L’auteure de l’article omet de dire que le premier visé était Cuba et que cette invention pure et simple a été le prétexte mis au point par Trump pour rompre dans la pratique les relations avec La Havane. Ci-dessous, un article récent et bien documenté sur le « syndrome de La Havane ».
Traduction de Jacques-François Bonaldi
Le syndrome de l’absurde
Au terme d’une investigation rigoureuse, le ministère cubain de l’Intérieur affirme qu’aucune évidence de nature criminalistique ou scientifique ne prouve que des diplomates accrédités à La Havane aient été victimes d’une action criminelle, ni que les malaises décrits par eux puissent être associés à une attaque sonique ou à la micro-onde.
Norland Rosendo
Publié le samedi 2 octobre 2021
rosendo@juventudrebelde.cu
Les autorités cubaines soutiennent qu’aucune évidence criminalistique ou scientifique ne prouve une action criminelle. Auteur : Adán Iglesias. Publié : 02/10/2021 | 21h36
Barack Obama a visité La Havane en mars 2016. C’était le deuxième président des Etats-Unis en exercice à atterrir à La Havane, après Calvin Coolidge en 1928. Il a déambulé dans ses rues, dîné dans un restaurant privé, dialogué avec les dirigeants du pays et même assisté à un match de base-ball, le sport national dans les deux pays. Les ambassades avaient été rouvertes dans les deux capitales en 2015.
Des brèches étaient en train de s’ouvrir dans le mur de haine que Washington avait érigé depuis le triomphe de la Révolution cubaine. L’opinion publique de part et d’autre accueillait avec satisfaction ce début d’entente fondé sur le respect et la coexistence pacifique.
Ceux qui se retranchaient derrière la politique d’hostilité contre Cuba virent dans le candidat Donald Trump l’homme idéal pour stopper ce rapprochement. Le magnat n’avait pas caché en effet durant sa campagne électorale que, s’il était élu, il passerait la marche arrière quant aux relations avec l’île voisine.
Trump s’installa dans le bureau ovale le 20 janvier 2017, et même pas un mois après, le 17 février, le coup de tonnerre éclata : on apprenait que des diplomates étasuniens en poste dans la capitale cubaine avaient été victimes d’une « attaque sonique ». « Ils se disaient harcelés, ils se sentaient attaqués », rappelle le lieutenant-colonel Roberto Hernández Caballero, de la direction générale d’Investigation criminelle du ministère cubain de l’Intérieur (MININT), nommé d’entrée chef du groupe chargé d’éclaircir les faits.
Selon la note présentée par les Etats-Unis, ces diplomates disaient sentir différents symptômes, entre autres nausées, perte de l’équilibre, douleurs faciales et abdominales, maux de tête, troubles de la vue, problèmes de mémoire, bourdonnements. Ils décrivaient les bruits comme semblables à ceux que produisent des insectes, à de très fortes frictions entre des métaux et, dans un cas, aux vibrations d’une porte.
« La direction de l’État cubain a donc demandé d’ouvrir une enquête exhaustive en y mettant toutes les ressources scientifiques requises. Le MININT a nommé un groupe de travail permanent et ouvert un dossier d’enquête (le 10/2017) pour le délit suivant : Actions contre des chefs et représentants diplomatiques d’États étrangers », explique Hernández Caballero dans un entretien exclusif avec Juventud Rebelde.
« La Révolution cubaine a suivi une conduite invariable : garantir la sécurité des diplomates, au point que, même aux pires moments de tension entre Washington et La Havane, ni l’ambassade des Etats-Unis ni ses diplomates n’ont jamais été attaqués.
« Notre investigation a été absolument rigoureuse. Les autorités cubaines lui ont octroyé la plus grande priorité, la dotant des ressources et des personnels spécialisés pour sonder le problème jusqu’au fond. Le dossier est formellement clos, bien que les mesures adoptées par les autorités dans le cadre de l’investigation restent actives. »
À quelles conclusions êtes-vous arrivés ?
« Aucune évidence de nature criminalistique ou scientifique ne prouve que des diplomates accrédités à La Havane aient été victimes d’une action criminelle, ni que les malaises décrits par eux puissent être associés à une attaque sonique ou à la micro-onde, ou à une autre action délibérée.
