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Les sanctions économiques en tant que punition collective : le cas du Venezuela (Center for Economic and Policy Research)

Note du Traducteur : voici la traduction (partielle) du rapport du CEPR. Les lecteurs sont invités à consulter l’original pour les notes, références et sources mentionnées.

Sommaire

Cet article examine certains des impacts les plus importants des sanctions économiques imposées au Venezuela par le gouvernement américain depuis août 2017. Il constate que la plupart des conséquences de ces sanctions n’ont pas été ressenties par le gouvernement, mais par la population civile.

Les sanctions ont réduit l’apport calorique de la population, augmenté les maladies et la mortalité (tant chez les adultes que chez les nourrissons) et déplacé des millions de Vénézuéliens qui ont fui le pays en raison de l’aggravation de la dépression économique et de l’hyperinflation. Ils ont exacerbé la crise économique du Venezuela et rendu presque impossible la stabilisation de l’économie, ce qui a contribué à la surmortalité. Tous les impacts ont touché en priorité les Vénezueliens les plus pauvres et les plus vulnérables.

Encore plus sévères et les plus destructrices que les sanctions économiques générales d’août 2017 ont été les sanctions imposées par le décret exécutif du 28 janvier 2019 et les décrets ultérieurs de cette année, ainsi que la reconnaissance d’un gouvernement parallèle qui, comme on le verra ci-dessous, a créé un nouvel ensemble de sanctions financières et commerciales encore plus contraignantes que les décrets exécutifs eux-mêmes.

Nous constatons que les sanctions ont infligé, et infligent de plus en plus, des dommages très graves à la vie et à la santé humaines, y compris, selon les estimations, plus de 40 000 décès entre 2017 et 2018 ; et que ces sanctions correspondraient à la définition des châtiments collectifs de la population civile telle que décrite dans les conventions internationales, tant de Genève que de La Haye dont les États-Unis sont signataires. Ils sont également illégaux en vertu du droit international et des traités que les États-Unis ont signés, et semblent également violer le droit américain.

Les sanctions d’août 2017

Les sanctions d’août 2017 ont interdit au gouvernement vénézuélien d’emprunter sur les marchés financiers américains. Cela a empêché le gouvernement de restructurer sa dette extérieure, car toute restructuration de la dette nécessite l’émission de nouvelles obligations en échange de la dette existante. Ainsi, ces sanctions ont empêché l’économie de se remettre d’une profonde récession qui avait déjà fait payer un lourd tribut à la population, qui, avec l’économie, était plus vulnérable à ces sanctions et à celles qui ont suivi en raison de la crise économique. Le PIB réel avait déjà diminué d’environ 24,7 % de 2013 à 2016, et l’inflation des prix à la consommation de janvier à août 2017 se situait probablement entre 758 % et 1 350 % par an.

Il est important de souligner que la quasi-totalité des devises étrangères nécessaires à l’importation de médicaments, de nourriture, d’équipement médical, de pièces de rechange et d’équipements nécessaires à la production d’électricité, aux systèmes d’approvisionnement en eau ou au transport est reçue par l’économie vénézuélienne grâce aux recettes du gouvernement provenant de l’exportation du pétrole.

Les sanctions d’août 2017 ont eu un impact négatif sur la production de pétrole au Venezuela. Mais après le décret d’août 2017, la production pétrolière s’est effondrée, baissant plus de trois fois plus vite que lors des vingt mois précédents. On pourrait s’y attendre en raison de la perte de crédit et, par conséquent, de la capacité de couvrir l’entretien et l’exploitation et d’effectuer les nouveaux investissements nécessaires pour maintenir les niveaux de production. Cette accélération de la baisse de la production pétrolière entraînerait une perte de 6 milliards de dollars de recettes pétrolières au cours de l’année suivante.

Ceci représente en soit une énorme perte de devises étrangères par rapport aux besoins d’importations essentielles du pays. Les importations d’aliments et de médicaments pour 2018 n’ont été que de $2,6 milliards. Les importations totales de biens en 2008 s’élevaient à $10 milliards

La perte de tant de milliards de dollars de devises et de recettes publiques a très probablement été le principal choc qui a poussé l’économie d’une forte inflation, lorsque les sanctions d’août 2017 ont été appliquées, à l’hyperinflation qui a suivi.

D’autres décisions exécutives prises par l’administration Trump ont entraîné la fermeture des comptes du Venezuela dans les institutions financières, la perte d’accès au crédit et autres restrictions financières qui ont eu de graves répercussions sur la production pétrolière ainsi que l’économie, comme l’explique ce document.

Sanctions en 2019

L’effet le plus immédiat des sanctions de janvier a été de couper le Venezuela de son principal marché pétrolier, les États-Unis, qui avaient acheté 35,6 % des exportations de pétrole du Venezuela en 2018, soit environ 586 000 barils par jour en moyenne. Dans la semaine du 15 mars, les importations américaines de pétrole vénézuélien sont tombées à zéro pour la première fois, et elles sont restées à zéro pendant encore deux semaines avant de rebondir à une fraction de leur moyenne de 2018.

L’administration Trump est également intervenue pour faire pression sur les autres pays, dont l’Inde, pour ne pas acheter le pétrole qui avait été auparavant importé par les États-Unis. Par exemple, le 28 mars, Reuters a rapporté que "les États-Unis ont donné instruction aux chambres de commerce et aux raffineries de pétrole du monde entier de réduire davantage leurs transactions avec le Venezuela au risque de subir elles-mêmes des sanctions elles-mêmes, même si ces transactions ne sont pas interdites par les sanctions américaines publiées... "

Ces menaces sont efficaces car le gouvernement américain peut sanctionner des institutions financières étrangères qui ne respectent pas ses exigences.

Grâce à ces efforts et à d’autres, la production pétrolière du Venezuela a diminué de 130 000 barils par jour de janvier à février. Au cours des six mois précédents, elle avait diminué en moyenne de 20 500 barils par jour. Puis, en mars, elle a encore chuté de 289 000 barils par jour, pour un total de 431 000 barils par jour. Il s’agit là d’une chute dévastatrice de 36,4 % de la production pétrolière depuis les sanctions de janvier.

