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Bertrand Rothé : un écrivain passé du Rotary au col Mao.

Les romans d'aujourd'hui, représentés par la divine Christine Angot, quand ce n'est pas Mazarine Pingeot, m'assomment. La question est la suivante : comment peut-on couper des forêts pour imprimer des trucs pareils. Il y a parfois un sursaut, une bouée qui flotte sur la mer. C'est le sentiment que m'a donné la lecture du roman que Rothé vient de publier au Seuil Avec un autre homme j’aurais eu peur de m’ennuyer.

En feuilletant les romans étalés dans les gondoles des libraires on a l’impression qu’il est plus facile d’écrire que de lire. Je ne veux pas dire que ces ouvrages soient difficiles à lire, comme du Joyce. C’est le vent qu’ils contiennent qui est pénible à déchiffrer, et il ne fait même pas d’électricité. Le roman français n’est qu’une théorie de petits égoïsmes racontant de petits malheurs. Choisir un roman, pour en parler avec conviction, c’est courir le marathon de l’espérance.

Vous avez remarqué que tous nos romanciers ont fait Normale sup, et cette lacune explique que Macron n’en ait pas écrit. Donc, tomber sur Avec un autre homme j’aurais eu peur de m’ennuyer nous réconcilie avec la littérature, celle que l’on n’apprend pas à l’Ecole. Ou alors celle des chefs puisque Bertrand Rothé, notre écrivain, est, entre autre, titulaire d’un CAP de cuisine. En France on peut citer Gaston Bachelard, Louis Guillou, Roger Vailland, Yves Gibeau, Jean Cau et des kyrielles de types qui ont appris à lire et écrire dans le reflet des réverbères. Maintenant nos auteurs sont cavaliers, et là on regrette que le cheval ne soit pas celui qui tienne la plume. Petits bourgeois fils de petits bourgeois, si leur qualité de normaliens faisait d’eux Sartre, Nizan, ou Gracq... Non, tout ça se termine en Mazarine Pingeot. Aujourd’hui, les enfants de pauvres l’ont bien compris, pour faire fortune il ne faut pas être Hugo mais Niel. Un conseil si vous tenez à être célèbre, soyez d’abord riche, ceux-là font aussi des bouquins et passent à la télé.

Dans Ma vie et moi Henry Miller explique : « la vérité est que j’avais peur de devenir écrivain, c’était trop énorme...Ayant tout essayé et tout raté – alors pourquoi ne pas tenter d’écrire ». Aujourd’hui nos romanciers ne tentent rien que directement le PC ou le Mac, et le manuscrit expédié par Internet à l’éditeur. Pour le non-normalien, le blocage de l’écriture se cache dans la première phrase. Comment mieux faire que « J’avais vingt ans, je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. », ou encore « C’était à Mégara, faubourg de Carthage dans les jardins d’Hamilcar » ? Miller répond : « Que de fois dans ma vie d’écrivain j’ai eu du mal à commencer. Mais je commençais. Par tout ce qui me passait dans la tête – pur non-sens, habituellement. Au bout de deux pages j’avais trouvé le sillon. Peu importe par où l’on commence, on revient toujours à ce que l’on est ». Dear Henry est plus précis dans le secret de sa méthode, inspirée de « l’écriture automatique », celle des surréalistes. Sur la page blanche il met : « Tout ce qui passe par la tête – les pires absurdités, sans virgules ni ponctuation, sans suite d’aucun ordre – jusqu’au moment où ce que l’on a envie de dire vient à sourdre »... Miller travaille à la machine « qui écrit la vérité », et garde la plume, la main, pour « le mensonge de la conversation » : « C’est à la machine que j’ai l’impression de me donner entièrement ». A bas Normale sup, vive le cours Pigier.
Si je m’autorise cette digression sur Miller c’est qu’il y a une parenté entre Miller et Rothé. Je ne parle pas d’art ou du choix des sujets, mais de la fameuse méthode. Et du choix de décrire le monde tel qu’on le vit. Notre diplômé cuisinier, qui plus tard a quand même souffert à l’université mais en est sorti indemne, a tapé, tapé, tapé sur le clavier pour qu’il accouche d’une histoire. Celle de son père qui n’est pas un héros au sourire si doux, mais un déjanté. C’est en accompagnant des excentriques que l’on écrit de bons livres. Regardez Houellebecq. Là c’est sa mère, femme de gauche et militante mais très marginale, qui est un peu givrée. Ce chaos natal a généré deux livres, Extension du domaine de la lutte et Les particules élémentaires. Après, Michel s’est mis à courir après les idées égoïstes qui rapportent gros.

Avec Bertrand, pas de risque. Lui n’est pas passé du col Mao au Rotary mais de chez Bouygues, où il avait un boulot en or, à l’enseignement en IUT. Donc sed lex et pas de Rolex. Le père de Bertrand, mécanicien au long cours et fil-de-fériste de l’existence, a suffisamment vécu sa vie comme un roman pour que son fils n’ait plus qu’à l’écrire. Rothé est le greffier, le script de cette histoire.

Un soir vous rentrez à la maison, sifflotant après une journée vécue sans malheurs et pan ! Vous apprenez par un coup de fil que papa, présent dans une salle d’enchères, vous a acheté une péniche en imitant votre signature. Un vraquier ce n’est pas une Twingo ou un vélo électrique, c’est grand lourd, coûteux et inutile. Quand en plus vous êtes à sec...

L’anecdote donne la dimension du rêve. Que l’on croit apaiser par un séjour de l’énergumène à l’hôpital Sainte-Anne. Mais non, arrivé aux urgences, le patient enfile une blouse blanche et se transforme en docteur, consulte dans le hall d’accueil, la nef des fous.

La peinture, celle faite au Ripolin, peut être l’occasion de pugilats dignes de ceux qui, boulevard du Montparnasse, ont jadis opposé Soutine au Douanier Rousseau. Sauf qu’ici on barbouille les murs d’une petite bicoque de bord de mer. Le père équipé d’un pot de jaune, le fils de bleu. La jonction est un Tchernobyl des familles. Rothé et son père, c’est l’avatar nocturne des deux équipiers du Singe en Hiver, sauf que ça dure toute la vie.

Placé, pour un temps, en maison de repos, pas pour le sien mais pour laisser souffler ceux qui l’aiment, le mécanicien de marine, après avoir provoqué la révolte des autres pensionnaires, va finir par s’évader, via une péniche passant sur la Seine. Il finira au Havre comme un saumon qui revient au nid. C’est vrai qu’avec un homme comme celui-là l’insomnie est assurée, et l’ennuie n’existe pas. Plus que préoccupant, le père de Rothé est un homme occupant.

Si le livre est bon c’est qu’il applique la recette de Miller. Certes les acrobaties du papa sont là pour tenir le scénario de l’impensable. Et le style vient par miracle, né d’une absence de recherche et d’une sincérité totale, celle du cœur. Où les larmes – car la folie n’est pas toujours douce – ne doivent pas empêcher l’écrivain de voir le film du père. Celui d’une vie pas ordinaire dont la description devrait être un modèle pour les normaliens trop normaux.

Jacques-Marie BOURGET

Bertrand Rothé. Avec un autre homme j’aurais eu peur de m’ennuyer , Éditions du Seuil.

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