« Rien non plus ne désigne un auteur ou un suspect, ni aucune personne ayant les motifs, les intentions ou les moyens pour exécuter ce genre d’actions.
« De leur côté, les autorités policières et scientifiques des Etats-Unis et du Canada, qui ont aussi mené des enquêtes sur ces cas, n’ont découvert aucune explication concluante sur les symptômes décrits par leurs fonctionnaires. Le comité d’experts de l’Académie des sciences de Cuba, constitué lui aussi pour enquêter sur cette question, estime que ces symptômes peuvent découler de multiples causes, dont des maladies préexistantes, professionnelles ou spontanées.
Revenons à 2017. Dès le départ, ça ressemblait à une histoire mal racontée. Qu’en pensez-vous ?
« Les premières dénonciations publiques remontent à février 2017. Or, curieusement, les fonctionnaires étasuniens étaient censément victimes de ces attaques depuis novembre ou décembre de l’année précédente.
« Par ailleurs, bien que les autorités cubaines aient proposé d’emblée une investigation mixte dans un cadre de coopération, ce n’est que quatre mois après, en juin 2017, qu’une délégation du Federal Bureau of Investigation (FBI), la police étasunienne, est arrivée à La Havane pour y mener des enquêtes.
« Nous, de notre côté, on ne nous a pas permis d’interviewer directement les fonctionnaires victimes d’incidents anormaux, ni de nous rendre aux endroits où ceux-ci avaient prétendument eu lieu. Par ailleurs, les rapports des autorités étasuniennes concernaient des faits survenus des jours, des semaines, voire des mois avant, et l’information qu’on nous fournissait était imprécise.
« Nous avons dû mener notre enquête à partir de présupposés, d’informations partielles remises indirectement par la partie étasunienne, sans pouvoir les recouper par des entretiens directs avec les prétendus victimes et témoins.
« Ainsi donc, nos criminalistes, nos experts et nos techniciens ont dû enquêter sans disposer d’une information de base fiable et vérifiable.
Existe-t-il d’autres exemples permettant de démonter cette prétendue agression ?
« Le chef du département Sécurité diplomatique du MININT a, quelques jours après la première dénonciation, rencontré le fonctionnaire étasunien chargé de la sécurité de l’ambassade et son adjoint, les deux parties maintenant des échanges périodiques sur ce point, et aucun des deux n’était au courant de rien ni n’avait la moindre idée de ces rapports. L’étonnement et l’incrédulité se peignaient sur leurs visages…
« Comment les responsables de la sécurité des diplomates étasuniens ignoraient-ils que des fonctionnaires de leur propre ambassade faisaient état d’incidents anormaux ! Ne devaient-ils pas être les premiers au courant ? D’autant que l’un d’eux apparaît ensuite sur la liste des victimes !
« Un autre diplomate a dit avoir été victime d’un incident chez lui. Mais ni sa famille ni ses employés n’ont souffert de rien. Il a déclaré, entre autres symptômes, souffrir de pertes de l’équilibre et d’étourdissements. N’empêche que, ces jours-là, on l’avait vu piloter une grosse moto à grande vitesse dans les rues de La Havane…
« Quand une fonctionnaire a dénoncé que le bruit provenait d’une camionnette qui s’était cachée ensuite dans un édifice proche, nous sommes arrivés aussitôt sur les lieux : le véhicule en question était celui d’un voisin qui le garait toujours au même endroit pour profiter de l’ombre d’un amandier… »
En plus des lieux de résidences, il y a eu des rapports à partir d’hôtels.
« Oui, depuis les hôtels Capri et Nacional, qui sont sans doute les plus fréquentés et populaires de la ville et qui, à cette époque-là, étaient bondés.
« Nous avons enquêté à fond, nous avons fait des mesures de concert avec une équipe du FBI, nous avons cherché des traces, et nous n’avons rien trouvé. Nous avons identifié les personnes logées alors dans des chambres voisines. Aucun client, aucun employé n’a senti des bruits ou des symptômes similaires. Nous n’avons enregistré aucune activité anormale.
