans le monde.

Alors, comment mettre en œuvre ou définir des politiques qui apportent la possibilité d’émancipation pour ces organisations ? C’est un processus, il n’y a pas de recette, il n’y a pas de voie unique.

Ces dernières années, nous avons déjà commencé à établir des circuits économiques dans le cadre d’agrégations de valeurs entre des organisations qui ont des processus de production qui les relient entre elles : production agricole, production industrielle, etc. Nous avons essayé de renforcer ces liens. Je crois qu’il est nécessaire que l’État les soutienne parce que, par exemple, dans le secteur agricole, pas seulement au Venezuela d’ailleurs, l’agriculture reçoit de nombreuses subventions.

En ce sens, même si nous comprenons que notre responsabilité en tant qu’État est de soutenir, nous ne devons pas générer de dépendance, car dans la mesure où nous générons de la dépendance, nous ne générons pas seulement de la dépendance en termes de bureaucratie, mais aussi en termes individuels, où des relations commencent à se développer qui ne sont pas saines pour les organisations.

Ces circuits économiques communaux sont soutenus par l’État car sinon ils seraient dévorés par les grands groupes du secteur privé.

Cette année commence un processus populaire de semence sur plus de 30 000 hectares, avec des variétés nationales pour la plantation de maïs, des engrais biologiques, produits au Venezuela, par de la recherche vénézuélienne.

Ces 30 000 hectares ne sont peut-être pas significatifs dans le cadre du système privé. Mais il s’agit de 30 000 hectares que la communauté prend en charge directement dans ce que nous appelons des espaces de production agricole, qui ont une biodiversité particulière. Lorsque le secteur privé se rapproche des communes et leur dit qu’il voudrait telle ou telle semence bio. À ce moment-là, on peut dire que les communes sont en train de s’autonomiser.

Comment les Conseils communaux peuvent-ils avancer vers l’autonomie financière ?

Il y a un autre niveau politique : comment faire en sorte que la communauté elle-même puisse mettre en place des mécanismes d’octroi de crédit, bien que le mot crédit soit associé à la banque et, par conséquent, à toute une logique propre.

En d’autres termes, comment faire en sorte que les communautés disposent de leurs propres ressources pour soutenir les petites initiatives qui émergent en son sein ?

Sans pour autant copier le système bancaire, parce que le système bancaire est très nocif. Un système coopératif, par exemple, ou mieux encore tenus par des entreprises de production sociale, qui ont une dynamique différente.

La coopérative n’est pas nécessairement territoriale. La coopérative peut avoir des associés dans différentes parties du pays, elle répond à une logique collective mais privée. Mais dans le cas des entreprises de production sociale, elles sont territoriales, elles s’insèrent dans le territoire et la communauté.

Il en va de même pour les unités de production familiale, mais dans le cas de financement, elles devraient être gérées par le conseil communal lui-même. Il ne doit pas s’agir d’un exercice que nous imposons ou qu’ils doivent attendre que nous le visualisions d’abord. Une entreprise de production sociale doit pouvoir générer un excédent, et l’utiliser pour faire un crédit – ou quel que soit le nom qu’elle décide de lui donner au sein de la communauté – à une autre entreprise de production sociale.

Il faut alors voir ce que l’on construit, et comment on le construit. Nous avons l’expérience de plus de 11 000 projets qui ont été réalisés à travers des financements de l’État, directement attribué à l’organisation populaire qui s’occupe de sa réalisation. En tenant compte de cela, je suis sûr que si nous fournissons des ressources aux conseils communaux pour qu’ils puissent faire leurs propres prêts avec un certain niveau de formation, cela fonctionnera.

Cela fait maintenant dix ans que vous accompagnez ce processus démocratique. Comment voyez-vous l’évolution, qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans, où en sommes-nous et où allons-nous ?

Le Conseil fédéral du gouvernement, dont je suis secrétaire depuis 10 ans, a pour mission constitutionnelle de réduire les déséquilibres territoriaux. C’est-à-dire que les ressources qui y sont distribuées sont destinées à l’investissement populaire ou l’investissement étatique.

Un tiers des ressources fiscales non pétrolières est transféré aux régions, un autre tiers aux mairies et enfin un tiers aux conseils communaux. En d’autres termes, selon la loi, plus d’un tiers des ressources est distribué aux organisations populaires.

Il y a 24 régions, 335 mairies et plus de 25 000 conseils communaux qui ont enregistré des projets pour un total de 65 000 projets. Et nous en avons déjà approuvé et financé 11 000.

À l’heure actuelle, après 10 ans, c’est un fait réel et concret que les conseils communaux sont meilleurs, plus efficaces, plus responsables, qu’ils sont beaucoup plus efficients dans l’exécution de projets avec des ressources que ce qui est parfois fait par les mairies et les structures qui doivent passer des contrats et faire des appels d’offres, alors que dans les conseils communaux le travail est fait directement par membres des organisations populaires.

Si vous me demandez combien de cas de corruption nous avons eu jusqu’à maintenant dans les conseils communaux, les quelques cas que nous avons eus peuvent se compter sur les doigts d’une main, sur des milliers de projets soutenus.

Il me semble que si nous parlons de pouvoir et de cette structure qui gère plus d’un tiers des ressources de la nation pour l’investissement et qui est gérée par la communauté en assemblée, ne pas les reconnaître est injuste parce que cela ne ferait que valider le mécanisme de la démocratie représentative libérale, et nous ne comprendrions pas l’importance de ce nouveau modèle de participation populaire, un nouveau modèle de construction de la démocratie, un modèle qui transcende toutes les vieilles structures. Nous devons donner de la force à la construction de ce processus démocratique participatif.

Propos recueillis para Romain MIGUS

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