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Jeune pape, nouveau pape : bis repetita non placent.

Dans Youth, Paolo Sorrentino mettait dans la bouche de Jane Fonda, refusant un rôle dans le film en projet d’un des héros, une apologie des séries : les films, c’est ringard, et les séries télé payent beaucoup mieux. C’était un plaidoyer pro domo, puisque le cinéaste devait déjà négocier, ou avoir signé, avec Canal Plus. Si Sorrentino y a sans doute économiquement gagné, le spectateur peut-il se féliciter de cette nouvelle donne ? Y a-t-il quelque chose à attendre des séries ?

The Young Pope avait suscité de grandes attentes, et le générique du moins était très excitant, avec la marche triomphale de Jude Law, en parallèle avec la course de la météorite qui finissait par renverser de façon jouissive le pape Wojtyla, en référence à l’œuvre de Maurizio Cattelan. La question qu’on se posait, c’était : Sorrentino a-t-il quelque chose d’audacieux, de subversif à nous dire ? Certes, la réponse était écrite d’avance : une série grand public (et pour public payant) ne peut qu’être consensuelle. Et, de fait, pour nous convaincre que son pape était anticonformiste, Sorrentino n’a trouvé que de pauvres astuces, comme d’en faire un fumeur ou un amateur de Cherry Coke Zero.

Il y avait pourtant à la base une idée extrêmement pertinente, à savoir qu’aujourd’hui, alors que nous sommes saturés jusqu’à la nausée de politiquement correct et de progressisme sociétal, un personnage sensé être subversif ne peut être que réactionnaire ; mais cela se traduit surtout par les gadgets vestimentaires (comme les mules rouges), empruntés au pape Ratzinger. Quant aux idées, Pie XIII frôle l’idéologiquement incorrect (il fait la chasse aux homosexuels dans l’Eglise), mais finalement s’entoure d’homosexuels, comme le cardinal Gutierrez, à qui il confie la formation des aspirants prêtres, et met au premier plan l’action contre les prêtres pédophiles, sujet médiatiquement consensuel s’il en est !

Mais il ne dit rien sur les grands sujets politiques : d’un pape réellement subversif, ce qu’on attendrait, c’est d’abord une réhabilitation de la théologie de la libération, un hommage aux prêtres, religieuses et évêques torturés et assassinés par les régimes dictatoriaux d’Amérique Latine, et la fin du deal, dont on ne parle pas, mais qui est évident dans les faits, avec les Etats-Unis : voie libre aux évangélistes protestants, propagandistes d’un libéralisme éhonté (la réussite sur terre comme seule promesse et aspiration) contre la garantie de l’ordre social et politique. Là serait le point de rencontre entre réaction théologique (retour aux fondamentaux chrétiens : l’exaltation des pauvres) et révolution politico-économique (fin des liens avec les mafias – d’ailleurs, qui sont les vrais boss mafieux : les truands, ou les hommes politiques et l’Eglise ? –, fin du Vatican comme puissance bancaire).

On attendrait aussi une révolution dans la politique internationale du Vatican et le concept d’œcuménisme : celui-ci n’est pratiqué que sous la forme d’une coopération avec le judaïsme et Israël (pendant les bombardements de Gaza par Israël en 2014 qui firent plus de 1000 morts, dont 230 enfants, j’ai entendu, dans une cérémonie de baptême, un prêtre répéter, avec des trémolos : « Jésus était juif ! »). Quand Israël gifle la joue gauche de l’Eglise en essayant d’accaparer tous les lieux saints de Jérusalem, l’Eglise tend la joue droite. L’œcuménisme devrait au moins s’étendre à l’orthodoxie et à l’Islam ; mais, au contraire, le pape de Sorrentino ridiculise la première dans une scène indigente où le patriarche (russe évidemment) ne trouve rien à dire, et se fait courtoisement congédier.