Cette baisse, si elle se maintient au cours de la prochaine année, réduirait encore de 6,8 milliards de dollars les recettes en devises disponibles du Venezuela. Cela représente environ 21 pour cent des recettes d’exportation de 2018. Cependant, les recettes d’exportation du pétrole en 2019 devraient chuter de 67,2 % à partir de 2018, un chiffre cataclysmique et sans précédent, en raison de l’impact du durcissement des sanctions.

Les sanctions de janvier ont également gelé plusieurs milliards de dollars d’actifs vénézuéliens qui auraient pu être vendus pour maintenir les importations essentielles et sauver des vies ou pour stabiliser l’économie. Il s’agit notamment de la plus grande partie des $9 milliards de réserves d’or du gouvernement, de crédits commerciaux d’une valeur estimée à $3,4 milliards et de CITGO, dont l’actif net est estimé à $5,2 milliards.

Après les sanctions de janvier et la reconnaissance de Guaidó comme "président intérimaire" - ce qui a fait de lui, selon l’administration Trump et d’autres gouvernements reconnaissant le gouvernement parallèle - le propriétaire légal des fonds transférés ou des biens achetés par le gouvernement vénézuélien, l’accès du Venezuela aux banques correspondantes pour les transactions internationales a été pratiquement anéanti, dont l’accès aux crédits nécessaires pour importer des médicaments, aliments et autres biens essentiels.

Les sanctions ont également contribué de manière substantielle à la durée et aux dommages économiques des pannes d’électricité, y compris les graves crises électriques du mois de mars.

Par exemple, les sanctions ont limité l’accès du Venezuela au diesel, qui est nécessaire pour ses générateurs thermiques de secours. De plus, le secteur électrique vénézuélien dépend de l’équipement fourni par des fournisseurs internationaux tels que General Electric. Les sanctions ont empêché le gouvernement vénézuélien de payer ces sociétés, augmentant ainsi la dépendance à l’égard de la production d’énergie hydroélectrique.

L’impact des sanctions sur la vie et la santé humaines

L’une des conséquences des sanctions décrites ci-dessus est de priver l’économie vénézuélienne de plusieurs milliards de dollars de devises étrangères nécessaires pour payer les importations essentielles et salvatrices. Les sanctions appliquées en 2019, y compris la reconnaissance d’un gouvernement parallèle, ont accéléré cette privation et coupé le Venezuela de la majeure partie du système de paiements internationaux, mettant ainsi un terme à l’accès du pays à ces importations essentielles, y compris les médicaments et la nourriture, même ceux qui pourraient normalement être achetés avec les dollars disponibles. Il ne fait aucun doute que les sanctions appliquées depuis août 2017 ont des répercussions graves sur la vie et la santé.

Selon l’Enquête nationale sur les conditions de vie (ENCOVI), une enquête annuelle sur les conditions de vie menée par trois universités vénézuéliennes, la mortalité générale a augmenté de 31 % entre 2017 et 2018. Ce qui signifie une hausse de plus de 40000 morts.

On estime à plus de 300 000 le nombre de personnes à risque en raison du manque d’accès aux médicaments ou aux traitements. On estime à 80 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH qui n’ont pas reçu de traitement antirétroviral depuis 2017, à 16 000 le nombre de personnes qui ont besoin de dialyse, à 16 000 le nombre de personnes atteintes de cancer et à 4 millions le nombre de personnes atteintes de diabète et d’hypertension (dont beaucoup ne peuvent obtenir d’insuline ou de médicaments cardiovasculaires), ce qui garantit à lui seul que les sanctions actuelles, bien plus sévères que celles appliquées avant cette année, sont une peine de mort pour des dizaines de milliers de Vénézuéliens. Ceci sera particulièrement vrai si la prévision d’une chute de 67% des revenues du pétrole se matérialise en 2019.

L’effondrement économique de plus en plus rapide que les sanctions actuelles ont provoqué aura certainement des impacts supplémentaires sur la santé et les décès prématurés. Par exemple, l’effondrement croissant des recettes d’exportation - et donc des importations - a également créé d’énormes problèmes de santé publique dans les domaines de l’eau et de l’assainissement. La crise de l’électricité a également eu des répercussions sur les hôpitaux et les soins de santé.

Les importations alimentaires ont fortement chuté, tout comme l’ensemble des importations ; en 2018, elles étaient estimées à seulement $2,46 milliards, comparativement à $11,2 milliards en 2013. On peut s’attendre à ce qu’elles continuent de chuter en 2019, de même que les importations en général, contribuant à la malnutrition et au retard de croissance chez les enfants.

Les Nations Unies constatent que les groupes les plus vulnérables à l’accélération de la crise sont les enfants et les adolescents (dont beaucoup ne peuvent plus aller à l’école), les personnes qui vivent dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées, les autochtones, les personnes ayant besoin de protection, les femmes et les adolescentes à risque, les personnes handicapées et celles qui se considèrent comme lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels ou intersexués.

Illégalité des sanctions

Les sanctions unilatérales imposées par l’administration Trump sont illégales en vertu de la Charte de l’Organisation des États américains (OEA), en particulier les articles 19 et 20 du chapitre IV. Elles sont également illégaux en vertu du droit international des droits de l’homme, ainsi que des traités signés par les États-Unis.

Les sanctions sont également contraires au droit américain. Depuis mars 2015, chaque décret déclare que les États-Unis souffrent d’une "urgence nationale" en raison de la situation au Venezuela. La loi américaine l’exige pour imposer de telles sanctions, et l’urgence nationale est invoquée en vertu du National Emergencies Act de 1976. C’est la même loi que le président Trump a invoquée en février 2019 en déclarant une urgence nationale pour contourner les crédits du Congrès destinés à la construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique.

Le décret exécutif déclare aussi, comme l’exige la loi, que le Venezuela représente "une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale" des États-Unis. En fait, aucune de ces déclarations n’est fondée.

Introduction

Le 25 août 2017, le président Trump a publié le décret exécutif 13808, imposant de larges sanctions économiques au Venezuela. Les sanctions ont été décrites par de nombreux observateurs comme un instrument de pression sur le gouvernement. (1) A l’époque, la pression était qualifiée de nécessaire pour encourager le gouvernement du Venezuela à respecter les droits de l’homme. (2) Cependant, les menaces d’action militaire du président Trump lui-même ont indiqué que le véritable objectif de l’administration était le changement de régime. (3)

Il est rapidement devenu clair que les sanctions imposées par ce décret exécutif - ainsi que les autres mesures prises par le gouvernement Trump - auraient un impact majeur non sur le gouvernement mais sur la population du Venezuela. Les sanctions ont réduit l’apport calorique de la population, augmenté les maladies et la mortalité (tant chez les adultes que chez les nourrissons) et déplacé des millions de Vénézuéliens qui ont fui le pays en raison de l’aggravation de la dépression économique et de l’hyperinflation. Les sanctions ont exacerbé la crise économique vénézuélienne et rendu presque impossible la stabilisation de l’économie, ce qui a contribué à la surmortalité. Tous ces impacts ont affecté de manière disproportionnée les Vénézuéliens les plus pauvres et les plus vulnérables.

Des sanctions encore plus sévères et destructrices ont été instituées par l’ordonnance 13857 du 28 janvier 2019 et les décrets ultérieurs de la même année ; et la reconnaissance d’un gouvernement parallèle, qui, comme on le verra ci-dessous, a créé un nouvel ensemble de sanctions financières et commerciales encore plus contraignantes que les décrets eux-mêmes. Les déclarations de l’administration ont indiqué que le but des sanctions était de provoquer une rébellion militaire pour renverser le gouvernement. (4)

Ce document examine ces sanctions économiques et leur impact sur l’économie vénézuélienne et la population, y compris les plus vulnérables. Nous estimons que les sanctions ont infligé et continuent d’infliger des dommages très graves à la vie et à la santé humaines, y compris plus de 40 000 décès entre 2017 et 2018, et que ces sanctions correspondraient à la définition du châtiment collectif de la population civile telle que décrite dans les conventions internationales de Genève et de La Haye, dont les États-Unis sont signataires.

Les sanctions d’août 2017

En août 2017, lorsque l’administration Trump a publié son décret imposant de larges sanctions financières au Venezuela, l’économie était déjà en récession depuis plus de trois ans. Bien qu’il n’y ait pas eu de données officielles du gouvernement pour ces indicateurs depuis 2015, les meilleures estimations disponibles étaient que le PIB réel avait diminué de 24,3 % de 2014 à 2016 et que l’inflation des prix à la consommation de janvier à août 2017 se situait probablement entre 758 % et 1 350 % par an. (5)

Les sanctions d’août 2017 ont interdit au gouvernement du Venezuela de recourir aux marchés financiers américains. Cela a eu un certain nombre d’impacts immédiats. Premièrement, il a empêché le gouvernement de restructurer sa dette extérieure, car toute restructuration de la dette nécessite l’émission de nouvelles obligations en échange de la dette existante. Bien que les sanctions d’août 2017 n’affectent techniquement que le système financier américain, dans la pratique, elles étaient également efficaces en dehors du système financier américain parce que 1) la restructuration est négociée avec des groupes de détenteurs d’obligations, qui incluraient invariablement des détenteurs américains ; 2) les institutions financières extérieures au système financier américain avaient de bonnes raisons de craindre d’autres sanctions les concernant, ce qui s’est effectivement produit 18 mois plus tard (voir ci-dessous).

Avant les sanctions d’août 2017, la dette qui était en cours de restructuration était celle de la société publique de pétrole PDVSA. La dette souveraine (du gouvernement) n’a pas pu être restructurée après que l’opposition ait remporté la majorité à l’Assemblée nationale en 2015. C’est parce que la direction de l’opposition à l’Assemblée nationale a déclaré qu’elle n’approuverait aucun nouvel emprunt étranger par le gouvernement. Sans cette approbation, les nouvelles obligations d’État issues d’une restructuration seraient d’une légalité douteuse selon la loi vénézuélienne, et l’opposition s’est engagée à ne pas les payer si elles arrivaient au pouvoir. Sur cette base, une restructuration de la dette publique était impossible à l’époque (6).

Néanmoins, la dette de PDVSA s’élevait à l’époque à environ $30 milliards, dont $7,1 milliards en capital et intérêts étaient exigibles au cours des deux prochaines années ; une grande partie de ce service de la dette aurait pu être reportée en raison de la restructuration de la dette de la PDVSA qui était négociée avant les sanctions d’août 2017. Ces sanctions interdisaient également à CITGO, la filiale de PDVSA qui compte quelque 5 500 stations-service aux États-Unis, de rapatrier des profits au Venezuela. De 2015 à 2017, CITGO a versé environ $2,5 milliards en dividendes à PDVSA (7).

Plus coûteuses encore pour l’économie et la population, les sanctions d’août 2017 ont eu un impact négatif sur la production pétrolière au Venezuela. La figure 1 montre la production de pétrole au Venezuela et en Colombie, en milliers de barils par jour, de 2013 à 2015. La production des deux pays a diminué à peu près au même rythme à partir du début de 2016, après une chute brutale des prix du pétrole. Mais après le décret d’août 2017, la production pétrolière s’est effondrée, tombant plus de trois fois plus vite qu’au cours des vingt mois précédents. On pourrait s’y attendre en raison de la perte de crédit et, par conséquent, de la capacité de couvrir l’entretien et l’exploitation et d’effectuer les nouveaux investissements nécessaires pour maintenir les niveaux de production. Cette accélération du rythme de baisse de la production pétrolière entraînerait une perte de $6 milliards en recettes pétrolières au cours de l’année suivante.

