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Devenue « l’usine du monde », La Chine est le pays le plus exposé à la pollution industrielle.

Le modèle chinois devrait inspirer tous les défenseurs du climat !

Le gouvernement français ne parvient pas encore à opposer, pour les diviser, le mouvement populaire des gilets jaunes aux revendications sociales et les militants « pro-climats » cherchant à imposer aux politiques des mesures anti-pollution sérieuses (mesures qui avaient pourtant servi de prétexte aux surtaxes des carburants à l’origine du mouvement des gilets jaunes !).

Il y a d’ailleurs sur le terrain, des fraternisations entre ces deux mouvements aux revendications différenciées mais peut être pas si contradictoires. Les pancartes sont parfois assez claires sur cette tendance commune anticapitaliste : « Changeons le système, pas le climat », « Fin du monde, fin du mois : même combat ! ».

S’il faut prendre ces slogans à la lettre, la lutte contre la pollution se doit, pour être scientifiquement et politiquement sérieuse, de proposer un contre modèle opérationnel, des revendications claires. Il y a trop d’idéalisme et de romantisme, trop peu de pragmatisme et de tactique dans les manifestations actuelles contre la pollution atmosphérique. Disons-le clairement : le seul modèle apte à stopper la pollution et restaurer un environnement pour l’homme qui soit durable n’est certainement pas la décroissance (ignoble injonction petite bourgeoise lancée aux peuples du sud et aux prolétariats occidentaux pour qu’ils « consomment » moins encore) ou le malthusianisme « vert-de-gris »... mais bien au contraire le modèle chinois !

La Chine est – disons-le d’emblée – le pays le plus exposé à la pollution industrielle, parce qu’elle est devenue « l’usine du monde », pendant que les capitalismes occidentaux à bout de souffle ne cessent de délocaliser et de sécréter du chômage structurel. La Chine, grâce à une telle ouverture sur les investissements extérieurs, a pu impulser une sortie indiscutable, rapide de la pauvreté pour la grande majorité de son peuple. Et ce n’est pas « l’ouverture au marché » en soi qui a permis cela puisque bien des pays à « bas salaires » ont fait de même sans résultats sur le plan social.

Mais cette mutation historique, sociale (même si les inégalités s’accroissent en parallèle), « civilisationnelle » même (pour reprendre la formule des chinois) s’accompagne évidemment de problèmes collatéraux tout aussi titanesques, au premier rang desquels celui de l’environnement. Voyons donc comment les chinois traitent la question.

Les enjeux sont énormes : ce pays qui reposait au début de la révolution chinoise sur une immense majorité de paysans, s’est urbanisé au point que 65% des chinois habitent désormais en ville, avec un gigantesque déséquilibre démographique des régions de l’intérieur au profit des régions côtières. On imagine l’explosion des besoins alimentaires, énergétiques, d’eau, de traitement des déchets, et la pollution industrielle (à laquelle s’ajoute celle – naturelle – de régions entières sous l’influence néfaste des poussières du désert de Gobi, à commencer par la capitale Pékin) que cela occasionne. L’agriculture intensive a également largement contribué depuis des décennies à augmenter la consommation d’énergies fossiles et la pollution des sols arables et des nappes phréatiques. La pollution chimique, enfin, liée au recyclage massif de milliards de tonnes de déchets produit partout dans le monde, ternit encore ce « paysage », même si le gouvernement a décidé unilatéralement de stopper des retraitements en 2018 au grand dam des occidentaux (1).

Sur le plan de la « transition écologique », nous rappellerons que même dans des circonstances qui, avec un milliard et demi de citoyens, n’autorisent pas la sortie immédiate des énergies fossiles, la Chine est notoirement devenue le leader en matière de développement d’énergies renouvelables : éolien (2), solaire (3), hydroélectrique (4) et nucléaire (5) se présentent comme des alternatives fiables, prises ensemble, pour continuer de satisfaire les besoins énergétiques de la nation. Des villes entières sont en chantiers aujourd’hui pour réduire les émissions de carbone et redresser la biodiversité : les « villes forêts » de Liuzhu Forest City et de Shijiakhuang notamment, l’ultra-moderne "vile solaire" de Dezhou (dans le Chandong).