Toutefois, la séduction de Jude Law et le talent de Silvio Orlando (Voiello,le cardinal-secrétaire d’Etat fan du Napoli) faisait passer bien des faiblesses.

Dans la deuxième saison, par contre, Jude Law ou son esprit (il est dans le coma) ne fait que des apparitions muettes, et le rôle de Voiello est si répétitif et schématique que même Orlando ne peut pas faire grand-chose pour le sauver. Il y a bien une trouvaille, celle du pape intérimaire François II, franciscain qui circule dans les couloirs du Vatican au milieu d’une garde prétorienne de jeunes moines hirsutes et fanatiques, qui confisquent aux Cardinaux leurs bijoux, faisant revivre l’expérience de Savonarole et ses « bûchers des vanités ». Mais la séquence est traitée de façon si outrancière qu’on n’a qu’une envie : que le pape extrémiste dégage le plus vite possible. Aussi est-on soulagé lorsqu’une tasse de café ou un chocolat opportun l’expédie ad patres. Sorrentino révèle ici une ressemblance inattendue avec Almodovar : l’aptitude à traiter les situations graves de façon à désamorcer toute interrogation morale (François II nous ennuyait, c’est tant mieux qu’il se soit fait trucider).

Mais si cette séquence est grotesque, beaucoup d’autres sont ignobles : la saison 2 démarre avec une cassette d’un islamiste qui crie sa haine des chrétiens, et l’islamisme est présenté comme le problème essentiel de l’Eglise, Sorrentino suivant ainsi l’enseignement aujourd’hui bien dépassé de Francis Fukuyama, et justifiant la politique états-unienne de guerre perpétuelle. Mais, le plus frappant, dans Le nouveau Pape, c’est encore la sexualisation à outrance de la série : au début de son entrevue avec Sharon Stone, le pape lui demande de ne pas décroiser les jambes – plaisanterie on ne peut plus déplacée dans la bouche d’un Pape (ne connaissant pas la dame, j’ai dû recourir à Wikipédia pour comprendre l’astuce : Sharon Stone s’est rendue célèbre, dans Basic Instinct, en croisant et décroisant les jambes sans porter de culotte). Le nouveau générique annonçait d’ailleurs la couleur : plus de références artistiques, plus d’irrévérence politique , mais une scène à la David Hamilton d’orgie lesbienne chez les bonnes sœurs. Mais le plus ignoble, ce sont les nouvelles aventures d’Ester (Ludivine Sagnier), l’épouse stérile et dévote miraculée ; elle permet à Sorrentino de développer des fantasmes sadiques : pour prouver sa charité chrétienne, elle doit faire l’amour avec une sorte de loup-garou et, comble d’indécence, son acte d’amour doit être richement rétribué ! (A ce niveau, les scrupules en ce qui concerne le divulgâchis sont hors de propos).

Après les 4 premiers épisodes de la saison 2, on se demande ce qui pourrait relancer l’intérêt en attendant la résurrection de Pie XIII ; mais même ensuite, imaginer les deux papes en présence alors qu’aucun des deux n’a aucune politique claire et audacieuse à défendre ne peut susciter que l’ennui. Peut-être vont-ils confronter leurs expériences respectives d’enfants mal aimés, puisque le sort de l’Eglise et de la chrétienté semble beaucoup moins les intéresser que leurs relations avec papa et maman.

Cette infantilisation des plus hauts dirigeants, ainsi que des spectateurs, est d’ailleurs le plus inquiétant dans cette série : Sorrentino ne parvient pas à s’élever au-dessus d’une psychologie œdipienne sommaire, qu’un érotisme tout aussi bon marché ne relève pas. Le passage aux séries télé ne lui réussit pas ; mais peut-être n’est-il passé aux séries que parce qu’il est arrivé au bout de son inspiration, comme le montrait déjà l’indigent Silvio et les autres, sujet politique dénué de tout enjeu politique.

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