« Notre enquête dans l’hôtel Nacional a prouvé que les seuls bruits « anormaux » ces jours-là étaient ceux de la musique du carnaval qui se déroulait alors sur le front de mer.
« Nous n’avons découvert aucune preuve que les personnes aient été exposées à des sources d’énergie, ni dans les hôtels, ni sur les lieux de résidence ni chez les voisins. »
Avez-vous d’autres preuves qui mettent en doute la théorie d’une attaque ?
« Oui. C’est au moment de ces prétendues attaques que les diplomates étasuniens ont accueilli le plus d’amis et de proches. Si vous êtes attaqués, est-ce logique que vous invitiez les êtres qui vous sont chers sur ces mêmes lieux ? Et puis, ils allaient aussi à la plage, à la piscine… »
D’autres diplomates ont-ils dénoncé des faits semblables ?
« Quatre mois après, des diplomates canadiens ont signalé des problèmes de santé. La partie cubaine a fait de nombreuses investigations, a accru les échanges opérationnels avec la partie canadienne, et des chercheurs et techniciens de la Police montée royale de ce pays sont arrivés ici dans ce but.
« Nos scientifiques ont aussi eu des discussions de travail avec le personnel médical du ministère canadien des Affaires étrangères et avec une équipe du Brain Repair Center de l’université de Dalhousie que le gouvernement canadien avait chargé d’enquêter sur les problèmes de santé signalés par ses diplomates.
« Je me rappelle le cas d’une fonctionnaire de ce pays qui a informé d’un incident ; à la consultation, le médecin a détecté un rétrécissement de l’oreille, dont on pouvait associer les symptômes à une affection appelée barotraumatisme, peut-être due au fait qu’elle pratiquait la plongée sous-marine.
« Cette même fonctionnaire a signalé un nouvel incident juste au moment où l’équipe de la Police montée royale était en train d’enquêter à La Havane. Nous sommes allés ensemble sur place, les deux équipes, et il s’est avéré que le bruit en question était celui de la climatisation…
« Une autre fonctionnaire est rentrée chez elle à deux heures, après une fête, et elle a dit avoir entendu du bruit. Elle a demandé au gardien s’il avait entendu quelque chose. Bien que celui-ci ait répondu que non, elle a informé le chef de protection qui lui a demandé d’enregistrer le son ambiant sur son portable. Nous l’avons analysé ensuite, et nous n’avons entendu que des bruits nocturnes habituels de La Havane.
« À partir d’un protocole de travail conjoint, les Canadiens ont installé en 2018 des détecteurs pour enregistrer des événements divers. Nous attendons toujours le premier rapport concernant un fait nuisible à la santé ! »
Malgré la gravité des accusations portées contre Cuba et cette volonté d’impliquer notre pays, le MININT a travaillé de concert avec ses partenaires, le FBI et la Police montée royale du Canada…
« Le MININT renforçait depuis 2015 ses échanges avec les forces de l’ordre étasuniennes afin de mieux coopérer à la lutte contre la criminalité transnationale, ce qui était bénéfique à la sécurité nationale des deux pays. Une fois Trump à la Maison-Blanche, et une fois commencés les prétendus incidents soniques, les contacts se sont limités à l’enquête sur ces faits,
« Compte tenu des mécanismes de coopération existants, nous les avons autorisées à participer aux investigations, elles sont entrées dans les chambres d’hôtel, elles ont apporté des équipements spéciaux pour faire leur enquête. Lors de la dernière information concernant un de ces faits, en juin 2018, les agents du FBI étaient à La Havane, nous nous sommes rendus ensemble sur les lieux et nous avons constaté que le bruit provenait du compresseur d’un chauffe-eau.
« Nous avons partagé systématiquement avec le partenaire étasunien les résultats partiels de l’investigation.
« Le FBI nous a remis en août 2017 quatorze échantillons d’enregistrement de bruits faits sur les lieux où les incidents étaient censément arrivés. Nos experts ont constaté qu’ils avaient été manipulés, que des données nécessaires à la précision du temps et de l’espace avaient été supprimées, et que les seuls sons audibles était le clackson d’une voiture (une vieille américaine), des oiseaux, des grillons, mais rien qui puisse nuire à la santé.