Sur le plan de l’agriculture intensive, des mesures sont également prises. La géographie chinoise est tout d’abord extrêmement défavorable à l’agriculture : d’une part, une moitié nord particulièrement aride est sous l’emprise d’une désertification menaçante et permanente à partir du Désert de Gobi et des loess (pourtant très fertiles en soi si les sols sont humides) : les poussières perturbent l’atmosphère jusqu’en Corée ! D’autre part une vaste moitié sud est affectée par des inondations permanentes rendant l’agriculture impraticable et fortement dépendante des crues des grands fleuves. A ce sujet le Parti Communiste Chinois a pris la tête de deux plans pharaoniques : le premier, bien connu, est celui de la « grande muraille » verte (6). Il s’agit tout simplement du plus grand plan de reforestation de l’histoire, plus grand encore dans ses objectifs que le fameux « grand plan de transformation de la nature » soviétique de 1948 (7). Cette muraille est à la fois l’obstacle permettant de réduire considérablement l’influence des déserts occidentaux sur le climat et les sols de la moitié nord, et une occasion de puits massif pour le dioxyde de carbone atmosphérique. Le deuxième plan, toujours sur le modèle du « grand plan » soviétique de 48, vise à détourner l’eau en excès au sud vers le nord pour régler à la fois les problèmes d’aridité de l’un et d’impraticabilité de l’autre. Ici aussi, la restauration des sols arables partout sur ce si vaste territoire va permettre de privilégier une agriculture « extensive » (soucieuse de la refertilisation de sols d’abord infertiles) à l’agriculture intensive (qui dope chimiquement les surfaces agricoles faute de place).

Sur le plan de la lutte contre les émissions de carbone , le Parti Communiste Chinois, depuis le 19ème congrès en particulier, met tout en œuvre pour stopper l’impact industriel sur l’environnement. Et c’est peut être dans cet élan, fort coûteux pour un Etat qu’on se plait ici à désigner comme « ultracapitaliste », que l’occidental trouvera le plus de mystère.

Si Jiang Zemin déclarait déjà en 2003 que la sécurité environnementale devait prendre pleinement sa place dans les objectifs stratégiques de la Chine, non pas par engagement « moral » et subjectif, mais parce que les ressources environnementales chinoises sont vitales autant que leur durabilité, la nécessité de leur protection, et parce qu’on ne saurait imaginer un enrichissement du peuple dans un environnement devenu invivable. Le Parti Communiste Chinois s’est engagé officiellement dans cette voie, avec un accent retentissant au 19ème congrès de 2017 : taxation des entreprises polluantes, nationales comme étrangères, interdiction pure et simple de certaines entreprises récalcitrantes, vaste plan de transformation du parc automobile (pour l’électrique), notation/évaluation de tous les responsables locaux, cadres, dirigeants, partout dans le pays, par les supérieurs hiérarchiques comme par leurs exécutants, admettant depuis février le critère du respect de l’environnement : les mieux notés sont promus, les moins bien notés sont rétrogradés. Lutte très énergique contre la corruption, qui place tout « Carlos Ghosn » local hors d’état de nuire, et que les chinois appelle poétiquement « lutte contre la pollution spirituelle » (celle qui empêche, corruption oblige, les plans, y compris écologiques, d’atteindre leurs objectifs contre la pollution concrète). Le Ministère de l’environnement, créé en 2008 sur la base d’un « Bureau de protection de l’Environnement créé lui-même en 1974 avec une centaine de personnes, compte maintenant plus de 3000 organisations locales et 130000 personnes.

Faisons donc un premier bilan. Pour obtenir des résultats chiffrés (et c’est désormais la norme en Chine pour mesurer scientifiquement les effets des politiques environnementales), il faut plusieurs paramètres éminemment politiques :

 Toutes les terres, toutes les ressources naturelles doivent appartenir à l’Etat, garant du peuple, et non à des privés. De cette manière, toute politique gouvernementale sera mise en acte, et non simplement « incitative » (ce qui ne marche pas chez nous bien sûr) : grands chantiers publics, reconstruction de villes entières, détournement partiels de fleuves, etc. supposent une liberté absolu des politiques publiques sur le terrain sans indemnisations.

 L’Etat doit représenter des intérêts nationaux supérieurs aux intérêts privés. C’est un peu ce que rappelle l’Agence de Presse Chinoise dans la formule « Il faut abandonner le fétichisme du taux de croissance » (5 mars 2019) (8) : Les politiques environnementales sont des politiques de long terme, coûteuses et sans retour immédiat sur investissement. Elles sont pourtant menées en Chine, alors qu’ailleurs aucun intérêt privé n’est en mesure de lancer pareils chantiers. Les seuls investissements autorisés chez nous sont les maigrelettes (mais peu chères) éoliennes, à très faible rendement énergétique...