Il s’agit en soi d’une énorme perte de devises par rapport aux besoins du pays en importations essentielles. Les importations d’aliments et de médicaments pour 2018 n’ont été que de $2,6 milliards. Les importations totales de biens pour 2018 s’élevaient à environ $10 milliards.

La production annuelle de pétrole a chuté de 30,1 % en 2018, contre 11,5 % en 2017. (8) La différence dans ce taux implique une perte d’environ $8,4 milliards en devises étrangères dont l’économie vénézuélienne a désespérément besoin pour ses importations essentielles comme les médicaments et les aliments.

Il est important de souligner que presque toutes les devises étrangères nécessaires pour importer les médicaments, les aliments, les équipements médicaux, les pièces de rechange et le matériel nécessaire pour produire l’électricité, les réseaux d’eau, le transport, sont obtenus par le gouvernement du Venezuela par le revenu provenant des exportations du pétrole.

La perte de tant de milliards de dollars de devises et de recettes publiques a très probablement été le principal choc qui a poussé l’économie de sa forte inflation, lorsque les sanctions d’août 2017 ont été appliquées, à l’hyperinflation qui a suivi. Il est courant dans l’histoire des hyperinflations qu’elles soient déclenchées par un choc externe important sur les recettes publiques et la balance des paiements, comme ce fut le cas au Venezuela après l’application de ces sanctions.

Le 20 septembre 2017, moins d’un mois après les sanctions du 25 août, le Financial Crimes Enforcement Network du département du Trésor américain a publié un "Advisory to Financial Institutions on Widepread Political Corruption in Venezuela." Il a déclaré que "tous les organismes et organismes gouvernementaux vénézuéliens, y compris les entreprises publiques, semblent vulnérables à la corruption publique et au blanchiment d’argent" et a rappelé aux institutions financières américaines leurs obligations réglementaires de "prendre des mesures raisonnables, fondées sur le risque, pour identifier et limiter leur exposition aux fonds et autres actifs associés à la corruption publique vénézuélienne". (10)

Francisco Rodríguez, économiste en chef de Torino Capital, soutient que l’avertissement du Trésor américain a peut-être été encore plus important que le décret d’août parce qu’il a entraîné la fermeture de comptes vénézuéliens dans des institutions financières, la perte de l’accès au crédit et d’autres restrictions financières qui ont eu de graves répercussions négatives sur la production pétrolière et l’économie. (11)

Cet exemple illustre comment des dommages économiques graves - avec leurs coûts humains - peuvent être causés sans attirer l’attention du public et des médias. Pour cette raison, les dommages décrits ici à la suite des sanctions de l’administration Trump en 2017 sous-estiment probablement considérablement le préjudice réel causé.

Sanctions de 2019

Cela a certainement été le cas pour la série de décrets exécutifs qui ont commencé le 28 janvier, à la suite de la reconnaissance par l’administration Trump et ses alliés de Juan Guaidó comme "président intérimaire" du Venezuela. Ici, nous devons inclure non seulement les sanctions qui ont été explicitement prescrites par ces décrets, mais aussi les sanctions qui ont été implicites et activées par la reconnaissance d’un gouvernement parallèle ; et les sanctions supplémentaires résultant d’autres déclarations, menaces ou actions du pouvoir exécutif des États-Unis.

Si nous examinons l’impact combiné de toutes ces mesures, nous constatons qu’elles ont considérablement réduit la capacité du Venezuela de produire et de vendre du pétrole et de vendre tout actif étranger du gouvernement, dont les plus importants ont été gelés et/ou confisqués, et d’utiliser les devises étrangères que le pays peut encore gagner pour acheter ses importations essentielles. Pour ces raisons, une projection de base du PIB réel du Venezuela fait état d’une baisse étonnante et sans précédent de 37,4 % en 2019, contre 16,7 % en 2018. (12) Les importations de biens devraient diminuer de 39,4 %, passant de 10 à 6,1 milliards de dollars. (13) Plus de 1,9 million de personnes devraient quitter le pays, (14) et les effets sur la vie et la santé humaines (décrits ci-dessous) devraient être encore plus graves que l’an dernier.

L’impact le plus immédiat des sanctions de janvier a été de couper le Venezuela de son plus grand marché pétrolier, les États-Unis, qui avaient acheté 35,6 % des exportations de pétrole du Venezuela en 2018 (15), soit environ 586 000 barils par jour en moyenne (16). Dans la semaine du 15 mars, les importations de pétrole vénézuélien sont tombées à zéro pour la première fois, et elles sont restées à ce niveau pendant encore deux semaines avant de rebondir pendant une semaine à 139 000 barils par jour, puis 71 000 barils par jour. (17)

L’administration Trump est également intervenue pour faire pression sur les autres pays, dont l’Inde, pour qu’ils ne s’approvisionnent pas en pétrole qui avait été précédemment acheté par les États-Unis. Le 28 mars, Reuters a rapporté :

Les États-Unis ont donné pour instruction aux chambres de commerce et aux raffineries de pétrole du monde entier de réduire davantage leurs transactions avec le Venezuela au risque de s’exposer à des sanctions, même si ces transactions ne sont pas interdites par les sanctions américaines publiées, selon trois sources familières avec la question. ...

L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain a annoncé début février l’interdiction d’utiliser son système financier dans les opérations pétrolières avec le Venezuela après avril.

Mais pas plus tard que cette semaine, le département d’État américain a appelé des entreprises étrangères pour leur dire que la portée des sanctions était plus large et que tout commerce de pétrole, direct, indirect ou troc, serait considéré comme une violation. (18)

Il est important de noter que ces menaces sont efficaces parce que le gouvernement américain peut sanctionner les institutions financières étrangères qui désobéissent à ses instructions. Ainsi, en février, même Gazprom, détenu majoritairement par le gouvernement russe, a gelé les comptes de PDVSA et interrompu les transactions avec la société, sous la menace de sanctions de l’administration Trump. (19) Reuters a également noté que "Washington est particulièrement désireux de mettre fin aux livraisons d’essence et de produits raffinés utilisés pour diluer le pétrole brut lourd du Venezuela afin de le rendre apte à l’exportation". (20) Cela pourrait affecter 300 000 barils par jour supplémentaires de production pétrolière vénézuélienne. (21)

Le résultat a été que le pétrole produit par le Venezuela s’est entassé, remplissant les entrepôts puis les pétroliers. Le manque de marchés et d’espace disponible pour stocker le pétrole qui en résulte semble être la principale cause d’une chute brutale de la production pétrolière en février (22). Comme le montre la figure 2, la production pétrolière du Venezuela a diminué de 130 000 barils par jour entre janvier et février. Au cours des six mois précédents, il avait diminué en moyenne de 20 500 barils par jour. Puis, en mars, il a encore chuté de 289 000 barils par jour, pour un total de 431 000 barils par jour.

Cette baisse, si elle se maintient au cours de la prochaine année, réduirait encore de $6,8 milliards les recettes en devises disponibles du Venezuela. (23) Cela représente environ 21 % des recettes d’exportation de 2018. Cependant, M. Rodríguez prévoit que les exportations de pétrole en 2019 chuteront de 67,2 % à partir de 2018, un chiffre cataclysmique et sans précédent, en raison de l’impact du durcissement des sanctions. (24)

Les sanctions de janvier ont inclus PDVSA dans la liste des ressortissants spécialement désignés (SDN) et des personnes bloquées du département américain du Trésor (OFAC). L’effet fut un gel des avoirs américains de PDVSA et une interdiction aux américains de faire affaire avec cette compagnie. (25) Avec la reconnaissance de Juan Guaidó comme président intérimaire, le gouvernement américain a bloqué l’accès du Venezuela à CITGO, privant ainsi le gouvernement du Venezuela d’un actif net estimé à $5,2 milliards (26). La plus grande partie des $9 milliards de réserves de change du gouvernement sont sous forme d’or ; les sanctions rendent très difficile la vente de cet or.

Le 10 avril, Bloomberg a rapporté que le FMI avait suspendu l’accès du gouvernement vénézuélien à près de $400 millions en droits de tirage spéciaux (DTS), une autre source de liquidités, "citant le chaos politique depuis que le président de l’Assemblée nationale Juan Guaidó a déclaré en janvier qu’il était le dirigeant légitime de la nation". (27)

D’autres avoirs étrangers vénézuéliens ont été confisqués par des gouvernements étroitement liés aux États-Unis, dont $1,2 milliard en or détenu à la Banque d’Angleterre (28) et une société d’engrais en Colombie, Monómeros, d’une valeur de $269 millions de dollars (29). Le gouvernement dispose également de quelque $6,5 milliards en crédits commerciaux, provenant des accords de coopération énergétique, qui pourraient être négociables à environ 3,4 milliards de dollars, afin de recevoir l’argent nécessaire à l’achat de biens importés (30). Dans certains cas, d’importants paiements provenant de pays qui ont participé au programme Petrocaribe du Venezuela et qui ont tenté de payer ont apparemment été bloqués - par exemple une récente tentative de paiement de $115 millions de la Jamaïque (31).

De l’autre côté de l’équation - l’achat d’importations - l’administration Trump a porté un sérieux coup à la santé publique et à la sécurité de la population en neutralisant les moyens de paiement du Venezuela pour les importations qu’il peut acheter avec le cash flow qui reste. Bien sûr, cela réduit directement l’accès de la population aux importations essentielles telles que les médicaments et la nourriture. L’administration de Trump est en mesure de le faire par divers moyens qui interdisent ou réduisent l’accès des secteurs public et privé au système international de paiements.

Les institutions financières, tant publiques que privées, utilisent un système de banques correspondantes situées dans d’autres pays afin de payer les transactions internationales. Les sanctions américaines ont exclu la Réserve fédérale et toutes les institutions financières américaines de la possibilité pour le Venezuela d’effectuer des paiements internationaux. Le risque de contournement des sanctions américaines avait, depuis au moins 2017, conduit de plus en plus de banques correspondantes à abandonner ces services de correspondants bancaires.

Par exemple, en novembre 2017, plus d’un an avant les sanctions les plus sévères (celles appliquées depuis janvier 2019), le Venezuela utilisait une petite banque à Porto Rico comme intermédiaire pour traiter les paiements de nourriture et de médicaments. Reuters a rapporté que l’institution, Italbank, avait interrompu ces services et fermé un compte auprès de la banque centrale du Venezuela en raison de "préoccupations concernant le risque de réputation" (32). Mais après les sanctions de janvier et la reconnaissance de Guaidó - qui, selon l’administration Trump et d’autres gouvernements reconnaissant le gouvernement parallèle - comme le propriétaire légal de tous les fonds transférés ou des biens achetés par le gouvernement vénézuélien, l’accès du Venezuela aux banques correspondantes pour les transactions internationales a pratiquement disparu. Cela comprenait l’accès aux crédits nécessaires pour l’importation de médicaments, d’aliments et d’autres biens essentiels.

Le Venezuela a également souffert d’une grave crise de l’électricité en mars. Une estimation de référence de Rodríguez prévoit que le Venezuela perdra un total de 6,4 % de son PIB en 2019 à cause de cette crise, ce qui suppose des pannes d’électricité par mois équivalant à environ 35 % de ce qui s’est passé en mars. Les causes des pannes ne sont pas entièrement connues, bien qu’il y ait des preuves qu’un feu de broussailles à proximité des lignes de transport d’électricité du barrage hydroélectrique de Guri, qui fournit 75 % de l’électricité du Venezuela, a contribué à la perte initiale de courant (33). Toutefois, il ne fait aucun doute que les sanctions économiques ont contribué de manière substantielle à la durée et aux dommages économiques des pannes d’électricité.

Par exemple, les sanctions ont limité l’accès du Venezuela au carburant diesel, qui est nécessaire pour ses générateurs thermiques de secours. De plus, le secteur électrique vénézuélien dépend de l’équipement fourni par des fournisseurs internationaux tels que General Electric. Les sanctions ont empêché le gouvernement vénézuélien de payer ces sociétés, augmentant ainsi la dépendance à l’égard de la production d’énergie hydroélectrique. (34)

L’impact des sanctions sur la vie et la santé humaines

L’une des conséquences des sanctions décrites ci-dessus est de priver l’économie vénézuélienne de plusieurs milliards de dollars de devises étrangères nécessaires pour payer les importations essentielles. Les sanctions appliquées en 2019, y compris la reconnaissance d’un gouvernement parallèle, ont accéléré cette privation et coupé le Venezuela de la majeure partie du système de paiements internationaux, mettant ainsi un terme à l’accès du pays à ces importations essentielles, y compris les médicaments et la nourriture, même ceux qui pourraient normalement être achetés avec les dollars disponibles. Il ne fait aucun doute que toutes ces sanctions depuis août 2017 ont eu de graves répercussions sur la vie et la santé humaines.

Bien qu’il soit impossible de préciser ce qui se serait produit s’il n’y avait pas eu de sanctions, nous pouvons d’abord examiner la détérioration de certains indicateurs de la santé (y compris les soins de santé et les infrastructures et capacités liées à la santé) entre 2017 et 2018.

Selon l’Enquête nationale sur les conditions de vie (ENCOVI), une enquête annuelle sur les conditions de vie menée par trois universités vénézuéliennes, la mortalité générale a augmenté de 31 % entre 2017 et 2018 (35). Cela impliquerait une augmentation de plus de 40 000 morts. (36) Il s’agirait d’une perte importante de vies civiles, même dans un conflit armé, et il est pratiquement certain que les sanctions économiques américaines ont contribué de manière substantielle à ces décès. Le pourcentage de décès dus aux sanctions est difficile à estimer, mais il convient de noter qu’en l’absence de sanctions, le scénario alternatif aurait pu être une réduction de la mortalité (voir ci-dessous), dans l’hypothèse où une reprise économique se serait produite.

Comme il s’agit de statistiques annuelles, elles ne tiennent pas compte de l’impact des sanctions durant les quatre derniers mois de 2017. Comme indiqué plus haut, l’impact des sanctions d’août 2017 sur l’effondrement de la production pétrolière et donc sur l’accès aux importations a été assez rapide, de sorte que l’on peut s’attendre à ce qu’une partie de la mortalité accrue se manifeste en 2017.

En 2018, la Fédération pharmaceutique vénézuélienne a signalé que la pénurie de médicaments essentiels était de 85 % (37). Selon une étude réalisée en septembre 2018 par CodeVida et Provea, plus de 300 000 personnes étaient à risque en raison du manque d’accès aux médicaments ou aux traitements, dont environ 80 000 personnes séropositives qui n’ont pas reçu de traitement antirétroviral depuis 2017, 16 000 personnes qui ont besoin de dialyse, 16 000 personnes atteintes de cancer et 4 millions atteintes de diabète ou d’hypertension (dont beaucoup n’ont accès ni à l’insuline ni aux médicaments cardiovasculaires). (38)

Ces chiffres garantissent pratiquement à eux seuls que les sanctions actuelles, qui sont beaucoup plus sévères que celles appliquées avant cette année, sont une condamnation à mort pour des dizaines de milliers de personnes qui ne peuvent quitter le pays pour trouver des médicaments ailleurs. C’est particulièrement vrai si la baisse prévue de 67 % des recettes pétrolières se concrétise en 2019.

Mais l’effondrement économique accéléré que les sanctions actuelles ont provoqué a beaucoup plus d’impact sur la santé et les décès prématurés. Selon la Fédération médicale vénézuélienne, quelque 22 000 médecins - environ un tiers du total - ont quitté le pays. (39) Alors que la migration s’accélère en 2019 en raison du durcissement des sanctions, un plus grand nombre de ces professionnels de la santé, ainsi que d’autres ayant les compétences techniques nécessaires, vont quitter le Venezuela.

Selon le rapport de mars 2019 de l’ONU "Venezuela : Overview of Priority Humanitarian Needs," les enquêtes de l’ENCOVI révèlent qu’en raison de la malnutrition, environ 22 pour cent des enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance. (40) Les importations alimentaires ont fortement chuté, tout comme l’ensemble des importations ; en 2018, elles étaient estimées à seulement $2,46 milliards, contre 11,2 milliards en 2013. (41) Elles devraient encore chuter en 2019, comme les importations en général.

L’effondrement croissant des recettes d’exportation et donc des importations a également créé d’énormes problèmes de santé publique dans les domaines de l’eau et de l’assainissement. Le dernier rapport de l’ONU note que "le manque d’accès à l’eau, au savon, au chlore et à d’autres produits d’hygiène empêche le lavage des mains et le traitement de l’eau domestique" et que " es ménages non raccordés au réseau d’eau utilisent une eau de surface et des puits mal traités et peu sûrs". (42) CodeVida a constaté que pour 2018 "79 % des établissements sanitaires connaissent une pénurie de ressources en eau (43) et ENCOVI indique que 61 % des écoles " ont dans des communautés sans eau potable au quotidien". (44)

La crise de l’électricité a également touché les hôpitaux et les soins de santé. On ne sait pas combien de personnes sont mortes des suites de pannes d’électricité dans les hôpitaux, mais pendant les coupures de courant de mars, la presse a fait état de décès dus ces coupures (45)

Le rapport de l’ONU constate que les groupes les plus vulnérables à l’accélération de la crise sont les enfants et les adolescents (dont beaucoup ne peuvent plus aller à l’école), les personnes qui vivent dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées, les autochtones, les personnes ayant besoin de protection, les femmes et adolescents à risque, les handicapés et les personnes qui se considèrent comme lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels ou intersexués.

L’illégalité et l’intention des sanctions économiques unilatérales

Les sanctions unilatérales imposées par l’administration Trump sont illégales en vertu de la Charte de l’Organisation des États américains (OEA). De nombreuses dispositions de la Charte interdisent ces sanctions, mais les articles 19 et 20 du Chapitre IV figurent parmi les plus clairs et sans équivoques :

Article 19 Aucun État ou groupe d’États n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État. Le principe qui précède interdit non seulement la force armée mais aussi toute autre forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence contre la personnalité de l’État ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels.

Article 20 Aucun État ne peut recourir ou encourager le recours à des mesures coercitives de caractère économique ou politique pour forcer la volonté souveraine d’un autre État et en obtenir des avantages de toute nature. (46)

Les sanctions de l’administration Trump violent clairement ces deux articles de la Charte de l’OEA. En ce qui concerne l’article 19, l’administration américaine s’immisce directement dans les affaires intérieures du Venezuela. Cela est particulièrement vrai à la lumière des déclarations et des actions des fonctionnaires de l’administration qui indiquent que leur objectif est le renversement du gouvernement vénézuélien. En discutant de la politique américaine au Venezuela, y compris des menaces militaires, le vice-président Mike Pence a déclaré à plusieurs reprises que "Maduro doit partir". (47) Le 8 février, Reuters a rapporté que les États-Unis "entretenaient des communications directes avec des membres de l’armée du Venezuela pour les exhorter à abandonner le président Nicolás Maduro et prépare également de nouvelles sanctions destinées à accroître la pression sur lui", citant un haut fonctionnaire de la Maison Blanche. (48)

L’échange entre Matthew Lee, journaliste de l’Associated Press, et Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, le 11 mars 2019, est peut-être encore plus frappant :

MATTHEW LEE : Êtes-vous satisfait du rythme et de l’élan derrière Guaidó et son leadership ?.....

MIKE POMPEO : Eh bien, nous aimerions que les choses aillent plus vite, mais je suis très confiant que la roue tourne en faveur du peuple vénézuélien et qu’elle continuera à le faire. Il n’en faut pas beaucoup pour voir ce qui se passe vraiment là-bas. Le cercle se resserre, la crise humanitaire s’aggrave d’heure en heure. J’ai parlé à notre supérieur sur place au Venezuela hier soir, à 19 heures ou 20 heures. Vous pouvez constater l’augmentation de la douleur et de la souffrance du peuple vénézuélien. (49)

Bien que l’administration Trump ait toujours soutenu que la crise humanitaire au Venezuela est uniquement le résultat des politiques économiques du gouvernement, cet échange raconte une autre histoire. "Le cercle se resserre, la crise humanitaire s’aggrave d’heure en heure.... Vous pouvez constater l’augmentation de la douleur et de la souffrance" - ceci semble se référer à l’impact des sanctions, et non à quelque chose qui s’est produit au cours des années d’échec économique. De plus, cela implique que la douleur et les souffrances infligées à la population civile ne sont peut-être pas des dommages collatéraux, mais font en fait partie de la stratégie visant à renverser le gouvernement.

En ce qui concerne l’article 20, qui interdit les "mesures coercitives de caractère économique ou politique" visant à obtenir "des avantages de quelque nature que ce soit", le Président Trump et le Conseiller pour la sécurité nationale John Bolton ont tous deux fait part de leur intention. Dans un livre récent d’Andrew McCabe, ancien directeur par intérim du FBI, Trump aurait dit : "C’est le pays avec lequel nous devrions entrer en guerre. Ils ont tout ce pétrole et ils sont juste à côté." (50)

En janvier, Bolton déclarait : "Nous sommes en pourparlers avec de grandes entreprises américaines. ... Cela fera une grande différence pour les États-Unis sur le plan économique si les compagnies pétrolières américaines pouvaient vraiment investir dans les capacités pétrolières du Venezuela et produire au Venezuela". (51)

Un certain nombre de juristes ont soutenu que les sanctions économiques de ce type violent le droit international, y compris la Charte des Nations Unies et le droit international des droits de l’homme (52). Il semble évident que les sanctions qui causent la faim et la maladie généralisées et une mortalité accrue violeraient les droits de l’homme (53).

Il convient de noter que les Conventions de La Haye et de Genève, dont les États-Unis sont signataires, interdisent toutes deux le châtiment collectif des civils. Bien que ces traités ne s’appliquent qu’en temps de guerre, les experts des droits de l’homme de l’ONU ont fait valoir qu’il n’est pas logique que les civils ne bénéficient de cette protection qu’en temps de conflit armé (54).

Les sanctions violent également la loi US. Depuis mars 2015, chaque décret déclare que les États-Unis souffrent d’une "urgence nationale" en raison de la situation au Venezuela. La loi US l’exige pour imposer de telles sanctions, et l’urgence nationale est invoquée en vertu du National Emergencies Act de 1976. C’est la même loi que le président Trump a invoquée en février 2019 lorsqu’il a déclaré une urgence nationale pour contourner les crédits alloués par le Congrès afin de construire un mur le long de la frontière avec le Mexique. Un certain nombre d’États et d’organisations d’intérêt public ont poursuivi l’administration Trump au sujet de cette manœuvre en ce qui concerne le mur frontalier.

Bien sûr, il est clair que le Venezuela n’a pas créé d’urgence nationale pour les États-Unis. Le décret stipule également, comme l’exige la loi, que le Venezuela constitue "une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale" des États-Unis. Cela n’a pas non plus de fondement réel. Il n’est pas clair ce qui peut être fait pour faire appliquer la loi en ce qui concerne ces fausses déclarations - les tribunaux américains ont été très réticents à appliquer les lois d’une manière qui entre en conflit avec les décisions de politique étrangère du président, même quand elles semblent violer la Constitution. (55)

Dépression, hyperinflation et sanctions : Blocage de la reprise économique

Comme indiqué précédemment, l’économie vénézuélienne était déjà en profonde récession depuis trois ans lorsque les sanctions d’août 2017 ont été imposées, l’inflation se situant entre 758 % et 1 350 % par an. Les partisans des sanctions soutiennent que l’économie aurait continué de s’effondrer même sans les sanctions qui ont privé l’économie de plusieurs milliards de dollars de devises étrangères. (Bien qu’il ne se soit certainement pas effondré au même rythme.) Bien que de nombreux scenarii alternatifs soient possibles, il vaut la peine d’examiner ce qui aurait pu être fait pour éliminer l’hyperinflation et stabiliser l’économie, et comment les sanctions affectent ces options - y compris pour l’avenir.

