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Après le Tibet, place au Xinjiang pour discréditer la Chine

Maintenant que le soufflé des immolations de fanatiques tibétains est retombé et que l’étoile du 14e dalaï-lama a perdu de son éclat, voilà qu’apparaît un nouvel abcès de fixation sur les flancs du géant chinois : le Xinjiang, arrivé en tête du "hit parade" du "China bashing" devant le Tibet, Taïwan, Hong Kong et même le coronavirus.

Des légendes trompeuses

On se souvient de la photo qui a fait le tour du monde, au printemps 2008, de soldats chinois déguisés en moines tibétains pour provoquer des émeutes sanglantes. En fait, comme l’a révélé Michel Collon dès le 3 avril sur le site Investig’Action, la photo n’avait rien à voir avec les émeutes sanglantes du 14 mars 2008 et leur répression : elle avait déjà été publiée en ... 2003 et montrait des soldats ayant servi de figurants dans un film, déguisés, effectivement, en moines bouddhistes, ces derniers, les vrais, refusant d’apparaître dans des films. Parmi tous les « grands » journaux, il n’y eut que La Croix, le 30 avril, pour révéler la mystification. Il faudra attendre huit ans pour que Pierre Haski himself en fasse de même dans L’Obs du 2 nov. 2016...

Faudra-t-il attendre 2028 pour que la presse officielle consente à reconnaître que nombre de photos qui envahissent les médias à propos des « atrocités » commises par les Chinois au Xinjiang sont aussi des montages ? Exemples : un Ouïghour nu frappé au sol par un militaire chinois est en réalité un truand tabassé en 2017 par un soldat indonésien ; un bébé ouïghour tenu en laisse et mangeant dans une gamelle, ça s’est passé aux Philippines en 2015 ; des femmes ouïghoures torturées sont en fait des actrices filmées dans une mise en scène organisée par la secte Falun Gong en 2004 à Chicago...(1) L’application InVID (In Video Veritas) va rendre de plus en plus suspecte l’attribution de fausses légendes à des photos. Restent les témoignages.

Des témoignages douteux

Sans parler des faux témoignages comme celui de la Ouighoure Mihrigul Tursun devant le Congrès des EU (2), il y a lieu d’exercer un minimum d’esprit critique comme à propos de cette histoire d’une femme ouïgour stérilisée en Chine et devenue mère en Europe ! (3)

À supposer même que les témoignages des Ouïghour(e)s arrivés en Europe ou en Amérique soient tous sincères, il y aurait encore lieu de les relativiser, en les comparant à ceux des exilés tibétains d’il y a quelque soixante ans. En 1959, le dalaï-lama avait entraîné dans sa fuite des milliers de Tibétains qui furent parqués dans des camps de fortune au nord de l’Inde ; c’est leurs témoignages qui ont fourni la matière du rapport de la Commission internationale des Juristes de Genève condamnant les Chinois pour « leurs atrocités au Tibet ». Or, on ne le saura que plus tard, cette commission avait été fondée et était alors financée par la CIA ; il s’est avéré depuis que, dans le contexte de la guerre froide, cette commission n’a pas fait preuve de la plus grande objectivité (c’est un euphémisme), d’autant plus que ces témoignages étaient eux-mêmes sujet à caution. Il faut relire à ce propos ce qu’en a écrit Tashi Tsering qui, en tant que bras droit de Gyalo Dhondup, le frère aîné du dalaï-lama, a participé à la collecte des témoignages dans le nord de l’Inde : « Cela se révéla une tâche plus ardue que ce à quoi je m’attendais. (...) Beaucoup n’avaient même pas vu les opérations de l’armée chinoise à Lhassa. Ils n’avaient été qu’un élément de la panique générale qui s’était emparée du pays, et leurs récits portaient sur les souffrances endurées au cours du voyage à travers les montagnes, et non par la faute des Chinois. » (4)

Dans son autobiographie, Tashi Tsering rapporte les rumeurs qui avaient circulé au Tibet en 1950 à propos des Chinois : « Nous avions entendu dire que les communistes étaient des athées et des ennemis jurés des riches et des nantis. Des bruits de toutes sortes se répandaient çà et là ; certains allaient jusqu’à dire que les Chinois étaient anthropophages. » (5)

Posons-nous cette question toute simple : et si les « atrocités » commises au Xinjiang étaient aussi des rumeurs ? L’internement de 1 à 3 millions de Ouïghours ? La destruction de mosquées ? L’interdiction de parler ouïghour ? L’obligation faite aux musulmans de manger du porc ? Le prélèvement d’organes de prisonniers pour alimenter le marché hallal ? Les injections forcées de substances médicamenteuses ? La stérilisation des femmes ?

À force d’être répétées par des ONG, par des responsables politiques et par des journalistes, ces accusations finissent par devenir des évidences. Et gare à ceux qui ont l’audace de les mettre en doute ! Le 21 août 2020, un membre d’une prestigieuse institution parisienne m’a publiquement accusé de « délires négationnistes », alors que j’avais précisément dénoncé les « silences » de Raphaël Glucksmann sur le terrorisme islamiste ouïghour. Dix ans plus tôt, c’est à peine si je n’étais pas traité de « complotiste » par le rédacteur d’un mensuel de haute tenue, pour avoir simplement rappelé le rôle de la CIA dans la fuite du dalaï-lama.

Tibet et Xinjiang : les EU tirent les ficelles

Depuis que les archives britanniques et états-uniennes ont été « déclassifiées », plus personne ne peut aujourd’hui contester le rôle de la CIA au Tibet : parachutage d’armes, de munitions et de provisions au guerriers du Kham ; entraînement de commandos tibétains antichinois au Colorado, soutien à la « Special Frontier Force » fondée en 1962 à la suite d’un accord entre la CIA et les services secrets indiens pour faire le coup de force au Tibet (6). Le dalaï-lama a lui-même reconnu dans son autobiographie, Au loin la liberté, que ses frères étaient entrés en contact avec la CIA.

Combien d’années faudra-t-il attendre avant que l’opinion occidentale soit informée du soutien apporté aux séparatistes ouïghours par les services secrets états-uniens, que ce soit la CIA ou son clone plus « policé » : le NED (National Endowment for Democracy), officiellement financé par le Congrès, très actif dans les « révolutions de couleur » ? Un peu de courage et de curiosité, s’il vous plaît, Mesdames et Messieurs les journalistes de la « presse libre » !

L’histoire regorge de fake news auxquelles nous avons été invités à croire : la trahison de Dreyfus, les charniers de Timisoara, les pédophiles d’Outreau et ... la fiole d’ADM brandie par Colin Powell à l’ONU. Lequel des journaux ayant pignon sur rue va-t-il reconnaître que certaines « informations » concernant le Xinjiang auraient mérité d’être vérifiées ?

Pour rappel, parmi les devoirs essentiels du journaliste détaillés dans la “Charte de Munich” (1971), figure ce point : « Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ». Autre devoir de tout journalisme qui se respecte : mettre en lumière des réalités que les opinions publiques, « informées » par leurs gouvernants, ne sont pas prêtes à entendre.

Une mobilisation médiatique sans précédent

Il est des causes plus faciles à défendre que d’autres dans la presse : par exemple, le sort des bébés-phoques suscitera plus facilement la compassion des lecteurs ou de téléspectateurs que la réintroduction des loups dans nos campagnes, laquelle a eu besoin pour s’imposer d’un lobbying important des mouvements écologistes. Revenons à nos moutons (si l’on peut dire) : la cause des gentils moines bouddhistes tibétains, présents depuis longtemps dans l’imaginaire occidental, est certainement plus populaire chez nous que celle de musulmans ouïghours, dont on n’avait jamais entendu parler jusqu’il y a peu, et dont la cause a nécessité une mobilisation des médias sans précédent.

Cette mobilisation a véritablement commencé le 16 novembre 2019 par la publication dans le New York Times de documents chinois portant sur l’organisation de la lutte contre le terrorisme ouïghour et pour la stabilité du Xinjiang, notamment par la création de centres de formation professionnelle et de « déradicalisation ». Une semaine plus tard, le 24 novembre, le même New York Times offrait ses colonnes aux « révélations » du missionnaire anticommuniste Adrian Zenz présenté comme « un expert des politiques ethniques de la Chine ». Et depuis lors, on ne compte plus dans la presse occidentale, et même, hélas, dans certains cercles académiques (7), les attaques contre la Chine à propos de sa gestion de la région autonome du Xinjiang, au point que la question tibétaine semble presque passée de mode.

Dans les médias, qui ont le nez sur le guidon, le Xinjiang est passé au premier plan et le Tibet n’a plus droit qu’à quelques entrefilets. Mais, d’un point de vue historique, il s’agit là d’un singulier renversement de perspective, car c’est plutôt le séparatisme tibétain qui a servi de modèle au séparatisme ouïghour, et pas l’inverse. Comme l’a déclaré au Washington Post en 1999 Erkin Alptekin, qui a précédé la multimillionnaire Rebiya Kadeer à la tête du WUC (World Uyghur Congress), « Nous travaillons en étroite collaboration avec le dalaï-lama. Il est un très bon exemple pour nous. » (8)

Finalement, peu importe de savoir qui a servi de modèle à qui. Ce qui compte ce sont les faits sur le terrain. Que la presse occidentale se pose des questions sur la gestion par Pékin de la Région autonome du Tibet (RAT) et de la Région autonome du Xinjiang, qu’elle se demande si certaines mesures prises contre le séparatisme ne seraient pas disproportionnées et contreproductives, c’est tout à fait normal et même souhaitable, mais que l’ignorance soit entretenue par nos médias dominants sur les violentes dérives séparatistes, qu’elles soient inspirées par Bouddha ou par Allah, c’est proprement insupportable.

Quelle est la part des citoyens occidentaux qui a jamais entendu parler des raids revanchards des commandos Khampas sur le sol tibétain dans les années soixante ou sur les agressions sanglantes commises sur des Han et des Huis par des excités tibétains, moines compris, le 19 mars 2008 à Lhassa ? Semblablement, comment se fait-il que la grande presse n’ait jamais parlé des attentats commis par des islamistes ouïghours à Kashgar, Ürümqi, Aksou, Kunming, Pékin, Canton, Bangkok, provoquant la mort de plusieurs centaines de civils innocents, ni de la présence dans les rangs d’Al-Qaïda de milliers de combattants ouïghours ?

N’est-elle pas curieuse cette amnésie, voire cette amnistie internationale dont bénéficient certains mouvements du moment qu’ils s’attaquent à la Chine ?

Liens avec l’extrême droite

Cette espèce d’omerta va toutefois devenir de plus en difficile à respecter, même par les médias alignés, étant donné le nombre d’analyses qui se multiplient sur le sujet émanant d’intellectuels qui ne mettent pas leur sens critique en poche (9). Mention spéciale pour le journaliste canadien Ajit Singh, auteur d’une étude remarquable (8) qui a bien mis en lumière la face cachée du nationalisme ouïghour. On apprend ainsi les liens qui unissent le WUC avec les milieux ultra-nationalistes panturcs et néo-ottomans, persuadés de la supériorité ethnique turque sur les minorités comme les Kurdes ou les Arméniens. On apprend aussi dans cet article que Recep Tayyip Erdoğan, alors qu’il n’était encore que maire d’Istanbul, a déclaré en 1995 : « Les martyrs du Turkestan Oriental sont nos martyrs. » On apprend encore que, parmi les familiers du WUC, figurent notamment les Loups Gris, un mouvement décrit par Wikipedia comme néo-fasciste, anticommuniste, anti-grec, antikurde, anti-arménien, homophobe, antisémite et antichrétien.

Et ce sont précisément ces gentlemen que la Chambre des Représentants des États-Unis, présidée par la « démocrate » Nancy Pelosi, a tenu à honorer en adoptant en décembre 2019 The Uyghur Act, demandant à l’Administration Trump de prendre des sanctions contre la Chine.

Pourquoi les Ouïghours ?

On songe ici à la citation sans doute apocryphe attribuée à Franklin D. Roosevelt à l’égard du dictateur du Nicaragua, Anastasio Somoza : « C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute » (he’s our son of a bitch). Se non è vero, è ben trovato : les États-Unis n’ont jamais été très regardants quant au choix des personnalités susceptibles de favoriser leur hégémonie ni quant aux terrains où mener leurs guerres par procuration. Maintenant plus que jamais, alors qu’ils sont en perte de vitesse par rapport à la Chine, tous les moyens sont bons pour tenter de sauvegarder leur leadership mondial, y compris l’invocation des droits de l’homme – qu’ils sont les premiers à bafouer, étant devenus eux-mêmes un véritable État voyou. (10)

Il ne faut pas être un grand politologue pour comprendre que le sort des Ouïghours n’est pas une obsession pour les Trump, Pompeo, Bannon et compagnie, ni pour les Démocrates, ni d’ailleurs pour une Union européenne suiviste qui a défini la Chine comme son « rival systémique »... Ce qui, par contre, les empêche de dormir, c’est la formidable progression de la Chine, une progression telle que l’Empire du Milieu est devenu un leader mondial, bouleversant ainsi les confortables certitudes manichéennes héritées de la Guerre froide entre les EU et l’URSS.

Dans le programme des nouvelles routes de la soie initié par le Président Xi Jinping, le Xinjiang joue un rôle capital, bien plus que le Tibet, difficile à franchir et n’ayant de frontière internationale qu’avec le Bhoutan, le Népal et l’Inde. Le Xinjiang, lui, offre un relief plus ouvert et surtout il est frontalier du Pakistan, de l’Afghanistan, du Tadjikistan, du Kirghizistan et du Kazakhstan : c’est donc un maillon essentiel de la route de la soie dans sa progression vers l’ouest. Bloquer ce maillon, c’est bloquer la suite : c’est sans doute pour ça que le Xinjiang a remplacé le Tibet dans les obsessions états-uniennes... pour autant que la politique étrangère de Washington soit définie par d’autres considérations que les échéances électorales...

Mais ça, c’est une autre histoire.

(1) voir, entre autres, Stéphane Paulet, “ Ouïgour : que se passe-t-il au Xinjiang ? ” sur le site « Investig’Action », 24/08/2020.
(2) voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/532-la-chine-dans-le-collimateur-du-soft-power-americain-4e-partie-mensonges-et-faux-temoignages.
(3) voir La Libre Belgique du 08/08/2020.
(4) in Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering, éd. Golias, 2009, p. 72.
(5) op. cit., p. 48.
(6) voir notamment Kenneth Conboy et James Morrison, The CIA’Secret War in Tibet, University Press of Kansas, Modern War Studies, 2002.
(7) voir https://www.legrandsoir.info/le-terrorisme-anecdotique-nouveau-concept-universitaire.html
(8) d’après Ajit Singh : https://thegrayzone.com/2020/03/05/world-uyghur-congress-us-far-right-regime-change-network-fall-china/ ; version française : https://blogs.mediapart.fr/capucinesauvage/blog/290820/au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine.
(9) liste non exhaustive : Jens Berger (journaliste et écrivain allemand), Lionel Vairon (sinologue, ancien diplomate français), Bruno Guigue (ancien haut fonctionnaire français), Danielle Bleitrach (sociologue et journaliste française), Jacques-Marie Bourget (grand reporter, honoré de la Légion d’honneur par Jacques Chirac), Maxime Vivas (journaliste et écrivain), Albert Ettinger (chercheur luxembourgeois), Frank Willems (rédacteur belge de “China-square”), Emmanuel Wathelet (jeune professeur belge à l’IHECS). Voir aussi l’article de World Affairs : “ Xinjiang and Uyghurs – What You’re Not Being Told ”, dont la traduction française a été publiée sur le site Le Grand Soir : https://www.legrandsoir.info/xinjiang-et-ouighours-ce-que-l-on-ne-vous-dit-pas-world-affairs.html
Dernier article en date, signé Tony Cartalucci, (chercheur et écrivain géopolitique basé à Bangkok) : https://journal-neo.org/2020/09/03/the-biggest-lie-about-chinas-xinjiang-internment-camps/.
(10) lire “ Rogue State exposed ” de Lionel Vairon, 01/09/2020 sur news.cgtn.com

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