 L’Etat doit planifier ses objectifs sur le long terme, avec des mesures et évaluations régulières, objectives, exactement sur le modèle jadis tant « décriés » des soviétiques au vingtième siècle. Pour ce faire, il faut une stabilité politique de long terme, autrement dit un pouvoir solide pour ne pas mettre en péril les grandes décisions par le retour sous une forme ou une autre du néolibéralisme sauvage.

 Le peuple doit être suffisamment organisé, et relativement protégé de l’effet néfaste des corruptions et réseaux mafieux qu’autorise a contrario le capitalisme libéral. En Chine, ceux qui regrettent « l’absence de démocratie » du « parti unique » devraient se pencher sur l’actuelle explosion de milliers d’associations citoyennes de protection de l’environnement partout dans le pays.

 La nécessité impérieuse de protéger le pays des assauts impérialistes (qui furent particulièrement dévastateurs en Chine aux 19ème et 20ème siècles) est le moteur pragmatique de toute politique environnementale soucieuse de la « durabilité » du système, au-delà des engagements hypocrites et abstraits de nos gouvernements occidentaux. En Chine, le respect de l’environnement est tellement rentré dans les mœurs (sur la base de traditions ancestrales de respects de l’harmonie ciel – terre, volontairement remises en avant) que l’objectif clairement exprimé par Xi Jinping de « civilisation écologique » (9) est devenu un slogan national, un pied de nez orgueilleux aux impérialistes occidentaux réputés destructeurs, sauvages et meurtriers, y compris pour la nature et la biodiversité.

C’est donc une véritable leçon que nous donnent ici les Chinois, malgré ou peut être grâce à l’extrême complexité de leurs problèmes environnementaux, qui sont en réalité les mêmes qu’ici, et dont ils ne sont collectivement pas plus responsables qu’ici. C’est surtout à un modèle, le modèle socialiste, qu’il faut se référer pour accomplir une vraie « planification écologique » chez nous, car, même sous une forme déformée, hybride, locale, en recul, en Chine, c’est bien les caractéristiques essentielles de l’Etat socialiste qui expliquent leurs succès en la matière. Tout le contraire d’une « neutralité » citoyenne et naïve vis-à-vis de la forme d’Etat à laquelle on s’adresse, lors des actuelles « manifs pour le climat » : Qui va payer, puisqu’il faut bien payer ? les travailleurs surtaxés ici, ou les patrons pollueurs comme c’est la cas là bas ?

(1) Lien
(2) La Chine est numéro un mondial de la production d’électricité éolienne (31% de la production mondiale, devant les États-Unis avec 23%)
(3) La Chine est aussi largement en tête des producteurs d’énergie solaire (71% du parc mondial en 2016). La méga-centrale flottante de Huaïnan près de Shanghai est la plus puissante au monde. L’innovation scientifique explose dans ce domaine en Chine qui met en place des méga-centrales à sels fondus qui fonctionnent sans intermittence 24 h sur 24, comme la centrale de Suncan Dunhuang mise en service en 2016.
(4) La Chine est au premier rang mondial autant en terme de puissance installée (26,9% du total mondial) que de production (28.5%).
(5) Concernant l’énergie, on sait peu par exemple que des projets de centrales nucléaires chinoises reposaient initialement sur le principe de la « fission à sels fondus » (thorium) dont les chinois furent les pionniers dans les années 70, et s’opposant à celui de l’uranium (centrales nucléaires à hauts risques et à forte production de déchets radioactifs de nos pays). Ce type de centrale, qui limite considérablement les déchets (en volume, d’une facteur mille, comme en dangerosité), n’est plus à l’étude en Occident faute de financement et sous la pression du lobby militaro-industriel : celui-ci recycle l’uranium appauvri pour l’armement, alors que les centrales à sels dissous n’en produisent pas, et utilise le même combustible pour les bombes atomiques. C’est faute de technologie que le pays a du abandonner cette opportunité dans les années 70, mais l’Etat chinois réalise actuellement le seul projet de grande ampleur actuellement pour la mise en place de telles centrales, avec un financement de 250 millions de dollars et une ouverture dans moins de vingt ans (source « Un nucléaire sûr existe, et la Chine ouvre la voie avec le thorium » (The Daily Telegraph, mars 2011). Celle-ci ouvrira la voie d’une véritable révolution énergétique dans la région. [Source]
(6) Ce plan prévoit une surface replantée de 260 000 km2. Pour plus de précisions sur les avancées et les limites actuellement diagnostiquées de ce projet : Source
(7) L’écologie réelle. Une histoire soviétique et cubaine. Guillaume Suing (2018, Delga)
(8) Lien
(9) Lien

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