Le fondateur d’un site Web basé aux États-Unis qui a publié les mêmes documents non expurgés que ceux pour lesquels Julian Assange, l’éditeur de WikiLeaks, a été inculpé par la suite, a invité le ministère américain de la justice à faire de lui un co-accusé avec Assange.
"Cryptome a publié les câbles du département d’État décryptés et non expurgés le 1er septembre 2011 avant la publication des câbles par WikiLeaks", a écrit John Young dans un formulaire de soumission au ministère de la Justice, que Young a publié sur Twitter mardi.
"Aucun responsable américain ne m’a contacté au sujet de la publication des câbles non expurgés depuis que Cryptome les a publiés", a-t-il écrit. "Je demande respectueusement que le ministère de la Justice m’ajoute en tant que coaccusé dans la poursuite de M. Assange en vertu de la loi sur l’espionnage."
Young a fondé Cryptome, qu’il appelle une "bibliothèque publique gratuite", en 1996. C’était un précurseur de WikiLeaks dans la publication sur Internet de documents gouvernementaux bruts, classifiés et non classifiés.
Young a témoigné lors de l’audience d’extradition d’Assange à Londres en septembre 2020. Sa déclaration sous serment dit :
"J’ai publié sur Cryptome.org des câbles diplomatiques non expurgés le 1er septembre 2011 sous l’URL https://cryptome.org/z/z.7z et cette publication reste disponible à ce jour. ... Depuis ma publication sur Cryptome.org des câbles diplomatiques non expurgés, aucune autorité américaine chargée de l’application de la loi ne m’a notifié que cette publication des câbles est illégale, consiste ou contribue à un crime de quelque manière que ce soit, et n’a demandé leur retrait."
Informateurs compromis
L’une des pierres angulaires du dossier du ministère de la Justice contre Assange est qu’il a publié imprudemment des câbles du département d’État qui lui ont été divulgués par l’analyste du renseignement de l’armée Chelsea Manning, ce qui, selon les États-Unis, a mis en danger la vie d’informateurs américains nommés.
M. Young demande au ministère de la Justice pourquoi lui aussi n’a pas été poursuivi pour avoir publié ces noms avant Assange.
Lors de la cour martiale de Manning, le général de brigade Robert Carr a déclaré sous serment que les publications de WikiLeaks n’avaient fait de mal à personne. Le secrétaire à la Défense de l’époque, Robert Gates, a qualifié les fuites de " gênantes " et d’" embarrassantes ", mais a déclaré qu’elles n’avaient causé que des dommages " assez modestes " aux intérêts étrangers des États-Unis.
Reuters a rapporté en janvier 2011 :
"Des examens internes du gouvernement américain ont déterminé qu’une fuite massive de câbles diplomatiques n’a causé que des dommages limités aux intérêts américains à l’étranger, malgré les déclarations publiques de l’administration Obama affirmant le contraire.
Un membre du Congrès informé de ces examens a déclaré que l’administration s’est sentie obligée de dire publiquement que les révélations avaient gravement porté atteinte aux intérêts américains afin de soutenir les efforts juridiques visant à fermer le site WikiLeaks et à porter plainte contre les auteurs de la fuite."
Assange était en fait plus préoccupé par les rédactions que les rédacteurs en chef de ses partenaires des médias grand public qui ont travaillé avec lui à la publication des communiqués.
Mark Davis, un journaliste de la télévision australienne qui a documenté les activités d’Assange pendant le week-end à Londres avant la publication, a déclaré que pendant que les autres rédacteurs rentraient chez eux, Assange passait des nuits blanches pour expurger les noms des informateurs.
Les journalistes du Guardian et le mot de passe
En fin de compte, seule une version expurgée des câbles du département d’État a été publiée en novembre 2010 par WikiLeaks et ses partenaires traditionnels, le New York Times, The Guardian, El Pais, Le Monde et Der Speigel.
Il en est resté ainsi jusqu’à la publication d’un livre par deux journalistes du Guardian en février 2011, dans lequel le mot de passe des fichiers non expurgés apparaît mystérieusement dans le titre d’un chapitre. L’affaire est passée inaperçue, car WikiLeaks a tenté de l’étouffer, jusqu’à ce qu’une publication allemande nommée Freitag déclare en août 2011 détenir le mot de passe.
Lorsque Assange l’a appris, il a contacté le département d’État pour tenter de le prévenir de la publication imminente des noms des informateurs. Il a essuyé un refus. Cette situation est illustrée dans une scène du film Risk de Laura Poitras. [ note du traducteur : conversation complète publiée par le site Project Veritas https://www.youtube.com/watch?v=lfZQcV-frnY ]
PirateBay a d’abord publié les fichiers non expurgés, puis Cryptome l’a fait le 1er septembre 2011. C’est le lendemain qu’Assange a décidé de publier les fichiers non expurgés afin que les informateurs puissent rechercher leur nom et tenter de se mettre en sécurité. C’était avant que l’on apprenne que personne n’avait été victime d’un préjudice,
"L’idée que M. Assange a sciemment mis des vies en danger en publiant des câbles non expurgés est notoirement inexacte", a déclaré Mark Summers, avocat d’Assange, lors de l’audience d’extradition en février 2020.
Les éditeurs et rédacteurs des partenaires de WikiLeaks s’opposent à l’inculpation d’Assange en vertu de l’Espionage Act et ont écrit lundi une lettre ouverte à l’administration Biden pour demander l’abandon des poursuites.
Aujourd’hui, Young, un citoyen américain, met au défi le Département de la justice de l’inculper lui aussi en vertu de la loi américaine sur l’espionnage, pour avoir fait exactement la même chose qu’Assange, un Australien, mais plus tôt.
Joe Lauria
Traduction "un peu de rétablissement de la vérité dédié au rédacteur en chef de Le Monde" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles