Je comprends que la réflexion soit venue à l’auteur, mais c’est mon droit (de taouté mis sur le banc des accusés sans avoir rien demandé) de me défendre et de dire que sa réflexion méritait un peu plus qu’il aille au-delà des préjugés qu’il a sur un sujet qui lui est étranger (ce n’est pas parce qu’on a quelques amis tatoués qu’on sait tout de leurs motivations et que celles-ci soient même représentatives).
Au-delà, ce qui me dérange, c’est qu’à travers l’emploi d’un lexique dénigrant (marquage, étiquetage marchand, superficialité, mensonge, court-termisme, pulsion égo-centrique...) sur un phénomène de classe, l’auteur instille la division plutôt que l’union. Je n’ai jamais aimé ces textes où l’on juge son prochain sur ses habitudes ou ses choix personnels, surtout lorsque ceux-ci n’ont strictement aucun effet sur les miens.
C’est précisément le cas du tatouage : c’est un choix intime, une voie d’expression personnelle, une liberté d’agir sur soi devenue si rare aujourd’hui, et oui, je le répète : un rejet des normes bourgeoises. Évidemment, je ne nie pas que cette forme de rejet se soit démocratisée au sein de la jeunesse malgré son coût, mais contrairement à ce qu’affirme une intervenante ci-dessus, le tatouage est majoritairement une pratique populaire : selon ma propre expérience, on trouve beaucoup plus de tatoués dans la classe ouvrière que chez les enseignants du secondaire et du supérieur, et le lien donné par cette intervenante le confirme, contrairement à ce qu’elle semble croire. Les sondages les plus récents datent de 2018 : on attendra les prochains pour connaître l’évolution d’une tendance. Rien ne dit qu’elle continuera à augmenter de manière linéaire : depuis 2018, il y a eu le covid et l’inflation galopante.
Non content d’ignorer le caractère artistique et créatif du tatouage qui fait de la peau, non pas comme le conjecture Dupuis-Valder, un panneau publicitaire (généralement, on ne se fait pas tatouer un logo marchand sur le corps) mais le support d’une oeuvre d’art (tout à fait subjective), il résume à la hache les millions de motivations individuelles qui conduisent les gens à se rendre chez un tatoueur. Le fait, par exemple, de réduire la popularisation du tatouage à l’influence de jeunes sportifs (eux-mêmes issus des milieux populaires, ne l’oublions pas), ce qui est faux (la jeunesse des quartiers d’où proviennent souvent les sportifs les plus populaires n’est pas la population la plus tatouée), permet à l’auteur de faire des tatoués un troupeau de moutons décérébrés. Lui se voit en berger, probablement.
Au final, à part moi qui dérange effectivement par ma grossièreté et mes doigts sales, ce texte attire des commentaires qui, à l’instar du texte, montrent qu’on n’y connait que pouic, qu’on juge le phénomène au pifomètre, parfois avec mépris et qu’on ne goûte pas la contradiction sans laquelle ce serait un débat certes, mais à sens unique, et qui me rappelle les interventions de Statler et Waldorf dans le Muppet Show.
Oui, c’est un texte de division, pas un texte de lutte.
Je précise quand même que je ne considère pas le tatouage comme l’expression d’un anti-conformisme ultra ou comme un pinacle du rejet de la norme. Je ne juge pas les gens au fait qu’ils aient ou pas un dessin sur la peau. Je ne nie pas non plus le caractère superficiel de cet acte, mais je considère qu’il y a des choses plus sérieuses qui témoignent du « malaise social », que l’auteur se garde bien de définir d’ailleurs.