« Le FBI nous a informés par écrit le 4 juin 2018 n’avoir découvert aucune preuve selon laquelle des infrasons, des ultrasons ou des sons audibles auraient été utilisés pour agresser des fonctionnaires de l’ambassade des USA à La Havane, que la cause des symptômes pouvait être différente, mais qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une attaque de cette nature.
« Nous avons appris ensuite par la presse étasunienne que l’Unité d’analyse du comportement, rattachée au FBI avait, dans le cadre de l’investigations sur les incidents à Cuba, procédé à une évaluation psychologique des prétendues victimes et conclu qu’elles souffraient d’une espèce de maladie de type psychogène, ce qu’elle a fait savoir au département d’État qui a toutefois gardé un silence absolu sur ce point. »
Oui, mais quand ils n’ont plus pu soutenir le prétexte d’une attaque acoustique, ils ont parlé d’une agression à la micro-onde…
« Un autre mensonge facile à démentir. Cette théorie provient de scientifiques étasuniens qui se sont pourtant plaints de n’avoir pas eu accès à toute l’information nécessaire pour étudier le cas. Autrement dit, ces gens n’ont même pas fourni des informations à leurs propres experts !
« Quelle sensation élémentaire éprouve-t-on quand on s’expose à des micro-ondes ? De la chaleur, on sent la peau qui brûle. Or, aucune des personnes prétendument attaquées n’a parlé de brûlure ou de quelque chose de semblable.
« Par ailleurs, il se passe pareil qu’avec les armes soniques : ce sont de gros appareils, visibles. Or, les investigations n’en ont découvert à aucun cas la moindre trace, ni rien qui ait été associé à l’emploi de ces technologies qui sont d’ailleurs interdites à l’importation à Cuba.
« Pour le confirmer, on a vérifié auprès de la douane : personne n’a tenté de faire entrer ce genre d’arme, ni même aucun de ses composants, sur le territoire national.
« L’équipe d’investigation du ministère de l’Intérieur a procédé à un levé sur environ deux cents mètres autour des villas occupées par les fonctionnaires à Siboney, un quartier résidentiel, sans usines, sans surpopulation, très tranquille, et elle n’a découvert aucune trace de pollution environnementale, sonore ou autre.
« Plus de quatre ans après, il n’y a toujours aucune preuve d’agression contre des diplomates à La Havane : il suffit des preuves révélées, qui ne sont pas les seules disponibles, pour le confirmer. Toujours est-il que les mesures adoptées par Trump à la suite de ce prétexte sont encore en vigueur !
« L’administration étasunienne a nommé ces dernières années plusieurs commissions d’investigation au sein de différentes agences, et aucune n’a abouti à une conclusion différente de celle des chercheurs et scientifiques cubains. L’ambassadrice Pamela Spratlen, la principale fonctionnaire du département d’État désignée pour superviser la réponse de celui-ci aux rapports concernant les problèmes de santé, vient de démissionner après avoir fait l’objet de critiques pour avoir insinué à une réunion qu’elle était d’accord avec la conclusion du FBI, qui attribue l’origine de certains cas à des facteurs psychogènes.
« Les autorités cubaines ne nient pas que certaines personnes aient pu être malades ou atteintes de symptômes similaires à ceux qui ont été décrits, et elles ont toujours proposé de mener des recherches conjointes de nature scientifique et médicale, mais elles jugent infondé et irresponsable que des fonctionnaires et des hommes politiques étasuniens ne cessent de répéter publiquement que des diplomates font l’objet d’une agression. Aucune preuve ne nourrit cette insinuation. »
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Après le 17 février 2017, les murs se sont élevés plus haut que jamais, l’agressivité contre Cuba s’est accrue et le blocus économique, commercial et financier a été renforcé au maximum, ce qui pousse à penser que tout ceci a été purement et simplement une opération politique visant à justifier la liquidation de la politique de rapprochement et de dialogue promue par Barack Obama.
Les autorités cuabaines ont accordé la priorité maximale à l’investigation, assure Hernández Caballero. Photo : Abel Rojas Barallobre.