La définition classique de l’hyperinflation dans la littérature économique est de 50 % par mois, soit environ 13 000 % par an. (56) Il y a eu sept épisodes d’hyperinflation en Amérique latine depuis la Seconde Guerre mondiale (57) Dans tous ces cas, le gouvernement a finalement adopté un programme pour éliminer l’hyperinflation. La durée médiane de l’hyperinflation était d’environ quatre mois.

Dans une situation d’hyperinflation, les gens perdent de plus en plus confiance dans la monnaie nationale et ne veulent pas la garder. Par conséquent, à un moment donné, l’hyperinflation devient une prophétie qui se réalise d’elle-même. Cependant, la dynamique ainsi créée peut permettre de se débarrasser de l’hyperinflation plus facilement et plus rapidement que d’apprivoiser une inflation beaucoup plus faible, mais toujours élevée. Cela se produit lorsque, en raison de l’hyperinflation, les gens cessent de regarder les prix dans la monnaie nationale et se retournent plutôt vers le taux de change pour fixer les prix. La stabilisation du taux de change peut alors stabiliser rapidement les prix intérieurs. Par exemple, lors de l’hyperinflation bolivienne de 1985, l’hyperinflation a été maîtrisée en 10 jours (58). Cette stabilisation fondée sur les taux de change (ERBS) a été réalisée en créant un nouveau système de taux de change entièrement convertible et un flottement contrôlé de la monnaie. Par la suite, afin de modifier les attentes et de maintenir la stabilité des prix, le gouvernement a également dû entreprendre de sérieuses réformes budgétaires et monétaires.

Le Venezuela aurait-il pu adopter un tel programme en l’absence de sanctions économiques américaines ? C’est certainement possible. Le Venezuela n’aurait pas nécessairement eu besoin d’aide extérieure pour disposer de réserves suffisantes pour créer un nouveau système de taux de change (59). Il n’y avait pas non plus besoin de plus d’austérité pour stabiliser la balance des paiements ; en 2016, les importations avaient déjà diminué de plus de 80 % par rapport à leur niveau de 2012. (60)

Dans la mesure où le gouvernement a dû emprunter - ou fournir des garanties pour une restructuration de la dette - le Venezuela aurait dû être en mesure de titriser une partie de ses 300 milliards de barils de pétrole dans son sous-sol. Avec un accès sans entrave au système financier international, il y aurait un certain prix - même si ce n’était qu’une petite fraction des prix actuels - auquel le rendement potentiel équilibrerait le risque de non-paiement et attirerait les investisseurs. Ces contrats sont moins difficiles à conclure que par le passé, car la capacité des investisseurs à recueillir des estimations sur ces actifs s’est considérablement améliorée ces dernières années. (61) Et pour un gouvernement qui veut éviter un effondrement économique, il serait utile de vendre une partie de son pétrole sous sol à un prix très bas, surtout que ces réserves sont supérieures à celles qu’il pourrait espérer exporter en un siècle. Ainsi, en l’absence de sanctions, un gouvernement disposant de ces vastes réserves de pétrole (en plus d’autres minéraux) devrait être en mesure d’éviter ce genre de crise économique (62).

Encore une fois, nous ne pouvons pas savoir ce qui aurait pu se passer. Mais ce que l’on peut savoir, c’est que les sanctions ont rendu pratiquement impossible un tel programme de stabilisation. Plus précisémment, ils ont empêché une restructuration de la dette qui serait nécessaire pour résoudre la crise de la balance des paiements du Venezuela. Les sanctions ont également empêché le gouvernement de poursuivre un programme ERBS parce qu’un ancrage au dollar nécessiterait l’accès au système financier basé sur le dollar, que les sanctions ont coupé autant que possible. Toute l’idée de rétablir la confiance dans la monnaie nationale tout en stabilisant le taux de change semblerait impossible lorsqu’une puissance étrangère coupe autant qu’elle le peut les revenus en dollars du pays, gèle et confisque les avoirs internationaux et, comme le gouvernement Trump le fait depuis près de deux ans, s’engage à en faire beaucoup plus, sans parler de la menace de prendre des mesures militaires.

Ainsi, l’un des impacts les plus importants des sanctions, en termes d’effets sur la vie et la santé humaines, est d’enfermer le Venezuela dans une spirale économique descendante. Pour cette raison, il est important de noter que lorsque nous examinons, par exemple, l’estimation de plus de 40 000 décès supplémentaires survenus entre 2017 et 2018 seulement, la possibilité en l’absence de sanctions n’est pas seulement zéro décès excédentaire, mais en réalité une réduction de la mortalité et autres améliorations des indicateurs de santé. En effet, une reprise économique aurait déjà pu commencer en l’absence de sanctions économiques.

Inversement, si les sanctions sont maintenues, le nombre de morts cette année sera certainement beaucoup plus élevé que tout ce que nous avons vu auparavant, étant donné le taux de déclin très accéléré de la production pétrolière et donc la disponibilité des importations essentielles, ainsi que le déclin accéléré du revenu par personne.

Mark Weisbrot et Jeffrey Sachs

Mark Weisbrot est codirecteur du Center for Economic and Policy Research (CEPR). Jeffrey Sachs est professeur d’économie et directeur du Center for Sustainable Development de l’université de Columbia.

Traduction "demain ils diront que le "socialisme" a encore échoué" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

»» http://cepr.net/images/stories/reports/venezuela-sanctions-2019-04.pdf
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